François Berriot Marranes, morisques et hérétiques dans la Castille du XVe sièc

François Berriot Marranes, morisques et hérétiques dans la Castille du XVe siècle. Le Fortalitium fidei d'Alphonse de Spina In: Bulletin de l'Association d'étude sur l'humanisme, la réforme et la renaissance. N°20, 1985. pp. 3-11. Citer ce document / Cite this document : Berriot François. Marranes, morisques et hérétiques dans la Castille du XVe siècle. Le Fortalitium fidei d'Alphonse de Spina. In: Bulletin de l'Association d'étude sur l'humanisme, la réforme et la renaissance. N°20, 1985. pp. 3-11. doi : 10.3406/rhren.1985.1468 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhren_0181-6799_1985_num_20_1_1468 I - ÉTUDES MARRANES, MORISQUES ET HÉRÉTIQUES DANS LA CASTILLE DU XVe SIECLE : LE FORTALITIUM FIDEI D'ALPHONSE DE SPINA (1459) A-t-on le droit de reconstituer une doctrine théologique ou une opi nion philosophique, aujourd'hui disparues, à l'aide des réfutations ou des analyses formulées par ceux-là mêmes qui les ont combattues et parfois détruites ? Cette tentative de restitution a été effectuée, avec plus ou moins de rigueur, à propos du rationalisme de la Renaissance ou de l'esprit libertin à l'âge classique (1). Pierre Mandonnet, cherchant à retrouver, dans le De errori- bus philosophorum et parmi les 219 Propositions censurées en 1277, des i nformations précises quant à la pensée des Averroistes et Siger de Brabant, avait indiqué les limites d'une telle démarche, valable, selon lui, lorsque, dans la réfutation formulée par les théologiens orthodoxes, l'opinion attribuée aux hérétiques apparaît de façon structurée et comme ayant été élaborée en véri tables traités par les auteurs incriminés eux-mêmes (2). En tout cas, la tâche semble très hasardeuse lorsque l'on fait appel, pour connaître les théories avancées voici plus de cinq siècles par des hommes ne provenant pas d'un milieu intellectuel bien défini, à un théologien aussi bouillant qu'Alphonse de Spina, grand pourfendeur des hérétiques de son temps, et qui qualifiait a llègrement les Musulmans de «canes sarracenis» tout en accusant les Juifs de crucifier les enfants chrétiens... On se croit cependant quelque peu autorisé à rechercher, dans l'œuvre de cet apologiste, un témoignage sur les hétéro doxies du Moyen Age finissant, lorsque l'on lit, sous la plume de Richard Simon, expert en la matière, que le Fortalitium Fidei avait assez bien repro duit la pensée des hérétiques, des Juifs et des Musulmans vivant en Espagne au XVe siècle (3). Ce traité, achevé en 1459 (4) et plusieurs fois imprimé aux XVe et XVIe siècles après avoir circulé sous forme de copies manuscrites (5), se veut en effet une véritable machine de guerre contre les ennemis de la foi chré tienne, une sorte de stratégie structurée en cinq parties qui se subdivisent cha cune en «consideratio» et «articulus». Le Prologus, où l'auteur indique qu'il appartient à l'Ordre des Frères Mineurs et qu'il a été chargé, par l'évêque de Valladolid, de rechercher et combattre hérétiques et infidèles dans les campa gnes ou les agglomérations urbaines du diocèse -implore la sollicitude divine sur la «misera Hispania» qu'il faut délivrer de l'impiété. Le Livre I commence par récapituler les différents dogmes de la foi catholique- «armatura omnium fidelium in generali»- face aux Juifs, aux Musulmans, aux hétérodoxes ; les quatre autres livres réfutent successivement les doctrines auxquelles se heurte Frère Alphonse dans sa prédication : hérésies de tout genre, Judafsme, Islam... Le traité s'achève par une véritable préfiguration du Malleus de Sprenger et Institor, un curieux De bello demonium qui semble prouver que de nombreux cas de sorcellerie se rencontraient en Espagne, bien avant la Renaissance, et inquiétaient déjà les théologiens chrétiens... Pourtant le lecteur moderne peut surtout découvrir, avec le Fortalitium fïdei, une évaluation assez exacte des obstacles auxquels était confrontée l'orthodoxie dans cette Castille du XVe siècle où d'une part les conversions par la force n'avaient pas désarmé le credo des religions qu'on prétendait faire disparaître, et où d'autre part les hétéro doxies fleurissaient, alimentées par la confrontation du Judaïsme, de l'Islam et du Christianisme ante-tridentin. On est frappé, effectivement, dans le livre III intitulé De Bello Judeo- rum, par le fait qu'Alphonse, dans ses tournées de prédicateur, se trouve face à de nombreux Juifs très superficiellement convertis au catholicisme, vérita bles «neophiti de Judeis christiani». Il donne l'exemple de «conversos» qui, à Tolède ou à Ségovie, continuent de circoncire leurs enfants, pratiquer le sabbat, porter des lampes à la synagogue, prononcer les serments à la mode judaïque, et affirment que la foi catholique n'est que «truffa». Alphonse, du rant ses prêches, repère ces individus, car ils ne se signent pas au moment de l'élévation et refusent les sacrements (II, ff. 52-57). Leurs arguments sont précisément ceux