Qu'est-ce qu'un texte sacré ? Conférence donnée le mercredi 22 septembre 2004 p

Qu'est-ce qu'un texte sacré ? Conférence donnée le mercredi 22 septembre 2004 par Odon Vallet Professeur d’Histoire des Religions à la Sorbonne PREMIÈRE PARTIE : LE SENS DES MOTS Dans " textes sacrés ", il y a deux mots que nous allons voir successivement : " texte " et " sacré ". " Texte " vient du latin " textus " qui, à l’origine veut dire " le tissu ", " la trame " et, par métaphore, " l’enchaînement du récit " qui est comme une trame. " Textus " a donc donné en français les mots texte, tissu, toile, textile dans le sens matériel, mais aussi des mots comme prétexte, contexte et même l’adjectif " subtil " (ce qui est sous le texte), c’est-à-dire des sens intellectuels. Le texte a donc un contenant et un contenu, une matière et une pensée. Il est très remarquable de voir que, dans les langues indiennes, et notamment le sanscrit, on retrouve la même correspondance entre la matière et la pensée, entre la substance et l’intellect. La Bible de Genève, tête de Bouddha et le Coran Par exemple, vous avez le mot " sutra ", qui veut dire, au sens premier, cordon, fil (comme le cordon sacré des brahmanes), mais signifie également " ce qui est mince comme un fil ", un trait, un trait qu’on tire au crayon, mais aussi un trait de pensée, un trait de génie, un traité, une règle. Les grands traités rituels védiques s’appellent des " sutras ". Ils sont comme le fil conducteur d’une vie, le fil rouge. Le deuxième mot en sanscrit ayant à la fois un sens matériel et intellectuel est " le tantra ". Le tantra est une chaîne du tissu, une continuité dans ce qui est tissé et, donc, la descendance, qui est une continuité de liens, un processus continu. " Tantra " veut dire aussi système logique, œuvre doctrinale, une œuvre souvent ésotérique, c’est ce qui a donné le " tantrisme ", doctrine tantôt hindouiste, tantôt bouddhiste se référant à un tissu de pensées, à une continuité dans la réflexion. Un texte sacré est donc un matériau travaillé. Pour commencer, je ferai donc une référence à la Chine. En Chine, les premiers textes sacrés ont été écrits sur des carapaces de tortues, matière solide qui avait semblé propice à l’écriture des plus vieux idéogrammes chinois, il y a environ 35 siècles. Au Proche-Orient, le matériau travaillé sur lequel sera écrit le texte sacré est la peau de mouton, et donc le parchemin, qui vient de la ville de Pergame. Ça peut être aussi le roseau de papyrus qui, ultérieurement, a donné le papier. Ce " papyrus " est un terme de vieille langue égyptienne qui signifie " royal ", car le papyrus était un monopole royal en Égypte. C’est exactement l’équivalent du latin " regis ", d’où le prénom. Papyrus En Inde, ce texte sacré est souvent écrit sur une feuille de palmier, notamment le canon bouddhique, ce qu’on appelle le Tripitaka, " la triple corbeille ", ainsi nommé simplement parce que les textes étaient en feuilles de palmier entreposés dans une grande corbeille. En Mésopotamie, ce sont les tablettes d’argile. Dans le Proche-Orient, ce sont parfois des "ostrakons ", c’est-à-dire des tessons de poterie. Tripitaka Vous voyez ici le premier problème du texte, sacré ou pas sacré d’ailleurs, qui est celui de sa conservation. Pour prendre l’exemple des tablettes mésopotamiennes en argile, la moindre pluie les fait fondre. En 1944, il y a eu des bombes anglaises sur le musée d’Héraklion en Crète, les tablettes d’argile ont reçu la pluie car il n’y avait plus de toit dans le musée, et ça a été des dizaines de milliers de textes perdus à jamais. En Inde, les feuilles de palmier sont soumises à la pourriture, et le fait est qu’on a gardé fort peu de textes très anciens de l’Inde. En voici un exemple : le plus vieux manuscrit bouddhique est un texte nommé le "Dharmapada ", les stances de la loi, texte qui date du 2ème siècle après Jésus-Christ. Dharmapada Ce texte n’a pas été retrouvé en Inde, mais dans l’oasis de Kotan sur la Route de la Soie, entre l’Inde et la Chine, dans une grotte. Kotan 2 Ce texte avait été écrit avec de l’encre sur de l’écorce de bouleau. Mais l’écorce de bouleau, c’est du bois, donc dans une grotte sèche, sans pluie, ça se conserve très bien et il a pu être daté avec pas mal de précision. Très curieusement d’ailleurs, ce plus vieux texte bouddhique, donc indien, mais en même temps retrouvé assez loin de l’Inde, était écrit dans