2 I LA CLINIQUE LACANIENNE JACQUES-ALAIN MILLER COURS DU 18 NOVEMBRE 1981 Vous

2 I LA CLINIQUE LACANIENNE JACQUES-ALAIN MILLER COURS DU 18 NOVEMBRE 1981 Vous savez qu'il s'agissait de maintenir la Section clinique, laquelle faisait l'objet d'une tentative d'étouffement - tentative brutale, soudaine, et qui a même impliqué, chez une partie de ceux qui enseignaient dans cette Section clinique, une rupture de la parole donnée, de l'engagement pris envers l'institution. En plus, cette rupture accompagnait une campagne qui a visé à déconsidérer les enseignants de la Section clinique. C'est une campagne qui, à l'époque, est allée loin, puisqu'elle est allée jusqu'à l'envoi d'émissaires chargés de provoquer le renvoi de certains enseignants des institutions où ils travaillaient, en particulier dans le champ psychiatrique. Il y a certains enseignants de la Section clinique qui ont dans ces institutions une position parfois subalterne qui les met à merci du bon vouloir d'un chef, et cette campagne était donc allée jusqu'à essayer de leur nuire dans leur fonctionnement professionnel. Dans l'ensemble, il faut bien dire que cette campagne a été un échec. La Section clinique est plus solidement installée qu'elle ne l'a jamais été. Le mouvement de soutien, qui s'est manifesté à partir du deuxième semestre de l'année universitaire dernière, y a fait barrage. Je n'ai pas été le seul. Nous avons été un certain nombre à parer dans l'urgence à cette tentative d'étouffement. Il y a eu un certain nombre d'auditeurs, de participants qui y ont paré par leur présence. Ces raisons de circonstance ont donc maintenant disparu - la Section clinique n'est aucunement menacée - et c'est bien ce qui oblige à une redéfinition, en tout cas pour moi, de ce que je fais ici. Je serai plutôt tenté de considérer que je recommence ici le cours que j'ai donné à Vincennes depuis 1972-73, sous le titre de "L'orientation lacanienne", et qui s'est poursuivi ainsi d'année en année, sur sept ans au total, jusqu'en 1978-79. J'avais interrompu cette série lorsque le déménagement de Vincennes était apparu inéluctable - ça me gâchait le plaisir d'y parler. Alors, sept ans de vache maigre ou de vache grasse, c'est selon. Seulement, je ne peux pas dire que je poursuis ici purement et simplement la même chose. Il y a à ça plusieurs raisons. La première, fondamentale, c'est la disparition de Jacques Lacan. J'aurais aimé évoquer ça devant un auditoire dont les participants n'auraient pas été sélectionnés - ça n'en exclut aucun d'entre vous, c'est une question d'aise pour moi. Deuxièmement, c'est que le rapport de ce cours avec l'institution analytique n'est plus le même. Troisièmement, je dirai que ma place à moi n'est plus aussi exactement la même. Bien que vous ayez toutes les raisons de vous en fiche, puisque c'est, après tout, mon affaire, je vais quand même évoquer rapidement ces trois points-là. Cela m'est nécessaire pour commencer. 3 D'abord la mort de Jacques Lacan. Vous n'avez pas à attendre de moi une oraison funèbre de Lacan. On a pu en entendre plusieurs ces jours derniers, dans le cadre institutionnel qui convenait. Pour celles que j'ai pu entendre, je dirai que c'était des oraisons de la meilleure veine. Si je ne fais pas d'oraison funèbre de Jacques Lacan, c'est que je l'ai déjà prononcée en 1974, à Rome. C'est, en tout cas, ce qu'on m'avait alors imputé d'avoir fait. Evidemment, une oraison funèbre du vivant de l'intéressé et devant lui, c'est un peu paradoxal, mais puisqu'on me l'a imputée, je ne vois pas pourquoi je refuserai ça. Ca lui avait au moins permis de donner son avis là-dessus. Après tout, c'est un avantage. A vrai dire, j'ai fait une autre oraison funèbre, il y a à peu près un mois, à Buenos Aires. Là, comme je n'étais pas dans le cadre de la Section clinique, j'ai pu lancer une invitation ouverte - ce que je n'ai pas pu faire ici pour ce cours. Le résultat, à Buenos Aires, c'est qu'il y avait mille deux cents personnes, sur lesquelles il y en avait peut-être cinq ou six qui avait vu le docteur Lacan dans son cabinet de la rue de Lille. J'ai donc dû mettre la distance de l'Atlantique pour pouvoir faire cette oraison funèbre où je me suis occupé à démentir le "Tel qu'en lui-même l'éternité le change". Vous connaissez ce vers de Mallarmé qui est devenu un bateau, un cliché obligé. Je l'ai démenti parce que je l'avais entendu quelques jours avant, avec un accent très particulier. Je l'avais entendu dans la bouche de Luis Borges qui avait bien voulu me recevoir, me parler. Il s'était spécialement moqué de Mallarmé qu'il trouvait de mauvais goût comme poète. Il préférait de beaucoup