1 Séminaire Enseigner les faits religieux dans une école laïque Faits religieux

1 Séminaire Enseigner les faits religieux dans une école laïque Faits religieux et enseignement : perspectives européennes Conférence Jean-Paul Willaime - Directeur d’études à l’EPHE Se placer d’un point de vue européen manifeste d’emblée une certaine singularité du choix fait en France d’un enseignement des faits religieux à travers les disciplines enseignées et non à travers une discipline ou un cours particulier spécialement dévolu à l’étude des faits religieux. Ce dernier cas de figure est en effet le cas le plus fréquent que, sous des formes différentes, l’on rencontre dans de très nombreux pays d’Europe. Les professeurs, en particulier de langues, qui organisent des échanges scolaires savent que leurs élèves peuvent éventuellement se retrouver dans un « cours de religion » s’ils suivent leurs camarades allemands (fréquentant un cours de « Religionsunterricht ») ou anglais (fréquentant un cours de « Religious Education ») dans le programme des cours de la journée. En France même, des cours de religion catholique, protestant et juif sont dispensés dans les écoles publiques en Alsace et en Moselle. Dans les écoles européennes enfin, y compris si elles se trouvent sur le sol français (il y en a une à Strasbourg), des cours de religion ou de morale sont proposés aux élèves du primaire et du secondaire1. Se placer d’un point de vue européen, c’est aussi découvrir des écoles publiques où un crucifix est accroché au mur des salles de classes (comme en Italie), où des élèves musulmanes coiffées d’un foulard peuvent, dans de nombreux pays, suivre normalement les cours, la France étant le seul pays de l’Union Européenne à avoir légiféré pour interdire aux élèves le port du « foulard » à l’école (par la loi du 15 mars 2004 prohibant la manifestation ostentatoire d’une appartenance religieuse)2. Pour autant, et c’est ce que je voudrais montrer aujourd’hui, la France n’est pas isolée en matière d’enseignement des faits religieux, elle est même, à sa façon, au cœur d’une évolution européenne vers un enseignement déconfessionnalisé des faits religieux. Puisque nous cherchons à faire le point sur le rapport de Régis Debray, dix ans après, il me plaît également 1 Ecoles européennes, Bureau du Secrétaire Général, document sur « Le cours de religion aux cycles primaire et secondaire dans les écoles européennes » approuvé par le Conseil supérieur les 20 et 21 janvier 2009 (Réf. : 2008-D-356-fr-4)- 2 Comme la France est le seul pays à avoir voté une loi, celle du 11 octobre 2010, interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public. La Belgique s’apprêtait à le faire mais, faute de gouvernement, le projet n’a pas eu de suite pour l’instant. Voir notre étude « Le voile intégral : approches européennes et réactions nord- américaines », in Regards sur l’actualité n°364, octobre 2010, La laïcité à l’épreuve du voile intégral, Paris, La documentation française, pp. 53-65. 2 de souligner que ce rapport a eu un réel impact européen. Traduit totalement ou partiellement en plusieurs des langues utilisées en Europe, c’est, pour les autres pays, le fait que la République française, réputée pour la stricte laïcité de son école, ait elle-même recommandé de développer l’enseignement des faits religieux qui a retenu l’attention et suscité la curiosité. Reste qu’une étude reste à faire sur la réception du rapport Debray à l’échelle européenne. I) Perspectives européennes : un décentrement nécessaire Le décentrement par rapport à une approche hexagonale que provoque un cadrage européen vient surtout du fait que l’Europe nous confronte à une grande diversité de dispositifs nationaux de relations Religions-Etat, des dispositifs hérités d’histoires politiques et religieuses spécifiques (y compris dans les interrelations réciproques qui s’y sont nouées entre le politique et le religieux). A cet égard, si la laïcité française peut apparaître comme une exception, il faut immédiatement dire, avec Emile Poulat, qu’il y a dans l’Union Européenne, 27 exceptions. Si, au-delà de l’UE, je prends le cas de la Confédération Helvétique, je suis alors confronté à 27 dispositifs cantonaux de relations Religions-Etat allant de la séparation la plus stricte à des liens étroits avec l’une ou l’autre confession dominante. Jeter un regard sur l’Europe fait d’emblée apparaître dans de nombreux pays une étroite imbrication entre leur identité nationale et telle ou telle religion : la Grèce et l’orthodoxie, le Danemark et le luthéranisme, l’Italie, Malte et l’Irlande et le catholicisme. Le Royaume-Uni, comme Etat multinational, associe une Angleterre anglicane, l’Ecosse presbytérienne, les Pays de Galles des non-conformismes, le cas complexe de l’Irlande du Nord. Des pays comme l’Allemagne, les Pays-Bas et la Suisse ont été très marqués par un bi-confessionnalisme catholico- protestant. Les pays d’Europe de l’ancien bloc communiste qui ont souffert de l’athéisme d’Etat