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ç LÀ MISSION DE SUZETTE LABROUSSE À ROME Des médecins qui prétendent faire de l'histoire ont vu dans la Révolution française un cas de folie collective (1). Cette théorie e relève d'aucune discipline. La seule constatation qui soit per- mise, c'est celle de l'existence d'un petit nombre de névrosés qui, à la faveur de certaines circonstances, ont pu jouer à cette époque un rôle auquel semblait mal les destiner leur.céréhralité anor- male. Tel est le cas de la "mystique révolutionnaire ,, Suzette La- brousse (2), dont, en attendant l'étude jadis promise par M. Bus- sières (3), je voudrais rappeler la curieuse fortune, et, en par- ticulier le voyagé en Italie. Née, le 8 mai 1747, à Vanxains, petit bourg du Périgord, proche de Ribérac, Sozette Labrousse fut folle dès sa prime - jeunesse (4), et subit très tôt les atteintes d'un mysticisme ex- cessif. Elle vivait dans une sorte de maladie délicieuse où la crainte et le repos se mêlaient à je ne sais quelle vague las- - (1) Docteurs Nast et Cabanès, La névrose révolutionnaire, Paris, 1906, in-180. (2) C'est le titre même du peu critique ouvrage de l'abbé Christian Moreau, Une mystique révolutionnaire, Suadte La&rousse, d'après ses manuscrits et des documents officiels de son époque, Paris, 1886, in-80 (Bibi. rat., L 27 n 36202). (3) Études historiques sur la Révolution en Périgord, 3 partie, Paris, 1903, in .80, p. 454, n. 1. - A noter qu'en dehors de Lairbullier, Les femmes célèbres de la Révolution (Paris, 1840, 2 in-80), les auteurs qui se sont occupés des femmes de àette époque ont négligé de parler en détail de Suzette Labrousse (M. Dreyfous, Les femmes de la Révo- lution, Paris, s. d. [19041, in-4 0 ; Emrnakd]er, Die ôeriihmten .Fraueii der franzvsischen Revolution 1789-1795, Vienne, 1906, in-80). (4) Sur la « grande névrose » de Suzstte Labrousse, voy. Moreau, op. cil., p. 233-256. I BIBUOTIIEQIJE 'I { Document I Il II lI 11111 11111 11111111 LIII 0000005409969 1 312 LA MISSION DE STIZETTE LABROUSSE À ROME (4) situde de toutes les facultés , pleurait à l'image d'un Christ saignant, écoutait des voix qui lui ordonnaient la réforme de l'église, jetait dans ses aliments de la suie et du fiel, dormait sur des tessons et des cailloux. Vers l'âge de vingt ans, on refusa de 1'acepter au convent de Sainte-Ursule de Périgueux à cause de sa piètre sant& Déjà, sa renommée s'étendait dans le pays et inquiétait les autorités ecclésiastiques: l'évêque de Périgueux, M. de Flamarens, crut devoir jeter au feu un de ses écrits.. Maii cet auto-da-fe ne devait pas modifier le caractère de Suzette. Il empira même quand elle eut fait la connaissance de dom Gerle, prieur de la Chartreuse de Vauclaire, qui devait être un des plus étranges types de l'Assemblée Constituante et qui entra dans le petit groupe déiste de Catherine Théot (1). Suzette a alors 22 ans: elle dogmatise, elle prophétise. Elle correspond avec dom Gerle, avec les directeurs du collège de Mussidan, elle s'impose à un prêtre fort pieux, Pontard (2), qui devint plus tard évêque constitutionnel de la Dordogne (3). Elle édite des (1)Albert Mathiez,'Contributions à l'histoire religieuse de la Révolu- Lion française, III, Paris, 1907, in-18 0 (BibliotE. d'hist. cont.), p. 91-142. (2)Sur les frères Chaminade, de Mussidan, voy. le R. P. J. Simier, Guillaume-Joseph. Cluaminade..., fondateur de la Société de Marie..., Paris-Bordeaux, 1902, in-S", p 30-31 - Sur Pontard, voy. P. J. Crédot, Pierre Routard, évêque constii,dionuel de la Dordoqne, Paris; iS, in-S°; abbé Paul Pisani, Répertoire biographique de l'épiscopat cons- titutionnel, Paris, 1907, in-80, p. 426-427. (notice sèche et hostile). Sur l'état d'esprit de Poutard en 1792, voy. son Journal prophétique, Ire se- maine de mars 1792, p. 91: « Tu survivras, religion sainte que j'adore, k la perte des ministres prévaricateurs! Aussi c'est avec délices que je parcours les prophéties que contiennent lés livres sacrés, et c'est avec effusion de coeur que je publie des prédictions qui m'en font entrevoir l'accomplissement prochain.. Non, la religion ne périra pas, au con-, traire, c'est des débris même du clergé que vont sortir les saints, les hommes de Dieu, les apôtres et les vrais disciples du Sauveur!». (3) Le célèbre abbé Fauchet parlait ainsi des relations de Suzette Labrousse et de Pontard (Journal des amis, n° 48, cité par Crédot, op. land., p. 524): « Les pi-ophéties de la fille Labrousse, que j'ai en- (5) LA MISSION DE SUZETTE LABROUSSE À ROME 313 énigmes prophétiques, où ses commentateurs. dom Gerle