que les «vieux Juifs» opposent aux Chrétiens ; Alphonse -qui cite rarement le Thalmud et les véritables théologiens de la tradition judaïque- semble les reproduire à partir des propos que lui-même ou d'autres Frères mineurs ont pu entendre. Ainsi ces «neophiti» rejettent bien entendu la Trinité comme incompatible avec le monothéisme, et, surtout, nient la divinité du Christ : Jésus ne peut être le Messie, puisqu'il compte, dans sa généalogie, «mulieres meretrices» et ne descend pas de David ; il n'est rien moins que Dieu, ayant péché avant son baptême, prié et subi la tentation durant son existence, tremblé avant de mourir. Son incarnation est d'ailleurs impossible : comment imaginer qu'un Dieu ait pu rester neuf mois «in utero», privant ainsi l'univers de sa présence bienfaisante, pendant tout ce temps là ? L'Esprit et le Fils ne peuvent être de même essence que le Père, et on ne doit point croire en l'Evangile, infidèle au message mosaïque puisqu'il prétendait détruire le sabbat, abolir la circoncision ou la loi du talion ; la Vierge Marie n'a été, comme les autres créatures, qu'une «peccatrix» qui n'a pas mis au monde un Dieu dont la mort aurait assuré la rédemption de l'espèce humaine. Bref, les «conversos» ou les «vieux Juifs» jugent fort mal les Chrétiens, véri tables idolâtres qui adorent le Sacrement de l'autel, comme s'il était possible que le corps du Christ pût être à la fois sous l'espèce d'un pain fractionnable en portions et d'un vin corruptible, dont une partie est consommée et l'autre renversée en terre (III, ff. 77-185). De tek propos, on le constate, relèvent plus de conversations privées que de la tradition thalmudique ou de penseurs comme Maimonide, mal connus, semble-t-il, par Alphonse. Par contre le Frère mineur a beaucoup mieux étudié la théologie islamique (IV ; Considerationes 1-8), puisqu'il a lu, très précisément, le Speculum historiale de Vincent de Beauvais (6) et surtout le Coran, dans la traduction exécutée par Robertus Retenensis, en 1142, sur l'ordre de Pierre le Vénérable, dont il cite plusieurs sourates (7), ainsi que la Doctrina Machometi', bref résumé des principaux hadiths traduits aussi au XI le siècle dans l'entourage de Pierre de Citeaux par Hermannus Dalmaticus (8). Alphonse a lu diverses réfutations de l'Islam : les Contre Sarracenos de «Dominus Cessariensis» et de Jean de Ségovie, ainsi que le Versum revocatorum d'un certain Abdulbaqui ou Alphaz de Malaga, qui, con verti au Christianisme, aurait réfuté le Coran, verset après verset, un peu comme devait le faire Juan Andrea Maurus, dans sa Confusio sectae Mahome- tanae, à la fin du XVe siècle (9). Il allègue enfin quelques textes apocryphes tel le Liber narrationum dont les apologistes catholiques du Moyen Age aimaient se servir, et propose, à son public, une assez bonne analyse de l'Islam, présenté évidemment comme la résurrection des hérésies anciennes et confronté aux dogmes chrétiens (IV, Considerationes 4 et 5). Il a aussi regardé vivre les Musulmans dans les villes castillanes et décrit les lois aux quelles ils s'astreignent «irrationabiliter» et «obediente» : la prière cinq fois le jour, les ablutions, la circoncision, le culte du vendredi, le jeûne du «ama- dem», les règlements relatifs à l'alimentation, les dispositions juridiques con cernant les héritages et les délits (III, Cons.5). Alphonse a d'ailleurs dû lui- même polémiquer avec des Musulmans orthodoxes ou avec des Morisques qui, n'ayant de chrétien que l'apparence, demeurent fidèles à l'Islam et em barrassent le prédicateur par une argumentation que, fort heureusement pour le lecteur moderne, le Fortalitium fidei rapporte avec précision (III, Cons.8). Les adversaires d'Alphonse n'osent-ils pas affirmer par exemple que les Cathol iques ne devraient pas porter le «nomen christiani» eux qui, loin de suivre l'enseignement de Jésus, vivent dans le luxe, ne jeûnent pas, travaillent le jour saint, blasphèment, s'adonnent au culte des images ? Jésus, ajoutent les Morisques, n'était pas Dieu, mais seulement conçu par le souffle divin -«Deo insufflante»- dans le sein de Marie ; il n'a jamais prétendu à la divinité '; incor ruptible et impassible, il n'est nullement mort sur la croix pour racheter qui que ce soit." La Trinité est une pure hérésie, comme l'affirme le Coran -«Non dicatis très, quod Deus est Deus unus»- seule parole inspirée par Dieu alors que l'Ancien Testament et les Evangiles ont été corrompus par des disciples indignes. Le baptême doit en conséquence être remplacé par des ablutions, le sacrement du mariage par la polygamie, et la vénération des images à tout jamais bannie. Frère Alphonse, qui repousse ces allégations par la critique du Coran -jugé incohérent et redondant!- uploads/Religion/ marranes-morisques-et-he-re-tiques-dans-la-castille-du-xve-sie-cle-f-berriot.pdf

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  • Publié le Apv 20, 2021
  • Catégorie Religion
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