et de la répression antireligieuse, loin d’associer le retour de la religion à un phénomène antidémocratique et « rétrograde », le voit au contraire comme une des dimensions des avancées démocratiques3. Pour comprendre les rapports écoles-religions en Europe, il faut avoir à l’esprit ces arrière-plans nationaux de relations Religions-Etat. La récente décision prise le 18 mars 2011 par la Grande Chambre de la Cour Européenne des Droits de l’Homme selon laquelle la présence de crucifix dans les salles de classes des écoles publiques italiennes, n’était pas contradictoire avec le respect de la liberté religieuse et philosophique des élèves et de leurs parents, montre que la Cour de Strasbourg reconnaît une 3 Ce qui ne signifie pas absence de conflits à ce sujet et réactions négatives face à certaines tentatives de réactivations de pouvoirs cléricaux. 3 large marge d’appréciation des Etats dans ce domaine délicat des relations entre religions- Etat-écoles. Cette décision, prise suite à une procédure d’appel enclenchée par l’Italie en réaction à l’arrêt du 3 novembre 2009 de la CEDH condamnant l‘Italie pour présence de crucifix dans ses salles de classe, montre combien ces questions touchent les façons de comprendre son identité nationale. Le catholicisme étant compris comme un élément de l’identité nationale italienne et de son patrimoine culturel, c’est suite à un tollé de protestations qui n’émanaient pas seulement de la droite mais aussi de la gauche, que l’ Italie prit la décision de faire appel avec l’appui de dix autres Etats (Arménie, Bulgarie, Chypre, Russie, Grèce, Lituanie, Malte, Monaco, Roumanie, Saint-Marin). Bel exemple de la tension que peut susciter la confrontation de droits individuels (la plainte émanait d’une personne originaire de Finlande) et de droits collectifs liés aux traditions nationales. Après les affaires du crucifix en Bavière, cette affaire, dite affaire Lautsi (du nom de la plaignante), n’a sans doute pas fini de faire couler beaucoup d’encre4. Le panorama européen se complexifie encore si, s’agissant précisément de l’école, l’on prend en compte le fait que l’éducation scolaire n’est pas toujours aussi centralisée, comme en France, à l’échelle stato-nationale mais qu’elle peut être régionalisée (comme en Allemagne où elle est de la compétence des Länder) voire même assez localisée à travers la marge de manœuvre reconnue aux autorités locales et aux chefs d’établissements eux-mêmes (comme en Grande-Bretagne). Le partage public/privé est également différent d’un pays à l’autre avec des pays, comme la Belgique et les Pays-Bas, où la majorité des élèves sont scolarisés dans des écoles confessionnelles participant au service public de l’éducation. Je précise enfin que cette diversité européenne, j’ai appris à mieux la connaître, non seulement dans les livres et les études publiés par divers collègues, mais aussi à travers deux expériences européennes que j’ai vécues ces dernières années. La première dans le cadre du Conseil de l’Europe (47 Etats membres incluant des pays comme l’Arménie, la Turquie et la Russie) où, de 2004 à 2006, j’ai été associé comme expert à l’occasion du processus d’élaboration du Livre blanc du Conseil de l’Europe sur le dialogue interculturel. Chargé d’étudier les dimensions religieuses de ce dossier, j’ai ainsi pu participer à différentes réunions internationales organisées par le Conseil de l’Europe à Strasbourg, Lisbonne, Moscou et Saint-Marin. Le Livre blanc du Conseil de l’Europe sur le dialogue interculturel, 4 D’autant plus que les arrêts de la Grande Chambre de la CEDH sont « définitifs » (article 44 de la Convention européenne des Droits de l’Homme). 4 aujourd’hui publié dans de nombreuses langues, a été publié en français en 2008 sous le titre « Vivre ensemble dans l’égale dignité ». Ecartant tout communautarisme et tout assimilationnisme au profit d’une approche interculturelle, ce Livre Blanc préconise une prise en compte démocratique de la diversité culturelle et religieuse, y compris à l’école et dans les médias, sans perdre de vue la cohésion sociale nécessaire à la vie en société. La deuxième expérience européenne fut le projet REDCo (Religion in Education. A contribution to Dialogue or a factor of Conflict in transforming societies of European Countries) qui, de 2006 à 2009, a associé huit pays d’Europe (Allemagne, Espagne, Estonie, France, Norvège, Pays-Bas, Royaume-Uni, Russie) dans une recherche sur l’enseignement relatif eux religions dans les écoles publiques. Cette recherche, financée par l’Union Européenne, s’est tout particulièrement intéressée à l’étude des perceptions et attentes des élèves de 14-16 ans. Outre diverses publications en anglais, elle a donné lieu, pour ce qui concerne les enquêtes menées en uploads/Religion/ jean-paulwillaime-ephe-181276.pdf

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  • Publié le Jui 15, 2021
  • Catégorie Religion
  • Langue French
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