Revue des Sciences Religieuses H. de Lubac, Exégèse médiévale, 1959 Robert Jave

Revue des Sciences Religieuses H. de Lubac, Exégèse médiévale, 1959 Robert Javelet Citer ce document / Cite this document : Javelet Robert. H. de Lubac, Exégèse médiévale, 1959. In: Revue des Sciences Religieuses, tome 35, fascicule 3, 1961. pp. 329-332; https://www.persee.fr/doc/rscir_0035-2217_1961_num_35_3_2294_t1_0329_0000_2 Fichier pdf généré le 05/04/2018 COMPTES RENDUS Bruno H. Vandenberghe, o. p., Onze Vaders in het Geloof. Anvers, 't Groeit, s. d., in-16°, 175 p., br. 70 fr. b. L'étude et la lecture des Pères de l'Eglise, de nos pères dans la foi, sont sans doute encore trop confinées dans un cercle restreint de savants. Et la spiritualité de notre temps, caractérisée par un retour vers son propre enracinement, a beaucoup à trouver dans les pages vénérables de ces Anciens. Le petit livre du P. B. H. Vandenberghe, qui est à la foi une introduction à la lecture des Pères et une méditation sur cette lecture, sert fort bien cette fin. Il nous présente une histoire de la patrologie depuis Clément romain jusqu'à Cyrille d'Alexandrie, en s'arrêtant à quelques figures qu'il fait revivre en les situant : Ignace, Justin, Irénée, Clément d'Alexandre, Origène, Tertullien, Hippolyte, Cyprien et Augustin. Cet ouvrage est destiné à nourrir l'intelligence et la foi. Souhaitons-lui une large diffusion. M. BOGAERT. H. de Lubac, Exégèse médiévale, Paris, Aubier, 1959, t. I et II, 712 p. L'extraordinaire érudition de l'Exégèse médiévale du P. de Lubae n'étonne pas, venant du célèbre théologien français ; elle rend impossible le compte rendu adéquat. Les deux tomes de l'œuvre (et il y aura une suite) ont pour thème « les quatre sens de l'Ecriture ». Il s'agit des règles traditionnelles qui s'imposèrent au moyen âge dans l'interprétation de la Bible. Une saine exégèse exigeait alors une « discipline » de vie, accordée à l'étude méthodique. C'est que l'Ecriture était considérée comme l'unique « lieu théologique », contenant toute la Révélation divine ainsi qu'une présence sacrée. Méditée après cette lecture authentique qui est selon l'Eglise, elle ne se réduisait pas à l'explication d'un texte ; elle tendait à l'exploration des mystères, elles devenait un colloque avec l'Esprit Saint. Identifiée à cette démarche de la pensée chrétienne, la théologie était non seulement « regina artium », mais le porche de la vie contemplative. Ce furent les « dialecticiens », honnis par les spirituels qui firent passer le « studium leetionis » avant « l'humilitas cordis ». Les uns et les autres, d'ailleurs, étudiaient et méditaient dans la foi. 330 COMPTES RENDUS La théologie n'était pas encore nettement séparée de l'exégèse et les « questions » étaient d'Ecriture Sainte, une Ecriture qui s'ouvrait aux chercheurs comme une aventure infinie et dont l'interprétation ne pouvait être que sui generis. Le moyen âge pensait qu'elle offrait une polyvalence de sens qui ne dépendait pas de l'ingéniosité humaine, mais de la volonté divine. Les auteurs énuméraient en général soit trois sens : histoire, morale ou tropologie, mystique ou allégorie . . . soit quatre : histoire, allégorie, tropologie, anagogie. D'où venaient ces deux formules ? Ici, le Père de Lubac remonte aux sources : Clément d'Alexandrie, surtout Origène. Délaissant la tradition grecque qui n'a cessé d'influencer latéralement l'Occident, il se limite à l'étude du grand courant qui, par Origène latin, irrigue les siècles jusqu'à saint Bernard. Il souligne le rôle de saint Augustin, de saint Grégoire. Après avoir déclaré que la formule tripartite d'Origène faisait correspondre la tropologie à la morale naturelle, préalable à l'allégorie spirituelle, il marque sa préférence pour la formule quadripartite où la tropologie fait suite à l'allégorie, parce qu'elle est en ce cas la morale des spirituels, vie de sainteté, effluence de la méditation. Il y aurait donc quadritomie, mais sous la réserve fondamentale que voici : comme il est un extérieur et un intérieur, le sens historique s'oppose aux trois autres sens comme la matière à l'esprit. Ces trois derniers ne sont que trois modalités du sens spirituel. Certes, les auteurs du moyen âge n'ont pas donné à l'histoire la place que lui accorde l'exégèse d'aujourd'hui. Ils s'attachaient moins aux événements, relatés par la lettre, qu'à ce qu'ils préfigurent. Mais pour eux ce n'étaient ni des légendes, ni des mythes. Et si le mystère les intéressait plus que le miracle, ils ne vidaient pas pour autant l'histoire de sa vérité : littera gesta dieet. L'Ancien Testament est l'ombre du Nouveau, mais une ombre réelle, évocatrice de la réalité spirituelle définitive, celle qui est Histoire consommée, au terme de l'allégorie. L'allégorie en effet est ce sens de la foi qui lit dans les faits de l'histoire la révélation