Revue néo-scolastique Le Thomisme et les résultats de la psychologie expériment

Revue néo-scolastique Le Thomisme et les résultats de la psychologie expérimentale Dr V. Ermoni Citer ce document / Cite this document : Ermoni V. Le Thomisme et les résultats de la psychologie expérimentale. In: Revue néo-scolastique. 5ᵉ année, n°18, 1898. pp. 105-122; doi : https://doi.org/10.3406/phlou.1898.1595 https://www.persee.fr/doc/phlou_0776-5541_1898_num_5_18_1595 Fichier pdf généré le 27/04/2018 V. Le Thomisme et les Résultats de la psychologie expérimentale. S'il est en philosophie une question où le génie de saint Thomas, marchant sur les traces d'Aristote, ait clairement entrevu la vérité, c'est bien celle des relations de L'âme et du corps, ou, comme on dit aujourd'hui, des rapports du physique et du moral. Ce problème, qui est en définitive le problème central de la psychologie, a reçu de la scolastique une solution que les découvertes de la science expérimentale confirment chaque jour d'une manière admirable. Il est possible que la philosophie des docteurs du moyen âge se soit trompée sur d'autres questions ; mais il serait injuste de ne pas reconnaître avec quelle justesse de vues elle a résolu le problème dont nous allons nous occuper dans ce travail. Un texte de saint Thomas, devenu pour ainsi dire classique et qu'il est bon de rappeler ici, met en pleine lumière, quoique d'une manière synthétique, les relations du physique et du moral *). Les scolastiques, en s'emparant des données d'Aris- ]) " Secundum naturœ ordinem propter colligationem virium animée in una essentia et animée et corporisin uno esse compositi, vires superiores et etiam corporis invicem in se effluunt quodin aliquo eorum superabundat ; et inde est quod ex apprehensione animse transmutatur corpus secundum colorera et frigus et quandoque usque ad sanitatem et œgritudinem et usque ad mortem : contingit enim aliquem ex gaudio vel tristitia vel amore mortem incurrere. Et similiter e converso.quodtransmutatio corporis in animam redundat. Anima enim conjuncta corpori ejus complexiones imitatur secundum amentiam vel docilitatem et alia hujusmodi. Similiter ex viribus supe- rioribus fit redundanlia in inferiores, ut quum ad motum voluntatis intensum sequitur passio in sensuali appetitu et ex intensa contemplalione retrahun- REVUE NÉO-SCOLASTIQUE. 8 106 V. ERMONI. tote et en s'appujant sur la plus élémentaire expérience, avaient donc énoncé un grand fait psychologique. Eh bien ! quelle a été l'attitude de la science moderne par rapport à une pareille doctrine \ Nous le constaterons au cours de ce travail. On nous avait annoncé avec une assez grande assurance que les découvertes de la physiologie et de la psychologie expérimentale allaient démolir le vieil édifice de la scolastique, et voilà que, par une amère ironie des choses, les progrès de la physiologie attestent à tout moment l'exactitude des doctrines de nos grands docteurs. Au fur et à mesure qu'ils se réalisent, ces progrès ne semblent être autre chose que la preuve expérimentale des formules du moyen âge. Nous voudrions aujourd'hui examiner un aspect de ce problème très complexe et montrer que certains faits, mis en lumière par la psycho-physiologie contemporaine, ne trouvent leur véritable explication que clans la philosophie scolastique prise dans ses grandes lignes. Nous bornerons nos observations à la vie émotionnelle et à la vie intellectuelle de notre âme. I. LA VIE EMOTIONNELLE. 1° Les faits. Tous ceux qui sont au courant de la théorie de saint Thomas sur les passions, savent parfaitement que le grand docteur entendait par passion, prise au sens strict comme nous l'envi- tur vel impediuntur vires animalis a suis actibus ; et e converso ex viribus inferioribus fit redundantia in superiores, ut quum ex vehementia passionum in sensuali appetitu existentium obtenebratur ratio ut judicet quasi simplici- ter bonum id circa quod homo per passionem afficitur,,. (Qq. disp., De Verit., q. XXV, art. 10. Concl.). — Dans ce passage, saint Thomas se contente de constater le fait qui est, du reste, un fait d'expérience. THOMISME ET PSYCHOLOGIE EXPERIMENTALE. 107 sageons ici, une affection de notre âme produisant un certain changement matériel dans l'organisme. Ainsi, d'après l'Ange de l'École, une passion est une impression qui affecte le composé, donc à la fois l'âme et le corps. Nous croyons qu'il serait inutile de passer en revue tous les passages où le saint docteur enseigne cette doctrine, et de faire étalage d'une exubérante érudition ; ce serait d'autant plus déplacé que, dans un recueil comme celui-ci, il n'est pas permis de s'attarder trop longtemps à l'exposition des systèmes scolastiques : les lecteurs les connaissent suffisamment. Ce qu'on doit chercher avant tout, c'est de mettre ces mêmes systèmes en contact avec les découvertes do notre époque et de les soumettre à ce redoutable mais décisif contrôle. Nous ne