1 NdlR∞∞: Ce colloque était organisé par le Leerhuis van de Kerkvaders, Goudens

1 NdlR∞∞: Ce colloque était organisé par le Leerhuis van de Kerkvaders, Goudensterstraat 21, B–9000 Gent. Nous remercions les organisateurs de nous avoir autorisés à publier cette conférence. Le texte néerlandais a été publié dans Heiliging de septembre 2008, le périodique trimestriel de l’abbaye de Saint-André à Bruges. Les sous-titres sont de la Rédaction. Collectanea Cisterciensia 72 (2010) 334-353 † André LOUF, ocso L’homme intérieur OU LA LITURGIE DU COEUR Cette conférence a été prononcée par dom André Louf en marge d’un colloque1 sur les pères Syriens du 8e siècle, à la paroisse orthodoxe du Saint Apôtre André à Gand, co-organi­ sateur de ce colloque. Le colloque même se passait dans l’Oude Abdij Drongen, près de Gand. Nous sommes heureux de publier en hommage à dom André cette conférence qui touche les grands thèmes par lui développés dans les nombreux livres et articles que nous lui devons. Vocabulaire biblique de l’intériorité La formule ne se trouve pas telle quelle dans la Bible, mais elle est impliquée par une image particulièrement suggestive, employée par saint Pierre dans sa première Lettre, «∞∞ho kruptos tès kardias anthrôpos∞∞» (1 P 3, 4), un hapax dans toute la Bible, littéralement∞∞: «∞∞l’homme caché du cœur∞∞». Dans ce passage, Pierre conseille aux femmes de moins briller par leur parure extérieure, mais de réserver plutôt leurs soins à cet être caché qu’elles portent à l’intérieur d’elles- mêmes et qui se manifeste «∞∞dans l’incorruptibilité d’une âme douce et calme∞∞». L’homme intérieur y est identifié avec le cœur de l’homme dont toute la Bible rappellera l’ambiguïté foncière. Dès la Genèse, Dieu constate que «∞∞toutes les pensées du cœur de l’homme se portent uniquement vers le mal∞∞» (Gn 6, 5). Il connaît un cœur «∞∞endurci∞∞» que, dans le cas du Pharaon, il s’est d’ailleurs lui-même chargé d’endurcir (Ex 7, 3s), mais aussi un cœur «∞∞ramolli∞∞», capable de L’homme intérieur 335 s’humilier devant lui (2 R 22, 19), et surtout un cœur «∞∞brisé et broyé∞∞» par le repentir (Ps 33, 19∞∞; 50, 19) qu’il s’ingénie à guérir (Ps 146, 3). Il reproche souvent l’incirconcision des cœurs (Lv 26, 41∞∞; Dt 10, 16∞∞; 30, 6∞∞; Jr 9, 25). Mais c’est aussi sur les tables du cœur que Dieu viendra écrire sa Loi nouvelle (Pr 3, 3∞∞; 7, 3). Par son prophète, il a promis de changer le cœur de pierre en un cœur de chair (Ez 11, 19∞∞; 36, 26). C’est un tel cœur, un «∞∞cœur qui sache écouter∞∞», que Salomon lui demanda au début de son règne (1 R 3, 9), à la suite de David, son père dont il avait reçu conseil suivant∞∞: «∞∞Garde ton cœur plus que toute autre chose, car de lui viennent les sources de la vie∞∞» (Pr 4, 23). L’enseignement de Jésus au sujet de l’intériorité s’inscrit dans cette tradition. Jésus béatifie les cœurs «∞∞purs∞∞», en opposition à la dureté de cœur qu’il reproche à ses auditeurs (Mc 16, 14∞∞; cf. Rm 2, 5∞∞; Ep 4, 18). Car c’est la méchanceté sortant du cœur qui souille l’homme, non pas des pratiques extérieures au cœur (Mt 15, 18s). En effet, «∞∞la bouche parle du trop-plein de son cœur∞∞» (Mt 12, 34), et «∞∞l’homme bon tire ce qui est bon du bon trésor de son cœur, et celui qui est mauvais, de son mauvais fond, tire ce qui est mauvais∞∞» (Lc 6, 45). C’est chez Luc que nous trouvons la belle formule du cœur «∞∞kalos kai agathos – beau et bon∞∞» (Lc 8, 15) qui donnera à la semence de la Parole de porter son fruit. Le cœur est, en effet, le lieu où, à l’exemple de la Vierge, l’on «∞∞repasse∞∞» la Parole (Lc 2, 19) car, rappellera saint Paul, en reprenant un verset du Deutéronome∞∞: «∞∞La Parole est près de toi, sur tes lèvres et dans ton cœur∞∞» (Rm 10, 8). Le cœur est aussi le lieu qui devient tout brûlant lorsque Jésus en personne nous interprète les Écritures (Lc 24, 32). Il est aussi le temple du Saint-Esprit∞∞: «∞∞Ne savez-vous pas que votre corps est un temple du Saint-Esprit qui est en vous et que vous tenez de Dieu∞∞?∞∞» (1Co 6, 19), un temple où se célèbre la prière, tant liturgique qu’inté­ rieure∞∞: «∞∞Récitez entre vous des psaumes, des hymnes et des can­ tiques inspirés∞∞; chantez et célébrez le Seigneur à l’intérieur de votre cœur∞∞» (Ep 5, 19). L’expression de Pierre, «∞∞l’homme caché du cœur∞∞», regroupe et résume tous ces éléments. Saint Paul l’utilise à son tour dans la deuxième épître aux Corin­ thiens (4, 16-18). Il y oppose «∞∞l’homme intérieur∞∞» à «∞∞l’homme extérieur∞∞». Alors que ce dernier, guetté par la mort, se dégrade pro­ gressivement et «∞∞s’en va en ruine∞∞», «∞∞l’homme intérieur∞∞» est déjà présent, et son activité, provisoirement invisible, nous prépare «∞∞une masse éternelle de gloire, à nous qui ne regardons pas aux choses visibles, mais aux invisibles∞∞; les choses visibles en effet n’ont qu’un temps, les invisibles sont éternelles∞∞». 