Annales. Économies, Sociétés, Civilisations Les foires en Languedoc au moyen âg
Annales. Économies, Sociétés, Civilisations Les foires en Languedoc au moyen âge Jean Combes Citer ce document / Cite this document : Combes Jean. Les foires en Languedoc au moyen âge. In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 13ᵉ année, N. 2, 1958. pp. 231-259; doi : 10.3406/ahess.1958.2730 http://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_1958_num_13_2_2730 Document généré le 28/04/2017 Les foires en Languedoc au moyen âge C'est a la renaissance économique du xne siècle que doit être rattachée l'apparition des foires et des marchés. Le recul de l'Islam qui a fait longtemps peser sa domination presque exclusive sur les rivages de la Méditerranée ouvre au monde occidental les routes de l'Orient et provoque du même coup un vigoureux essor du commerce terrestre et maritime. La circulation accrue des hommes et des marchandises incite à l'organisation de réunions périodiques, où les échanges se feront dans les conditions les plus avantageuses pour tous. Tels sont les foires et les marchés qui alors surgissent au hasard des documents : ils en révèlent l'existence, sinon la création. Il n'est pas toujours aisé de distinguer, comme on le fit par la suite, d'une part le marché, en latin forum ou mieux mercatum, réunion hebdomadaire d'importance strictement régionale ; de l'autre, la foire, qui en latin est désignée le plus souvent d'un nom au pluriel, nundine, n'a lieu qu'une fois l'an, se prolonge généralement plusieurs jours г et bénéficie d'un rayonnement beaucoup plus étendu. Les textes associent assez souvent mercatum et nundine 2. La foire, d'autre part, est volontiers liée à une fête religieuse, d'où son nom français qui vient du bas-latin feria, jour de fête 3, et il est permis de se demander si l'on n'a pas parfois attribué indûment la dénomination de foire à ce qui était demeuré une simple fête : l'afflux des fidèles attirait les marchands et donnait lieu à une activité commerciale intense, mais brève, un peu comme dans les fêtes actuelles de nos villages, là du moins où elles ont survécu. La fête ne réclamait naturellement que des arrangements rudi- mentaires, quelques planches et quelques toiles en plein vent, et ne comportait pour les marchands et pour les chalands aucun privilège juridique. C'est peut-être dans cette catégorie qu'il convient de ranger la célèbre foire de Saint-Gilles qui, le 1er septembre, réunissait tant de monde, et venu d'un peu partout, autour du tombeau du saint patron : si les échanges 1. Nundine, qui vient sans doute de la combinaison des deux mots novem et diet, désignait à Rome un marché tenu tous les neuf jours par les habitants de la campagne. Au moyen âge le sens a nettement évolué. 2. Voir notamment A. Dupont, Les cités de la Narbonnaise première, Nimes, 1942, p. 613, n. 2 ; — W. M. Newman, Le domaine royal sous les premiers Capétiens (987- 1180), Paris, 1937, p. 37 et n. 1 et 2. 3. Le mot allemand Messe évoque la cérémonie essentielle du culte chrétien. 231 ANNALES étaient alors plus animés, le reste de l'année l'activité du port et du bourg de Saint-Gilles demeurait considérable J. A s'en tenir aux foires et aux marchés qui méritent vraiment ces appellations, on observe qu'ils sont organisés et privilégiés : la protection spéciale dont sont l'objet tous ceux qui les fréquentent, les faveurs d'ordre juridique et fiscal dont ils sont souvent gratifiés, sans parler de l'importance économique, financière, sociale et politique qui s'attache à bon nombre de ces foires, tout cela explique que l'autorité publique ait eu à s'en préoccuper. Elément de prestige et source de retenus, foires et marchés ne peuvent naître et durer qu'avec la permission officielle. Tout naturellement, le droit de concéder foires et marchés, comme le droit de battre monnaie, fut longtemps exercé par les seigneurs ecclésiastiques et laïques, cessionnaires ou usurpateurs des droits régaliens 2 : la chose paraît encore communément admise à la fin du xme siècle, témoin une supplique des consuls de Montagnac au viguier de Béziers en date du 18 janvier 1292 3, soulignant que « barons, prélats et autres seigneurs » concédaient des foires aux localités de leur ressort. Et il semble bien que si l'évêque de Lodève revendique en 1321 le droit d'instituer et de changer foires et marchés dans sa cité et son diocèse 4, c'est parce qu'il peut faire état d'un diplôme de Louis VII, plusieurs fois confirmé par la suite 8, concédant à l'un de ses prédécesseurs, Gaucelin de Montpeyroux, les