et Pontard, n'auront pas de peine 'n voir qu'elle annonce la Révo- lution française (1). De fait, ses idées sont tout ce qu'il y a de plus nébuleux. De ci, de là, on rencontre dans ses écrits quelques échappées intéressantes où elle n su exprimer le charme de la méditation intérieure (2). Mais elle est surtout un écho, écho infidèle et confus, des bruits qui frappent ses oreilles, et ses opinions évo+ lueut, se radicalisent, à mesure que la Révolution s'accentue (3). Surtout, elle amplifie et s'incorpore mystiquement les opinions ambiantes et, avec sa mité maladive de folle, elle finit par croire qu'elle a une mission à remplir dan l'univers chrétien: Le but est de rendre les hommes meilleurs en les dépouil- lant de leurs préjugés . 2 . - L'évangile sera préconisé par tout l'univers. - Ce que l'on appelle aujourd'hui n'est qu'un prlimi naire de ce que doit entraîner après lui l'événement attendu (4). tendue deux fois, qui est sincèrement dupe d'une imagination très exaltée, pourrie dès son enfance d'idées fantastiques et qui, à force de prédire, a dû quelquefois rencontrer juste, lui ont renversé la tête ». Tout le Jôurnal prophétique de Pontard, qui paraîtra du jer jan- vier 1792 à la fin d'octobre 1793, sera plein de Suzette Labrousse. (1) Les écrits prophétiques de Suzette Labrousse ont été groupés dans les textes suivants: Prophéties de 3flik de La Brousse concer- tant la Révolution française, suivies d'une prédiction qui annonce la fin du inonde, s. 1., 1790, in-80 (Bibi. nat., L b 19 8907); Recueil des uvrages de La célèbre Me"' Labrousse (pubi. pr Pontard), Bordeaux, 1797, in-80 (L d' 6887); Pontard, Précis de la vie de Suzette Labrousse, Bordeaux, 1791, in-10' (L b 20 9832); Moreau, op. ait. - Joindre nu apo- cryphe de l'abbé Fauchet, Prophéties de M' 1' de Labrousse, s. d., n. d. (L b 3' 8906). Cf. M. Tourneux, Bibliogr. de l'hist. de Parisi t. TV, Paris, 1906, in-40, p. 334-335. (2) Dans ses Réponses aux opinions de l'abbé fi-faury sur la Cons- ituti6rt civile du clergé (Moreau, op. cit., p. 119-109). (3) Discours sur les objections qu?on lui a faites sur la Consti- tution, etc. (Moreau, op. ait., p. 170-175); Discours sur les objections... -que j'ai délibérées en public (Id., ibid., P. 175-225). (4)Lettreàson cousin, dn4février 1790 (Moreau, op. ait., p. 115.119). LI 314 LA MlSl0N DE SUZETTE LABROUSSE À ROME 6) Si les circonstances s'y prêtent, elle ne faudra pas à tenter de remplir sa mission. Ses amis créèrent les circonstances. Dom Gerle et Pontard gardèrent à Versailles et à Paiis leur foi en la prophétesse périgourdine, et il proclamèrent partout son extraordinaire vertu. A l'Assemblée, dom Gerle, le 13 juin 1700, disait d'elle quelques mots, au milieu d'un brouhaha inexpri- mable, à l'occasion de la Constitution civile du clergé (1), puis publiait une relation à son sujet (2). Pontard restait en corres- pondance avec la mystique de lTauxaius et servait ce qu'il croyait sa cause (3). Elle ne tarda pas à entrer en bonne place dans la chronique amusante de la ville, et fut le 'sujet de plusieurs. pièces satiriques (4). Pour elle c'était la renommée, la consé- cration de sa mission, jadis prédite par ses voix; le 17 juin 1790, apprenant qu'on avait parlé d'elle à l'Assemblée; elle s'écriait: Enfin! le jour est venu où je ne reste plus une incon- nue (5). Au début de 1792, elle pensa que l'heure était arrivée d'élu- cider ses énigmes. Elle eut l'idée de venir à Paris pour demander aux évêques constitutionnels présents si elle pouvait aller à Rouie, afin de réformer l'église dans sa tête et de faire consacrer par le pape la Constitution civile du clergé (6). (1) Moniteur, Réimpr., n° 165. (2) Renseignements donnés au public par Dont Gerte..., sur des faits relat4 è M u La Brousse.., s. U., n. 1., in-80 (L b 8904). (9) Le prospectus du Journal prophétique est du 28 novembre 1791 (L e 2 664). (4) Le Pucelage ou la Franco saurée, s. d. n. 1., in-80 (L b '° 8905); La dinde aux truffes ou te don patriotique des Périgourdins è l'As- semblée nationale, s. 1. n. d. iù-80 (L b 393117); Les amours de dom Gerle (dans Moreau, op. cil., p. 81-112). (5) Moreau, op. cit., p. 64. - Une lettre d'évêques, non signée, du 27 avril 1700, k Suzette Labrousse et publiée dans le Journal proS ph étique de Pontard, paraît apocryphe (p. 1-3). (6) Sur les circonstances romanesques de son départ uploads/Religion/ la-mission-de-suzette-labrousse-a-rome.pdf

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  • Publié le Fev 24, 2021
  • Catégorie Religion
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