Jean Gagé Pyrrhus et l'influence religieuse de Dodone dans l'Italie primitive (
Jean Gagé Pyrrhus et l'influence religieuse de Dodone dans l'Italie primitive (quatrième et dernier article) In: Revue de l'histoire des religions, tome 147 n°1, 1955. pp. 1-31. Citer ce document / Cite this document : Gagé Jean. Pyrrhus et l'influence religieuse de Dodone dans l'Italie primitive (quatrième et dernier article). In: Revue de l'histoire des religions, tome 147 n°1, 1955. pp. 1-31. doi : 10.3406/rhr.1955.7193 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhr_0035-1423_1955_num_147_1_7193 л Pyrrhus et l'influence religieuse de Dodone dans l'Italie primitive (Suite)1 V ESQUISSE D UNE HISTOIRE RELIGIEUSE DE DODONE ET DE SON INFLUENCE DANS L'iTALIE PRIMITIVE Après la monographie, précieuse d'ailleurs, de Carapanos, et malgré des enquêtes plus récentes de M. M. P. Nilsson, l'histoire religieuse de Dodone continue d'être un peu obscure, et surtout discontinue. Les allusions homériques prouvent la relative importance du culte de ce Zeus à une époque par là même antérieure au vine siècle, sans garantir pour autant qu'il ait été florissant dès le temps assigné à ce que nous appelons la guerre de Troie (xni-xiie siècles). Le fonctionne ment de l'oracle est bien attesté à l'époque classique, mais le mythe de son origine — l'arrivée des premières prêtresses Péléiades — est difficile à dater. Remarquons seulement que son thème — la création de l'oracle sous une influence thé- baine (Thèbes d'Egypte !) — si arbitraire qu'il paraisse, peut répondre historiquement à une parenté ou une filiation effec tive. Les beaux travaux de M. P. Nilsson sur la religion minoenne et ses survivances dans les cultes de la Grèce classique ont justement montré l'existence, dans le monde crétois, de tous les éléments essentiels que nous avons recon nus dans le culte de Dodone : l'adoration d'un arbre sacré, le 1) Cf. RHR, CXLV, p. 137-167; CXLVI, p. 18-50, 129-139. 2 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS rôle de femmes probablement prêtresses dans cette adoration, sous la forme de vertiges extatiques à ce qu'il semble, enfin celui d'oiseaux perchés sur cet arbre ou sur des piliers le repré sentant1. Nous pensons même que M. Nilsson est revenu sur ce dernier point trop en deçà des intuitions d'Arthur Evans, qui avait soupçonné l'existence de « piverts du Zeus crétois », et jusqu'à une équivalence entre le bec de ces oiseaux sacrés et le symbole de la hache ou double hache. Toute notre étude tend à confirmer cette articulation complète de symboles.' Mais la religion d'une divinité « dendritès » tout entière pour rait se révéler un jour comme Cretoise d'origine ; il n'est pas jusqu'aux rites de pendaison à cet arbre, et par conséquent aux pratiques représentatives de la suspension des oscilla, qui ne puissent finalement trouver là leurs lointains prototypes rel igieux. Et en ce sens, si notre hypothèse est juste, les quelques traits de la religion ombrienne ou sabine qui présenteraient avec ceux de la Crète minoenne une ressemblance à première vue surprenante et artificielle pourraient historiquement se justifier par l'influence sur ces civilisations d'une Dodone elle- même héritière de cultes crétois. Mais nous n'évoquons ces problèmes que pour mémoire ; ils sont hors de notre enquête et de notre compétence. Malgré le progrès des recherches, il nous faudrait une meilleure connaissance de l'histoire de ces can tons de la Grèce occidentale de l'Épire à Céphallénie, entre l'époque mycénienne du Péloponèse et de la Thessalie et le mouvement des invasions doriennes, pour apprécier ce que put être le rôle de Dodone à la fin du IIe millénaire. Il nous faudrait en même temps une information ethnographique plus précise sur les peuples qui à ce moment habitaient ces cantons et notamment sur l'éventuel rapport des SeXXot de Dodone avec la souche première des « "EXXtjvsç » proprement dits. Une chose nous paraît digne de réflexion : située sur le 1) M. P. Nilsson, The Minoan-Mycenaean Religion and its survival in Greek religion, Lund, 1950, p. 338 sq., renvoyant à Wide, Байт, Vogel und Axt, dans la Festskrift iillegnad К. E. Johansson de Goteborg, 1910, que nous regrettons de n'avoir pu consulter, et à R. Vallois, Autels et culte de Varbre sacré en Crèle dans la Rev. Et. Ane, 1926, p. 122 sq. PYRRHUS ET L INFLUENCE RELIGIEUSE DE DODONE à chemin présumé de l'invasion dorienne, Dodone s'est inté ressée avec constance aux traditions des Achéens. Seul l'éclai rcissement du problème des Pélasges, nous voulons dire l'authen- tifîcation de leur race et de leur habitat dans la Grèce conti nentale à une date déterminable, permettrait sans doute un jour de reconstituer ce chapitre1. Du moins est-il possible, croyons-nous, de recomposer