visons pas à faire de l'archéologie philosophique ; nous cherchons à défendre les doctrines du passé contre les attaques du présent et à les concilier avec les perspectives ouvertes devant nous. On nous pardonnera donc de ne citer, à l'appui de notre thèse, qu'un nombre assez restreint de textes. Saint Thomas affirme que le mouvement du cœur subit le contre-coup de toute passion de l'âme *). Le tempérament du corps intervient, dit-il, dans toutes les passions do l'âme 2). Dans les passions de l'âme, ajoute-t-il, il se produit un changement du cœur 3). — D'une autre façon, quoique indirecte, le saint docteur insinue la môme doctrine. Il déclare en effet !) " In omni passione animée additur aliquid vel diminuitur a naturali motu cordis, in quantum cor intensius (accélération) vel remissius (ralentissement) movetur secundum systolen et diastolen,,^(la 2ae Q. XXIV, art. 2. ad 2) " Complexio corporis operatur ad omnes passiones animœ ut puta ad iram, mansuetudinem, timorem, confidential» et hujusmodi ; videntur ergo passiones omnes animée esse cum corpore. Et quod ad hujusmodi passiones operetur complexio corporis, probat... quia nos videmus quod aliquando superveniunt durée et manifestas passiones et homo non provocatur neque timet „. (De Anima, Lib. I, lect. 2). 3) " In gaudio, amore et caetera hujusmodi, ratio passionis salvatur secundum quod cor per hujusmodi dilatatur vel accenditur vel qualitercumque disponitur aliter quam sit ejus communis dispositio „. (Qq. clisp., De Verit., q. XXVI, art. 8, concl.). 108 V. ERMONI. que le sujet, partiel bien entendu, du plaisir en particulier 'et des passions en général est l'esprit animal ]). Examinons maintenant le travail qui s'accomplit autour de nous depuis quelques années. Les résultats de la psychophysiologie ont-ils confirmé ce premier point ? Nous répondons sans aucune hésitation : oui. La psychologie des laboratoires a repris de nos jours la même question en changeant uniquement les termes. Les anciens nous parlaient de passions ; aujourd'hui on nous parle d'émotions. Quant au fond de la thèse, il est absolument le même chez les anciens et les modernes. Très souvent, ce qu'on nous donne comme du nouveau n'est que du vieux présenté sous d'autres expressions. Or, il est notoire que la psychologie expérimentale regarde actuellement, comme une vérité indiscutable, qu'il y a dans la joie et les états analogues une dilatation des artériolcs, et dans la tristesse et les états similaires une vaso-constriction des artérioles. Ainsi M. de Fleury a constaté, en expérimentant sur une jeune fille, que la joie, l'excitation, la colère, la violence s'accompagnent d'une hausse croissante de pression, tandis que la tristesse, la modestie et tous les états de ce genre vont de pair avec l'hypotension 2). Angell et Lehmann ont constaté le même fait, mais avec des variantes dans la loi à laquelle il obéit. Ils ont vu que les excitations agréables 1) " Subjectum delectationis et omnium animée passionum est spiritus ani- malis... Ad hoc autem quod spiritus appetatur ad delectationem duo requi- runtur, scilicet débita quantitas et débita qualitas „. (IV Sent, List., XLXI, q. Ill, art. 2, concl.). — Qu'on ne se méprenne pas sur la signification de ces paroles. Dans ce passage, saint Thomas n'indique qu'un des éléments qui prennent part aux appétits sensibles. Car, d'après sa doctrine bien connue, le sujet total du plaisir et de tous les appétits sensibles n'est ni le corps seul ni l'âme seule, mais tout le composé. — A l'appui de cela, on peut lire la longue Conclusion de l'art. 3 de la qu. LXXXI, de la la P. Cette conclusion se résume en ceci : In honiine appetitus sensitivus obedit rationi. — D'autres textes du saint docteur sont aussi assez connus, pour qu'il ne soit pas nécessaire d'insister sur ce point. 2) Traitement de la tristesse dans la Nouvelle Revue, 1896. — II serait très intéressant de connaître la raison de cette coïncidence. Malheureusement les recherches dans ce sens n'ont donné jusqu'ici aucun résultat. THOMISME ET PSYCHOLOGIE EXPÉRIMENTALE. 109 produisent de la vaso-constriction comme le font les excitations désagréables, la seule différence consistant en ce que les effets des premières sont moins marqués que ceux des secondes 1). Nous ne pouvons pas non plus nous dispenser de mentionner les expériences de Lehmann, bien qu'elles manquent un peu de précision. Cet auteur a observé que les impressions agréables produisent une augmentation de l'amplitude du pouls et une augmentation de volume, tandis que les impressions pénibles produisent une diminution de l'amplitude du pouls provenant d'un affaiblissement des contractions du coeur 2). D'après uploads/Religion/ le-thomisme-et-les-resultats-de-la-psychologie-experimentale-dr-vincent-ermoni.pdf

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  • Publié le Mai 09, 2022
  • Catégorie Religion
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