Journal Asiatique 287.2 (1999): 523-586 LA PLACE DES SUKHAVATI-VYUHA DANS LE BO
Journal Asiatique 287.2 (1999): 523-586 LA PLACE DES SUKHAVATI-VYUHA DANS LE BOUDDHISME INDIEN PAR GÉRARD FUSSMAN1 RÉSUMÉ La tradition japonaise réunit sous le nom de «Sutra triparti de la Terre Pure» trois sutra dont deux seulement sont conservés en sanskrit, le petit (S-Sukh) et le grand (L-Sukh) Sukhavati-vyuha. La comparaison avec les traductions chinoises montre que L-Sukh au moins a subi d'importants remaniements. La critique interne des textes le confirme. Elle montre aussi que S-Sukh et L-Sukh sont indépendants l'un de l'autre et qu'il a dû exister une version ancienne de L-Sukh antérieure au texte actuel de S-Sukh. L'impossibilité où nous sommes de connaître le contenu exact de cette version ancienne, remontant probable- ment au 1er siècle de n.è., oblige à admettre la possibilité que certaines au moins des références littéraires anciennes à la Sukhavati et les témoignages archéo- logiques anciens du culte d'Amitabha concernent un texte fort différent de la version sanskrite que nous connaissons. L'étude des allusions à la Sukhavati contenues dans les textes bouddhiques publiée par G. Schopen en 1977 et l'étude détaillée des témoignages archéologiques et inscriptions montrent qu'aux deux premiers siècles de n.è. le culte d'Amitabha était lié à celui de tous les buddha, qu'il n'était en rien contradictoire avec un mahayana «ortho- doxe», et que des moines régulièrement ordonnés y prenaient part. Il est clair que ce culte n'a jamais eu une très grande popularité en Inde, qu'elle soit gangétique ou du nord-ouest (Gandhara). L'analyse des sculptures et ins- criptions liées au culte d'Amitabha montre que les témoignages sûrs sont très peu nombreux au Gandhara, guère plus nombreux que ceux trouvés ailleurs en Inde. Rien n'incite à considérer que l'origine du culte d'Amitabha se trouve dans le nord-ouest de l'Inde, rien n'incite à y déceler une forte influence de l'Iran. 1 Professeur au Collège de France, 11 Place Marcelin Berthelot, 75231 Paris Cédex 05. Cet article reprend la matière du cours professé au Collège de France en 1998-1999. Journal Asiatique 287.2 (1999): 523-586 524 G. FUSSMAN La lecture attentive de S-Sukh et L-Sukh confirme la thèse de G. Schopen que la renaissance de la Sukhavati était une possibilité offerte à tous les sectateurs du mahayana. Le titre original de ces textes n'était pas celui que livrent certains des actuels colophons. Il établit sans contestation possible qu'à un moment donné la Sukhavati a pu être conçue comme la dernière étape de la carrière des bodhisattva, donc (aussi?) comme une bodhisattvabhumi ouverte à tous les bodhisattva, quel que soit leur buddha de prédilection. La transformation de la Sukhavati en paradis au bénéfice des dévôts d'Amitabha eut lieu ultérieurement. Mots-clés: Amitabha, Bouddhisme, Gandhara, Inde, Iran, Japon, Mahayana, Pa- radis, Sukhavati, Terre Pure. SUMMARY Buddhists in Japan pay great reverence to a set of three sutra called «Three sutra of Pure Land» or «Tripartite sutra of the Pure Land». Only two of them are still extant in Sanskrit, the smaller Sukhavati-vyuha or S-Sukh, and the longer Sukhavati-vyuha or L-Sukh. Comparing the Sanskrit text of L-Sukh with its Chinese translations reveals a large number of alterations. So does a minute examination of the Sanskrit texts. It can be shown, moreover, that S-Sukh and L- Sukh do not belong exactly to the same tradition. It can be surmised that there was an earlier version of L-Sukh, dating back to the 1st c. A.D., which has not come down to us, the contents of which cannot be known with any certainty, and which was earlier than the extant S-Sukh. If such is the case, it is quite pos- sible that some of the allusions to rebirth in Sukhavati which Schopen excerpted in 1977 from mahayana texts, and early archaeological evidence of devotion to Amitabha go back to this earlier version of L-Sukh, possibly quite different from the extant L-Sukh. In any case, both Schopen's 1977 paper and a meticulous examination of early archaeological and inscriptional evidence show that during the first two centuries A.D., devotion to Amitabha implied devotion to all other buddha, was in no way contradictory with «mainstream» mahayana and that monks had some part in this cult. Devotion to Amitabha never mustered much support in India, not even in North West India (Gandhara). An analysis of in- scriptional and archaeological evidence demonstrates that it was no stronger in Gandhara than elsewhere in India. Nothing points to Gandhara as the cradle of cults linked with Amitabha and his Sukhavati, nor to Iranian creeds as being largely responsible for their main characteristics. An examination of S-Sukh and L-Sukh gives weight to G. Schopen's 1977 thesis, whereby rebirth in Sukhavati