Porphyre et Augustin : Des trois sortes de « visions » au corps de résurrection
Porphyre et Augustin : Des trois sortes de « visions » au corps de résurrection 1 À Goulven Madec I. - LA DOCTRINE DU PNEUMA CHEZ PORPHYRE, D'APRÈS UN RÉCENT OUVRAGE DE STÉPHANE TOULOUSE Récemment, Stéphane Toulouse a soutenu à la V e Section de l'École Pratique une thèse importante, sur « Les théories du véhicule de l'âme : genèse et évolu- tion d'une doctrine de la médiation entre l'âme et le corps dans le néoplato- nisme ». Dans ce travail, il esquisse l'origine et le développement de la notion de corps pneumatique, dans le cadre d'une doctrine de l'immortalité et donc de la préexistence de l'âme : ce corps pneumatique se constitue au fur et à mesure que l'âme descend à travers les sphères célestes, et tend vers son incarnation dans un corps humain 2. En effet, à l'occasion de chaque nouvelle incarnation dans un corps terrestre, l'âme doit voyager depuis la sphère « aplane », à travers les sept sphères planétaires et les domaines des quatre éléments, jusqu'à ce qu'elle arrive à la Terre. Mais puisque l'âme, en tant qu'entité intelligible, n'a pas par elle-même de localisation dans l'espace, elle a besoin pour se déplacer d'une sorte de « véhicule » (en grec ancien ô^ïjfjia), constitué d'une substance lumineuse et aérienne, si fine qu'elle se situe aux frontières du matériel et de l'immatériel, du sensible et de l'intelligible. En descendant à travers les sphères célestes, ce véhicule recueille des éléments à partir de chaque sphère 3, en les 1. Le texte qui suit a fait l'objet d'une présentation, le 21 février 2003, dans le cadre des Séminaires sur la « Philosophie au Moyen Âge latin », au Centre d'histoire des sciences et des philosophies arabes et médiévales (UMR 7062) de l'Institut des Traditions Textuelles, Philo- sophie, Sciences, Histoire et Religions, Fédération de recherche n° 33 du CNRS, Villejuif, organisés par A. Galonnier et A. Vasiliu. Qu'ils en soient vivement remerciés. 2. Idée d'origine mésopotamienne, selon F. Cumont. Il faut mettre cette notion en rapport avec celle des « tuniques de l'âme » chez Augustin, telle qu'elle est étudiée par Jean PÉPIN (1954). 3. J. FLAMANT (1977, p. 523 sq. ; 546 sq.) a montré la coexistence chez Porphyre de deux schémas de la descente de l'âme à travers les sphères. Selon le premier, le monde n'est divisé qu'en trois parties : ciel, soleil, lune. A côté de ce schéma, d'origine chaldéenne, on trouve intégrant à son corps pneumatique. Lorsqu'elle arrive sur la terre, donc, l'âme ressemble à une espèce d'oignon dont la couche extérieure est formée du corps sensible en chair et en os, et la couche intérieure du vouç ou du Xoyoç, étincelle du monde intelligible qui constitue ce qu'il y a de divin dans l'homme, son véritable soi-même. Entre l'âme et le corps se situe dorénavant le pneuma, étroitement lié, sinon identique, à l'âme inférieure ou irrationnelle. Au cours de l'existence terrestre de l'individu, ce corps pneumatique, qui sert d'intermédiaire 4 entre le corps et l'âme, est donc, selon les néoplatoniciens, associé à l'âme irrationnelle, et notamment à l'appareil perceptif et représen- tatif ; c'est-à-dire à la faculté de l'imagination. C'est cette faculté qui intervient comme intermédiaire entre le monde sensible et l'intelligible, assurant la liaison entre, d'une part, la perception sensible, processus par lequel l'esprit reçoit de l'information concernant le monde à travers les cinq sens, et, de l'autre, l'intel- lection ou la pensée, qui, bien que tournée vers l'intelligible, n'en est pas moins obligée d'avoir recours aux images que lui fournit l'imagination 5. Après avoir repéré les points de départ de cette doctrine chez Platon 6, son évolution chez les médio-platoniciens et chez Plotin, S. Toulouse en vient à examiner la forme qu'assume cette doctrine chez Porphyre, le philosophe néoplatonicien élève de Plotin. Celui-ci, par rapport aux opinions de son maître Plotin, développe bien davantage « la notion d'un véhicule pneumatique conçu comme un support des activités infra-rationnelles 7 ». En effet, chez Porphyre la doctrine du véhicule pneumatique de l'âme atteint le statut d'une sorte de point- charnière, avant les développements ultérieurs qu'elle subira chez un Jamblique ou un Proclus. La nouveauté de la doctrine