336 † André Louf, ocso Cette réalité intérieure à l’homme ferait-elle peur à nos contempo­ rains∞∞? On pourrait se le demander en constatant que le texte d’Éphé­ siens, que l’on vient de citer, est aujourd’hui généralement traduit par «∞∞chantez et célébrez le Seigneur de tout votre cœur∞∞», traduction qui, à la rigueur, pourrait se justifier du point de vue de la lexicogra­ phie, mais à laquelle aucun Père de l’Église n’a jamais pensé, eux qui, avec une belle unanimité, interprètent ce texte de la liturgie inté­ rieure du cœur. C’est là une tranquille conviction qui parcourt comme un fil rouge toute la Tradition patristique∞∞: cette liturgie intérieure de la prière, en dépit des apparences ou malgré notre infidélité, nous est toujours donnée d’avance. Elle est sans cesse déjà là et ne nous quitte jamais. Saint Paul le rappelle explicitement. Bien sûr, concède-t-il, «∞∞nous ne savons pas prier comme il faut, mais l’Esprit vient en aide à notre faiblesse […], l’Esprit lui-même intercède pour nous en gémisse­ ments ineffables∞∞» (Rm 8, 26). Tout extraordinaire qu’elle soit, cette donnée n’a rien d’excep­ tionnel∞∞: elle est le sort commun de chaque baptisé. En recevant la vie de Dieu en lui, et en devenant ainsi fils de Dieu par adoption, le baptisé reçoit en même temps le don de l’Esprit Saint. Or cet Esprit est un Esprit toujours en prière, qui crie inlassablement dans nos cœurs∞∞: «∞∞Abba, Père∞∞!∞∞» C’est là un véritable trésor, à vrai dire inouï, que chaque chrétien porte au plus intime de son être, la plu­ part du temps à son insu. Ce qui n’enlève rien à la bouleversante réalité de cette présence en lui car, dans les profondeurs de tout croyant, grâce et prière se confondent∞∞; être en état de grâce, c’est être en état de prière. Même s’il n’y prête pas attention, le chrétien est toujours quelque part en prière. Ou plutôt, l’Esprit Saint célèbre la prière en lui. Chemins d’accès S’il en est ainsi, toute «∞∞méthode∞∞» ou «∞∞technique∞∞» de prière ne pourront avoir d’autre objectif que de mettre le «∞∞priant∞∞» que chaque croyant est déjà, en contact avec cette prière divine en lui. Les for­ mules de prière que lui-même pourrait inventer, le recueillement et le silence intérieur auxquels il pourrait s’appliquer, n’ont d’autre sens que de rendre consciente cette prière et d’en faciliter l’émergence. En effet, elle est depuis toujours à l’œuvre en lui, mais à l’état incons­ cient, et cela dans une profondeur d’inconscience qui va bien au-delà de cet inconscient psychologique que nous savons mieux analyser de nos jours. Car il s’agit d’un inconscient qui touche aux racines mêmes L’homme intérieur 337 de notre être, méta-physique et méta-psychique au sens le plus fort du mot, là où celui-ci plonge en Dieu, là aussi où il rejaillit sans cesse à partir de Dieu. Il faudrait pouvoir longuement se recueillir autour de cette réalité intérieure au plus intime de nous-mêmes, pour en mesurer toute la densité et en savourer toute la douceur. Quels que soient les souve­ nirs pénibles ou désolants que nous avons pu garder de nos «∞∞efforts∞∞» ou de nos «∞∞essais∞∞» de prière, nous savons – et parfois nous ressen­ tons – dans la foi, qu’il existe en nous un lieu secret, véritable ora­ toire, où la prière ne s’interrompt jamais. Dieu nous y interpelle continuellement et nous nous y trouvons reliés à lui, en profond contact avec lui. Au Moyen Âge latin, on appelait ce lieu la domus interior, la «∞∞maison intérieure∞∞», ou le templum interius, le «∞∞temple intérieur∞∞». Bien sûr, nous ne le voyons pas pour autant, nous n’en­ tendons pas la prière qui s’y célèbre. La plupart du temps, nous n’en «∞∞ressentons∞∞» strictement rien. Nous pouvons seulement y croire fermement, avec une assurance toujours grandissante dans la mesure où, un peu à la fois, Dieu soulèvera un coin du voile et permettra qu’une petite part de cette activité inconsciente de la prière vienne à la surface de notre conscience. Parfois il s’agit seulement d’un rapide éclair, un simple «∞∞flash∞∞» bref et passager, mais qui illumine défini­ tivement des pans entiers de notre existence, et dont le souvenir uploads/Religion/ l-x27-homme-interieur.pdf

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  • Publié le Sep 29, 2021
  • Catégorie Religion
  • Langue French
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