was a possibility open to any member of the mahayana community. The original Sanskrit title of these two sutra was not the one we now read in most of the colophons. It bears out that there was a time Journal Asiatique 287.2 (1999): 523-586 LA PLACE DES SUKHAVATI-VYUHA 525 when rebirth in Sukhavati was one of the last stages of the bodhisattva's career, i.e. that Sukhavati was (also?) meant as a bodhisattvabhumi, and therefore the goal of all the bodhisattva, irrespective of which buddha they paid special refe- rence to. The transformation of this bodhisattvabhumi into a Paradise specially intended for Amitabha's devotees is a later phenomenon. Key-words: Amitabha, Buddhism, Gandhara, India, Iran, Japan, Mahayana, Paradise, Pure Land, Sukhavati. Les deux textes indiens relatifs au paradis d'Amitabha ou «<Dis- cours> sur les merveilles de la terre de bonheur» (Sukhavati-vyuha = Sukh) partagent avec le Saddharmapu∞∂arika (= SP) le dangereux privi- lège d'avoir connu une grande diffusion en Chine continentale, en Corée et au Japon et d'être devenus les textes de base de deux grandes tendan- ces du bouddhisme japonais. Depuis des siècles, ils sont dans ces pays objets de culte et d'exégèse à la fois. Que leur récitation soit devenue le centre de rituels plus ou moins complexes n'a rien pour étonner ou cho- quer un indianiste. Depuis la plus haute époque, les grands textes du mahayana comportent presque tous un chapitre sur les mérites que l'on acquiert à (faire) lire le texte à haute voix, à le recopier ou le faire reco- pier (Schopen 1975). Cette pratique n'est qu'un des aspects du «don de la Loi» (dharma-dana). Préserver l'enseignement du Buddha et le ré- pandre est une des formes supérieures du don, l'une de celles qui appor- tent le plus de mérites. C'est le devoir de la communauté des moines, et c'est aux efforts de celle-ci que nous devons la constitution de collec- tions canoniques, l'élaboration de commentaires et la traduction des tex- tes indiens en chinois, tibétain, japonais, mongol etc. Mais c'est aussi une source de mérites pour les individus, en particulier pour les laïcs dont on ne s'étonne pas de voir le nom mentionné dans les colophons des manuscrits dont ils ont financé la copie2. Les copies des grands textes sont souvent luxueuses. Elles témoignent parfois d'une dévotion poussée à l'extrême: certaines ont été écrites par le donateur avec son propre sang. Leur lecture à haute voix s'accompa- gne d'un cérémonial très coûteux. C'est là l'équivalent d'un culte (puja) analogue à celui rendu au stupa et qui s'explique de la même façon: 2 On en trouvera quelques bons exemples dans Hinüber 1980. Journal Asiatique 287.2 (1999): 523-586 526 G. FUSSMAN conserver la parole du Buddha et lui rendre hommage, c'est rendre hom- mage au Buddha lui-même. Le choix du texte recopié et offert à la com- munauté n'est pas seulement motivé par le désir d'aider celle-ci à com- pléter ou renouveler son stock de livres sacrés. Le plus souvent, semble- t-il, le donateur fait recopier ou recopie un texte qui lui tient particulière- ment à cœur, celui qui lui semble être le meilleur exposé, sinon le seul valable, de l'enseignement du Maître, et plus fréquemment encore -mais cela revient presqu'au même- le texte pour lequel son maître spirituel (acarya) a une particulière prédilection. Le nombre relatif de copies d'un même texte conservé au même endroit est donc le meilleur indicateur que nous ayons sur la popularité d'un texte à cet endroit3. Ceci vaut pour l'Inde, comme pour la Chine et le Japon. La continuité de la tradition exégétique place l'historien des reli- gions indiennes devant des choix difficiles. Il est peu de textes indiens qu'on puisse se dispenser d'étudier sans connaître leur(s) commen- taire(s) indien(s) lorsqu'ils existent. Ceci vaut pour les textes elliptiques, tels les karika, ou ésotériques, dont la structure et la transmission ne se conçoivent pas sans l'existence dès l'origine d'un commentaire au moins oral, comme pour des textes de sens apparemment clair comme les suttanta ou les jataka palis. Le commentaire est lui-même un genre littéraire et religieux. Il est susceptible d'erreur ou de gauchissement. Le fait même qu'un même texte, à l'intérieur d'une même tradition exégétique, suscite des interprétations de détail et de doctrine différentes et parfois si divergentes qu'elles finissent par provoquer une scission de la tradition témoigne du risque de déviation inhérent à toute littérature exégétique. Ce risque n'est pas négligeable même lorsque le commen- taire d'un texte indien est indien et uploads/Religion/ fussman-la-place-des-sukhavati-vyuha-dans-les-bouddhisme-indien.pdf
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- Publié le Mai 02, 2021
- Catégorie Religion
- Langue French
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