porphyrienne, par rapport aux formu- lations de ses prédécesseurs, consiste, selon Toulouse, en ce que « le pneuma est devenu une âme pneumatique qui voyage elle-même dans le monde encosmique selon la vie et l'activité de l'âme ; c'est une âme seconde, en ce sens qu'elle est liée à la seconde naissance des âmes, quand elles entrent dans une division en sept sphères. En effet, Macrobe préserve un schéma, sans doute porphyrien d'origine, où l'âme acquiert sept facultés au fur et à mesure qu'elle descend : c'est ainsi qu'elle reçoit le X o y i c m x o v dans la sphère de Saturne, le 7ipocxTix6v dans celle de Jupiter, le &U(JLIX6V dans celle de Mars, l'alaOïqTixov chez le Soleil, l'èTu&ufjnrjTixov chez Vénus, la faculté d'interpréter (épfjnrçveuTixov) chez Mercure, et le <puxixov dans la sphère de la Lune. 4. Sur le rôle intermédiaire de l'imagination, cf. P. H A D O T 1968,1, p. 197-198 n. 7, citant SYNÉSIOS, De insomn., p. 155, 5-6 Terzaghi = PG 66, col. 1292 B : oXcoç y à p TOÛTO \jLZT0iij}ii6v IO-TLV àXoyiaç x a l Xoyou, x a l àaofjiàTou x a l awfxaxoç, x a l xoivôç ôpoç àfjLçjoXv ; PORPHYRE, Sent. 43. 5. P. H A D O T , loc. cit., citant SYNÉSIUS, De insomn., p. 156, 2 Terzaghi = PG 66, 192 D ; PORPHYRE, Sentence 16. Que la pensée soit impossible sans les images produites par la faculté de l'imagination, c'est la doctrine d'Aristote (cf. De an., 403 a 8-9), que Porphyre fait sienne. 6. Notamment dans le Timée. 1. Op. cit., p. 249 ; cf. G. VERBEKE 1945, p. 372-373. la vie encosmique ; par âme pneumatique, il faut entendre l'âme nécessairement attachée à un véhicule pneumatique, pour le meilleur et pour le pire, c'est-à-dire les facultés infra-rationnelles de l'âme, à commencer par l'imagination ; et c'est ce pneuma désormais qui semble être devenu une réalité moyenne, frontalière entre les deux mondes 8... ». Selon Porphyre, donc, le pneuma n'est autre chose que le véhicule de l'âme. Substrat de l'imagination 9, il semble parfois s'identifier tout simplement avec la partie inférieure ou irrationnelle de l'âme 1 0. En tant que réceptacle ou écran sur lequel les cinq sens projettent ou impriment leurs impressions 1 1, le pneuma est, d'une part, la faculté qui garde les traces de toutes nos représentations sen- sibles ; d'autre part, c'est elle qui intervient dans la production de nos affections (TTOCST)) 12. En effet, lorsqu'on perçoit un objet sensible, l'information est immé- diatement transmise à la faculté imaginative (cpavxaaia) sous la forme d'une 8. Op. cit., p. 2 6 0 . 9. Cf. M . D U L A E Y 1 9 7 3 , p. 7 7 : «...une des caractéristiques de l'eschatologie de Porphyre est l'utilisation par l'âme, dans sa remontée, d'un "corps pneumatique" qui lui sert de véhicule. Ce "véhicule" joue un rôle important dans la psychologie de Porphyre : sans que l'âme se déplace, il la transporte en mille endroits, ou mieux, transporte son image. Par ce biais, le pneuma devient puissance d'imagination...». 1 0 . M . E. KORGER 1 9 6 2 , p. 3 9 ; cf. SYNÉSIUS, De insomn., p. 1 4 9 , 1 6 - p. 1 6 5 , 1 7 Terzaghi (PG 6 5 , 1 2 8 8 A sq.), cité par P . H A D O T 1 9 6 8 , 1 , p. 1 8 7 n. 3 . Cf. PROCLUS, In Tim., III, 2 3 4 , 1 8 - 2 6 : ol 8è xouxwv (lexptwxepoi, (ocniep ol rcepl llop^upcov, x a l 7ipaoxepoi 7iapaixouvxai (xèv X Y ] V xaXoupiivYjv cp&opàv xaxaaxeSavvuvai rou re 6jj][ioiTOç xal ryjç ocXoyou tyufflÇ* àvaCTTOi^eioOa&aL 8è aùxà cpaai x a l àvaXùea&al x i v a xporcov elç xàç acpalpaç, à<p' tov X Y J V auv&smv ëAa)(e, cpupà(jiaxa 8è s l v a i x a u x a èx xwv oupavlcov acpaipwv x a l x a x i o u a a v auxà enjXXéyeiv T Y J V ^ X 7 ) ^ W C T X S x a l eîvai xauxa x a l ( J L Y ) slvai, aùxà $è I x a a x a p j x é x ' eîvai [ir^k Siajxéveiv XT]V l^LOXYjxa a u x â v . Même si l'identité du véhicule et de l'âme irrationnelle n'est pas explicitement affirmée ici, on voit que les deux entités partagent la même origine - l'âme les récolte à partir des sphères célestes dans sa descente - et le même sort après la mort de l'individu : ils sont dissous, en réintégrant les sphères d'où ils ont été pris. Pour l'utilisation du mot cpùpafxa dans le cadre de la doctrine de uploads/Religion/ porphyre-et-augustin-pdf.pdf
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- Publié le Sep 18, 2021
- Catégorie Religion
- Langue French
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