la théologie primitive du sanc tuaire en sa complexité presque surprenante. a) Éléments de la théologie primitive de Dodone ; une cosmologie « post-diluvienne » (?) L'oracle procède assurément avant tout d'un culte « den- drite ». Mais le culte de Dodone comporte d'autres éléments. Nous avons déjà rappelé l'importance qu'il donnait au contact du pied, nu et non lavé, avec le sol : rite pratiqué par ses Selles. Pourquoi l'exigence choquante du pied jamais lavé ? Apparemment au nom d'un tabou rigoureux, le même qui fixait des règles si superstitieuses au franchissement d'un torrent : une sorte de divorce absolu entre l'élément-terre et l'élément-eau : de l'histoire du passage de la rivière macé donienne par l'enfant Pyrrhus à celle de l'ensevelissement d'Alaric dans le lit d'abord asséché du Busento, épisode où nous avons cru reconnaître la survivance d'une superstition locale du torrent, de la lutte homérique d'Achille contre le Xanthe à l'invincible émotion d'Alexandre le Molosse devant l'Achéron de Pandosia, le héros adopté ou investi par Dodone nous apparaît toujours comme devant en quelque sorte à la vertu de ses pieds (le pouce chez Pyrrhus ; chez Achille la vulnérabilité du talon est le renversement du thème) un pou voir magique sur le torrent ; si ce pouvoir lui manque, il est 1) Les observations perspicaces de L. Malten dans Y Arch. f. Religionswiss., 29, 1931, p. 33 sq., permettraient d'entrevoir la descente du Nord vers le Sud, soit directement à travers la péninsule hellénique, soit indirectement à travers un détour en Asie Mineure (Troade), de populations t de sang illyrien mélangé de thrace » correspondant aux deux lignées de Dardanos et des Elymes. Les chemins balkaniques proposés par cet auteur s'accorderaient exceptionnellement, nous semble-t-il, avec notre hypothèse d'une interférence essentielle de Dodone. 4 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS d'autant plus fatalement perdu ; ainsi le bain dans le Styx a oublié le talon d'Achille ! A première vue cette superstition semble contradictoire avec le culte que l'oracle de Dodone rendait au torrent par excellence qu'était l'Achelôos, et avec le titre même de Naïos que portait son Zeus ; car, par quelque etymologie qu'on l'explique, ce surnom impliquait, semble-t-il, la notion essent ielle d'humidité, ou de courant ! Mais la contradiction n'est qu'apparente ; car le secret de Dodone paraît avoir été une cosmologie d'après laquelle l'arbre sacré d'une part, la source d'autre part, naissaient du roc sec : d'après un passage du Phèdre de Platon, l'oracle était celui « du chêne et de la pierre » : Spuoç xocl тетрас1. Nous avons déjà noté que, quelle que fût son espèce, l'arbre de Dodone devait être consi déré comme un cpeXXoSpuç par excellence, c'est-à-dire un arbre naissant du sol pierreux. Un principe de vie, capable de se transformer éventuellement de végétal en animal, de donner en tout cas aux hommes des symboles de généalogie arbustive, naissait ainsi d'une pierre, probablement sacrée en elle-même à l'origine, et, à la fin de son circuit, rendait la source à l'élément humide. La divinité grecque qui semble avoir le mieux représenté ce double aspect, et le rapport essentiel entre le roc dur et le torrent, est évidemment Poseidon ; or ce dieu est tout à fait absent de Dodone, au moins d'après nos témoignages2. Dans la mesure où Neptunus 1) Supra, GXLV, p. 153-54. Peut-être faut-il rapprocher le fait que, d'après une allusion cTHomère, IL, XXII, 126, garçons et filles se contaient des histoires à.Tzb Spuoç (xtxl) ÔLTzb 7iéxp7)ç. M. H. Jeanmaire, Couroi et Courètes, p. 333, suppose qu' « il s'agit probablement de quelque mythe naïf expliquant, par un couple primitif, l'origine de l'humanité ». 2) Notons au passage que le culte d'Achille, dont nous avons vu qu'il s'était enraciné en Epire comme en Thessalie, a pris en certains cas l'aspect d'une religion franchement marine : particulièrement caractéristique est T'Axi^Xeùç IIovTapx^c honoré dans le Pont-Euxin, et qui vient d'être réétudié par Erich Diehl, dans l'article sous ce nom de la Real-Encycl. de Pauly- Wissowa (43e Halbband, 1953, col. 1-18) ; les inscriptions qui le nomment ainsi sont de l'époque impériale, mais les mythes et les indices toponymiques — par exemple l'existence de deux « îles d'Achille » à proximité des bouches du Dnieper et du Dniester, sans compter une t tour de Néoptolème » — prouvent que le culte d'Achille remonte en ces parages aux premiers temps de la colonisation milésienne, sinon aux strates préhelléniques ; il n'est pas resté sans rapport avec les cultes et les mythes de la Tauride. 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- Publié le Apv 04, 2021
- Catégorie Religion
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