une écriture sémitique, la " karoshi ", qui est une écriture dérivée de l’araméen, donc du Proche-Orient, mais la langue était une langue indo-européenne, la " gandhari ", une langue du Gandhara, région et civilisation dans la vallée de l’Indus du côté de Peshawar. Ce qui va conditionner la conservation d’un texte très ancien va donc être évidemment le matériau. Passons maintenant au sens du mot "sacré". En quoi un texte est-il sacré ou pas sacré ? Le mot sacré est très difficile à comprendre. Le sens premier du sacré, en latin " sacer ", c’est qui est à part, séparé et, donc, le sacré s’oppose au profane. Mais où est la limite entre un texte sacré et un texte profane ? Il n’y a peut-être pas de limite simple, mais un lent dégradé qui fera que certains textes seront très sacrés, d’autres peu sacrés et d’autres pas du tout sacrés. Prenons un exemple dans " Le Nouveau Testament ", " Les Évangiles " dont nous sommes à peu près tous d’accord pour dire qu’il s’agit d’un texte sacré. " Les Epîtres ". Qu’est-ce qu’une épître ? Une lettre. Certainement, les Epîtres de Paul sont considérées comme des textes sacrés. Mais il y a des tas d’épîtres d’auteurs des premiers siècles qui ne sont pas considérées comme des textes sacrés et, cependant, sont peut-être vénérables. Alors, où placer la barre entre le sacré et le pas sacré ? Évangiles Les Chrétiens, qui ont été très influencés par Rome, la civilisation du droit romain, ont une vision assez juridique des choses et ont décidé qu’il y avait des textes canoniques. Ceux-ci ont été définis à peu près au 2ème siècle après Jésus-Christ. Ils vont former le canon des textes sacrés et vont être distingués des textes dits apocryphes, non authentiques, comme un certain nombre de pseudos évangiles de Matthieu, de Jacques, etc…Mais là encore, la distinction n’est pas sûre à 100%. Ainsi, à la fin du 19ème siècle, on a retrouvé en Haute Égypte, un évangile qu’on appelle " L’Évangile de Thomas ", qui n’est pas considéré comme canonique par les Chrétiens, mais on y trouve un certain nombre de paroles de Jésus ressemblant énormément aux paroles des quatre évangiles canoniques. Peut-être donc y-a-t-il des zones de jointures entre le canonique et le pas canonique. D’autre part, il y a une sorte de correspondance constante entre le sacré et le honteux. Dans l’anatomie, la zone sacrée du corps rejoint la zone honteuse : les vertèbres sacrées, le nerf honteux, les ligaments utéro-sacrés, le plexus sacré, le plexus honteux correspondent à la fois aux zones de la génération et de l’excrétion. Même chose en grec avec le mot " hieros ", qui veut dire sacré, et a parfois le sens de honteux. Les " hiérodules " étaient les prostituées sacrées. En arabe, même chose avec " harem " des femmes et le " haram" de la religion, c’est-à-dire quelque chose d’inviolable. Ceci nous fait hésiter entre ce qui est sacré ou honteux. Le meilleur exemple est " Le cantique des cantiques " qui, incontestablement, est perçu par les juifs aussi bien que par les chrétiens comme un texte sacré. Quand il est lu dans le texte original hébreu, c’est un texte très cru, on peut même dire " érotique ". Mais on a parfois donné des interprétations symboliques de ce texte d’amour entre un homme et une femme, symbole de l’amour de Dieu pour son peuple, qui en fait un texte sacré. 3 Il est vrai qu’en Inde il y a le fameux " Kamasoutra ", le traité du désir, qui est lui aussi assez gaulois. Curieusement, le Kamasoutra n’est guère sacré, sauf aux yeux des Occidentaux. Pour les Indiens, c’est un texte ancien, une sorte de traité de l’amour, mais qui n’a pas véritablement le caractère d’un texte sacré, sauf pour le tantrisme. La question de la définition du sacré se retrouve aussi dans l’art. Qu’est-ce que l’art sacré ? Il y a parfois des zones intermédiaires. Par exemple, peut-on dire si les tableaux de Salvador Dali sur le Christ de saint Jean de La Croix sont des tableaux sacrés ou non, ce n’est pas forcément évident. Par contre, pour certaines icônes orientales, elles acquièrent incontestablement un caractère sacré. Les limites sont parfois floues ou variables, et nous retrouverons cela tout au long de ce cycle. Christ de uploads/Religion/ qu-x27-est-ce-qu-x27-un-texte-sacre.pdf

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  • Publié le Jui 10, 2021
  • Catégorie Religion
  • Langue French
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