Verlaine mais il sauvait qu'en même ce "Tel qu'en lui- même l'éternité le change". Est-ce que ça serait vrai pour Lacan? Est-ce que nous allons le trouver maintenant tel qu'en lui-même l'éternité le change? Lacan est désormais certainement significantisé depuis le 9 septembre. Ca veut dire très exactement que plus personne ne répond à l'appel de ce nom. Lacan, on l'appelait, on faisait beaucoup appel à lui. C'était d'ailleurs sa profession: accueillir ces appels pour en faire ce que cette profession implique. Mais désormais, quand nous prononçons le nom de Lacan, ça ne veut plus dire la même chose. La référence a changé. C'est devenu un pur signifiant et c'est bien la question. Le signifiant ne peut pas fonder comme tel une identité, le signifiant différencie. C'est, en tout cas, la leçon de Lacan. C'est bien pour cela qu'il n'y a aucune chance que significantisé, il soit changé en lui-même. C'est ce que lui-même a exprimé lors du séminaire de la dissolution, quand il a évoqué sa mort en disant qu'alors il deviendrait Autre enfin, comme tout le monde. C'est un changement en Autre et pas en lui-même dont il s'agit ici. Il avait même commencé à devenir Autre un petit peu avant le moment normal, c'est-à-dire à être à la merci de ce qu'on pouvait donner comme sens à son signifiant. Seulement, il pouvait encore donner son avis. Il donnait de temps à temps son avis sur ce qu'on faisait de son signifiant - ce qu'on supportait très mal. Ca fait qu'un certain nombre de gens sont maintenant rassurés, soulagés même, comme l'a dit quelqu'un dans le journal le lendemain de sa mort. Soulagé! Je comprends ça... C'est cela être en vie, c'est pouvoir donner son avis sur la différentiation signifiante qu'on subit, et c'est pourquoi, lorsque le sujet est réduit au silence définitif, on a l'illusion qu'on va obtenir son lui-même. Le lui-même est une expression que l'on retrouve dans la formule selon 4 laquelle l'analyste ne s'autorise que de lui-même. Ce principe est un principe de subversion sociale, un principe qui va certainement contre le pouvoir d'Etat. C'est un principe et non exactement un énoncé qui pourrait se reprendre à la première personne. Si on le reprend à la première personne, le ridicule en apparaît tout de suite. Vous voyez quelqu'un dire: Je ne m'autorise que de moi- même... Quand c'est dit à la première personne, c'est un principe de fatuité et même de suffisance. On doit seulement dire: L'analyste ne s'autorise que de lui-même. On pourrait même dire, comme dans le parler populaire: Faire analyste. Faire analyste, ça regarde d'abord celui qui le fait. C'est très différent que de s'instituer analyste. Ce que Lacan a assez marqué, c'est que faire analyste n'est pas une institution, mais que c'est, au contraire, exactement corrélatif d'une destitution. C'est ce qu'il a appelé la destitution subjective, et qui ne prend son sens que par rapport au terme d'institution. Après quoi, une fois qu'on a atteint cet état-là, une institution ou une association est d'autant plus nécessaire. C'est l'institution du destitué. C'est une association d'asociaux, mais d'asociaux seulement par rapport au lien social qui prévaut dans la cité. Ce qu'on appelle par exemple le socialisme - on parle beaucoup de ça en ce moment -, c'est mettre tout l'accent sur le lien social, et plutôt sur le lien social de la cité, c'est-à-dire, si l'on se repère sur les coordonnées de Lacan, sur le discours du maître. Si on voulait être un peu caméléon, on pourrait dire que l'analyste est socialiste. Il est socialiste de son lien social à lui. Il est socialiste comme l'hystérique est socialiste et comme l'universitaire est socialiste. On est tous socialistes. C'est amusant l'erreur que l'on commet là-dessus et dont on ne peut pas se guérir. Je voyais ça dans les papiers qu'envoient un certain nombre des personnes qui ont fait une tentative d'étouffement l'année dernière: ils se promettent, au moment où ils constituent leur petit magma associatif, de donner naissance à "un lien social nettoyé d'aucune nécessité de groupe". Ils continuent! On a beau le leur dire dix fois, ils continuent de lire de travers ce texte de Lacan. Quand Lacan parle d'"un lien social nettoyé d'aucune nécessité de groupe", il ne vise pas l'association des analystes entre eux, qui n'a aucune raison d'être nettoyée des nécessités de groupe, il vise le lien analytique lui- même. Je l'ai déjà uploads/Religion/ jacques-alain-miller-la-clinique-lacanienne-cours-de-1981-1982.pdf

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  • Publié le Dec 01, 2021
  • Catégorie Religion
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