du Christ (allegoria facti) ; elle s'attache à l'objet même de la foi, elle pénètre l'intériorité du mystère jusqu'au Fait du Christ. Elle est donc le sens de l'édification de la foi. Quant à la tropologie, elle est le sens de l'édification des mœurs : elle parfait le lecteur spirituel et unit à Dieu par la charité celui qui apprend à le connaître par l'intelligence. Avec saint Bernard, elle débouche sur la mystique. L'anagogie lui est semblable sur ce point. En fait, elle est le sens de l'au- delà. L'allégorie fonde l'espérance ; l'anagogie la réalise : elle a un caractère eschatologique. C'est dans cette eschatologie que « la doctrine des quatre sens s'achève et trouve son unité. Car le christianisme est un accomplissement, mais dans cet accomplissement même il est une espérance. » Qu'il y ait ici-bas une prégustation du bonheur final, ce bonheur ne sera jamais dépassé ; il ne peut y avoir d'autre espérance : le quatrième sens de l'Ecriture est donc le dernier. La eritique devant une telle synthèse redoute d'être téméraire et surtout de paraître voiler l'admiration vraie qu'elle éprouve pour un théologien qui brasse les siècles, domine avec aisance une documentation énorme et sait exprimer dans une langue agréable, lumineuse, un sujet embrouillé à souhait. COMPTES RENDUS 331 Cependant le P. de Lubac a bien vu que son travail présentait le flanc à des objections. Il y a répondu et certes, pour des projets de cette envergure, il faut se résoudre à opter pour l'inconvénient qu'on préfère : il est impossible que la méthode d'expression corresponde exactement à la richesse, à la souplesse de l'intuition. Disons tout de suite que nous admettons la substance de la pensée du Père, si nous en discutons la cristallisation. Nous l'approuvons aussi — et très chaudement — d'avoir réhabilité Origène et saint Grégoire. Le P. de Lubac est un théologien plus qu'un philosophe. Il met en singulier relief l'incontestable originalité de la pensée chrétienne, l'arrache aux contaminations, aux syncrétismes. Il se coupe des fonds mouvants de la pensée humaine et jongle avec les siècles, rapprochant avec audace des écrivains que sépare le temps, mais non la foi. Les vagues peuvent se succéder : le soleil est le même. Il est d'ailleurs nécessaire d'ajouter que le moyen âge, nourri de l'Ecriture et des Pères, pénétré de néo-platonisme, a gardé une massive homogénéité. Toutefois n'eût-il pas été bon de faire sentir davantage l'influence du climat philosophique sur des structures de pensée ou de méthode qui lui sont immanentes et transcendantes, qui s'épanouissent en lui sans être de lui, expressions de la spécificité chrétienne ? C'est dire combien la formule quadripartite ne nous agrée pas. Elle existe dans la lettre ; statistiquement nous ne doutons pas qu'elle soit majoritaire. Plus affirmée que vécue, elle est souvent le fait d'auteurs secondaires et tardifs. La formule tripartite correspond à une philosophie latente, métaphysiquement symbolique, mais descriptive aussi de vie intérieure : c'est ce que je me suis efforcé d'exprimer dans Psychologie des auteurs spirituels au XIIe siècle. Soma, psyché, pneuma vont de pair avec les degrés de la connaissance (sensibilia, intelligibilia, intellectibilia). Les distinctions s'y récapitulent dans l'unité, comme les reflets dans la source lumineuse. C'est pourquoi — et l'auteur l'a constaté — le sens historique ne se peut isoler. Il doit toujours rester un « sens » ; il n'a de valeur que par référence au spirituel : l'histoire ne peut se passer de l'éternel, sinon elle n'est pas. En transposant, pour le chrétien, l'histoire de l'Ancien Testament n'existe pas sans le Christ. Quant à la tropologie, elle correspond à la connaissance de soi, de l'âme intelligible, de l'imago ; elle est fonction de l'intelligible que découvre l'allégorie. N'oublions pas que la connaissance est révélation, en ce sens que la mens, par sa fine pointe purifiée, voit l'intelligible et, par la grâce, le monde divin. « Revelata facie », le contemplatif verra face à face. Selon les nécessités du discours et le contexte, la tropologie se situe avant ou après l'allégorie comme l'amour et l'intelligence s'appellent mutuellement jusqu'à se confondre en intellectus amoris par Vunitas spiritus. Toutes deux ont double phase, selon qu'elles sont dans les intelligibilia ou les intellectibilia, selon que la ratio et Vamor sui persistent ou que triomphent Vintelligentia et la caritas. Pour la Bible, c'est le passage de la meditatio à la contemplatio par la speculatio, des signes à cette réalité du Christ que souligne si justement le P. de Lubac ; car uploads/Religion/ lubac-exegesis-medieval.pdf

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  • Publié le Jul 10, 2022
  • Catégorie Religion
  • Langue French
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