regalia dans tout l'évêché. Les choses changèrent au cours du xrve siècle. Depuis Philippe le Bel était proclamé le droit exclusif du roi de battre monnaie, et si l'ordonnance de décembre 1315 respectait les situations acquises d'un grand nombre de barons et d'églises, elle entourait l'usage de ces privilèges de conditions si restrictives qu'elle les rendait à peu près illusoires et que le royaume s'acheminait ainsi peu à peu vers l'unité monétaire e. De même le roi prenait l'habitude de ne pas tolérer que foires et marchés fussent ouverts sans sa permission expresse ; le 8 mai 1372 les instructions envoyées au gouverneur de Montpellier, Me Arnaud de 1. Sur le rôle économique de Saint-Gilles, qui fut très important dans la seconde moitié du xne siècle, voir A. Dupont, op. cit., p. 621, et M. Gouron, « Saint-Gilles-du- Gard », in Congrès archéologique de France (CVIII6 session, 1951, p. 108 et 109). И ressort de mentions éparses du cartulaire du notaire génois Giovanni Scriba (1156- 1164) que des contrats commerciaux concernant Saint-Gilles étaient conclus à Gênes à diverses époques de l'année. Cf. A. Schaube, Handelsgeschichte der romaniscken Vôlker des Mittelmeergebiets bis zum Ende der Kreuzzuge, § 441, p. 562 et 563. 2. W. M. Newman, op. cit. p. 37 et 38 : a Le roi comme un seigneur quelconque crée des foires et des marchés. » II en concède souvent tout ou partie des revenus. — Sur la liaison entre la monnaie et le marché, voir R. Latouche, Les origines de V économie occidentale, p. 284 et 285. 3. Arch, de l'Hérault, fonds de Montagnac, liasse 9, n° 3. 4. Cette prétention de l'évêque est rappelée dans des lettres de Philippe V de 1321. — Cf. E. Martin, Cartulaire de la ville de Lodève, Montpellier, 1900, n° LXXX, p. 107. 6. Ibid., n° XXII, p. 26. 6. A. Dieudonné, Manuel de Numismatique française, t. II, p. 117 et 118. 232 FOIRES EN LANGUEDOC Lar, pour la conservation des droits de souveraineté, de ressort et autres droits royaux dans la ville et la baronnie de Montpellier, cédées au roi de Navarre Charles le Mauvais, exprimaient officiellement la doctrine de la royauté. « Au Roy appartient seul et pour le tout en tout son Royaume, et non à autre, à octroyer et ordenner toutes foires et tous marchés *■ ». Peu à peu reconnue dans la plus grande partie du royaume, la prérogative royale n'est contestée que par quelques grands vassaux qui continuent à battre monnaie et à concéder foires et marchés : tels, sous Louis XI encore, le comte de Foix et le duc de Bourgogne 8. H ne paraît pas qu'on puisse faire remonter au delà du xne siècle les plus anciennes réunions périodiques de marchands, nous l'avons déjà indiqué. Ce n'est que par une mention d'un inventaire de la fin du xve siècle qu'on a connaissance d'un diplôme du pape Adrien III qui aurait, en 884, confirmé un marché de Lodève 8. On peut seulement affirmer que selon un document de 1212, ce marché se tenait depuis quelque temp? déjà, et le samedi *. Un marché est signalé à Béziers en 1175 et 1176 6i Le vicomte de Béziers, Roger II, accorde un marché à Gabian en avril 1180 et le fixe au mercredi e. On ne sait à quelle époque remonte celui de Pézenas qui avait lieu d'abord le jeudi et fut en 1484 transféré au samedi '. Notons enfin que l'évêque d'Agde, Thédise, qui régna de 1214 à 1233, fonda un marché à Montagnac et le plaça le vendredi 8. Ce ne sont pas là les seules créations de cette époque : il n'est que de parcourir les cartu- laires pour s'en convaincre •. 1. Ord. des rois de France, t. V, p. 480. — F. Boubq uelot, Etudes sur les foire» de Champagne, t. I, p. 18. 2. R. Gandilhon, Politique économique de Louis XI, Rennes, 1040, p. 219. 3. Cartul. de Lodève, n° V, p. 3. 4. Ibid., n° XLI, p. 37 et 38. Au xve siècle, il y eut concurrence entre ce marché et celui de Clermont qui se tenait le mercredi. Cf. E. Mabtin, Histoire de la ville de Lodève depuis ses origines jusqu'à la Révolution, Montpellier, 1900, t. I, p. 258. 5. J. Rouquette, Cartulaire de Béziers (Livre Noir), Montpellier, 1918, n°" CCLIII et CCLVII, p. 354 et 360. 6. Gabian (Hérault, arr. de Béziers), cf. Ibid., n° CCLXXV, p. 390 et 391 (d'après Bibl. Nat., fonds Doat, t. 61, f° 272). 7. Авен, de Pézenas, п° 554 de l'inventaire F. Rességuier, publié par J. Beb- thelé, Montpellier, 1907. 8. Fonds de Montagnac, liasse 9, uploads/Religion/ j-combes-les-foires-en-languedoc-au-moyen-age-annales-1958-pdf.pdf
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- Publié le Fev 08, 2022
- Catégorie Religion
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