SHAMBHALA : VERS LE CŒUR DE TOUTE SPIRITUALITE Fabrice MIDAL Article initialeme

SHAMBHALA : VERS LE CŒUR DE TOUTE SPIRITUALITE Fabrice MIDAL Article initialement publié dans Connaissance des religions 57-58-59, Janvier-Septembre 1999 Sur la route de la soie, il existe de nombreuses légendes et récits mythiques ou historiques qui décrivent l'existence d'un royaume de Paix et de Justice, nommé le royaume de Shambhala. Dans l'initiation du Kalachakra où il est invoqué tout particulièrement, un tel royaume est souvent considéré comme le coeur du monde, tant physiquement que spirituellement. Le sens de ce centre spirituel établi dans le monde terrestre est de "conserver intégralement le dépôt de la tradition sacrée, d'origine non humaine (apaurushêya), par laquelle la Sagesse primordiale se communique à travers les âges à ceux qui sont capables de la recevoir" (1). Chôgyam Trungpa, un des principaux maîtres du Bouddhisme tibétain de ce siècle, a présenté la tradition ancestrale dépositaire des enseignements liés à l'existence de ce royaume en fondant l'Apprentissage Shambhala. Il a donné ainsi un nouvel éclairage sur ce mythe ancestral, interrogeant d'une manière neuve cette notion de "Coeur du monde" et la manière de l'atteindre. I - Mythe et symbole d'un axe du monde à la fois sur le plan physique et spirituel. Le royaume de Shambhala apparaît dans la tradition du Kalachakra, mais on retrouve aussi la mention de ce royaume mythique dans de nombreuses autres traditions tout le long de la route de la soie. La tradition bouddhiste du Kalachakra, rapporte que le Bouddha Sakyamuni se rendit dans ce royaume à l'invitation de Dawa Zangpo, le premier roi de Shambhala pour y présenter les enseignements du Vajrayana. Mandala de Shambhala Ce mandala tibétain montre le "Roi du Monde" trônant au centre du "Royaume de Shambhala », traditionnel dans l 'ésotérisme antique du Bouddhisme Vajrayana. Le « Centre suprême" est protégé par une double enceinte de cimes enneigées et une troisième enceinte constituée par un fleuve circulaire. A l'abri des montagnes fleurit le verger aux arbres chargés de fruits, équivalant au "Paradis terrestre" gardé par quatre déités symbolisant chacune quatre éléments (eau, air, terre, feu). Il s 'agit bien du "Centre du Monde" autrement dénommé Agartha, celait là même dont la mystique d 'Outre-Rhin Anne-Catherine Emmerich reçut la vision comme étant la "Montagne des Prophètes" située par elle en Asie Centrale. Pareillement le mystique suédois Swedenborg (XVIII e siècle) déclara lui aussi que c'est parmi les Sages du Tibet et de la Tartarie qu'il faut chercher la "Parole perdue". Ce que confirme René Guénon dans Le Roi du Monde (5 e édition, Paris, Gallimard, 1958) en ces termes : "Nous avons parlé plus haut des allusions faites par toutes les traditions à quelque chose qui est perdu ou caché, et que l 'on représente sous des symboles divers (...). On doit donc, comme nous le disions déjà précédemment, parler de quelque chose qui est caché plutôt que véritablement perdu, puisqu'il n'est pas perdu par tous et que certains le possèdent même intégralement ; et s'il en est ainsi, d'autres ont toujours la possibilité de le retrouver, pourvu qu'ils le cherchent comme il convient, c 'est-à-dire que leur intention est dirigée de telle sorte que, par les vibrations harmoniques qu'elle éveille selon la loi des "actions et réactions concordantes", elle puisse les mettre en communication avec le centre suprême" (p. 68-69, chapitre "Le centre suprême et le Kali-Yuga"). NDLR. Selon ce Tantra de la roue du temps, le roi du Royaume de Shambhala, le Rigden, va se mettre en guerre contre les Trois Seigneurs du Matérialisme, le Seigneur de la forme, le Seigneur de la parole, le Seigneur de l'esprit, qui sont autant d'incarnations des forces négatives représentant le fonctionnement de l'ego – la négation de toute la réalité par un affairement qui tente de masquer sa propre non-existence. Dans l'âge des ténèbres où nous sommes, ces trois Seigneurs utilisent leurs pouvoirs et séductions psychologiques et spirituelles afin de rendre esclave l'esprit des êtres humains. Mais l'origine de ce mythe est bien plus ancienne, la venue du Bouddha n'est qu'une manière d'indiquer le rattachement de cette tradition au corps de la doctrine bouddhiste. Selon la tradition Bön, Shambhala était un royaume de l'Asie centrale, (parfois rapproché d'Ölmo Lungring) (2), "toit et centre" du monde d'où proviennent toutes les traditions spirituelles. On retrouve chez tous les tibétains, une croyance populaire selon laquelle le royaume de Shambhala existe encore, caché dans quelques vallées lointaines de l'Himalaya, voire peut- être de l'Afghanistan, du Pamir ou du Cachemire. Il existe même des ouvrages spirituels qui permettraient à un explorateur d'en retrouver les traces, comme Henrich Schliemann utilisa le texte de l'Iliade pour découvrir les ruines de Troie sur la butte d'Hissarlik, dans la plaine qui borde les Dardanelles, sur la côte nord-ouest de la Turquie. Le royaume Shambhala serait localisé, par exemple selon le Grand Commentaire sur le Kalachakra de Mip'am, un des grands maîtres bouddhistes du XIX e siècle : "au nord de la rivière Sita et divisé par huit chaînes de montagnes. Le palais des Rigdens, les souverains impériaux de Shambhala, est bâti au sommet d'une montagne circulaire qui se trouve au centre du pays. D'après Mip'am, cette montagne se nomme Kaïlasa (3). Le palais, qui porte le nom de palais de Kalapa, s'étend sur plusieurs kilomètres carrés. Devant le palais, vers le Sud, s'étend un merveilleux lac, appelé Malaya, au milieu duquel s'étend un temple consacré à Kalachakra, construit par Dawa Zangpo". (4) Une telle description mêle réalité physique et spirituelle. Ce qui empêcherait de le localiser et de nous y rendre ce n'est pas le manque de cartes de géographie assez précises, mais l'impureté de notre propre coeur. Une telle géographie est avant tout symbolique et décrit le cheminement de libération de tous nos préjugés et préconceptions sur la nature de la réalité. René Guénon dans Le symbolisme de la croix, rappelle que par nature, le centre n'est proprement nulle part, puisqu'il est au-delà de toute manifestation, étant absolument transcendant par rapport à celle-ci, tout en étant intérieur à toutes choses" (5). Rejoindre le royaume de Shambhala est un saut hors de l'apparente continuité de notre existence. Nous sommes ainsi conduits à quitter le monde des illusions, pour entrer en relation avec une dimension plus entière de la réalité. Le royaume de Shambhala est en ce sens le centre du monde, mais un centre invisible aux yeux des êtres ordinaires. Il est le centre, dans la mesure où le trouver c'est pouvoir atteindre une dimension de tout chemin initiatique est d'invalider la distinction entre deux plans de réalité : ce qui est notre expérience propre (ce que nous appelons à tort aujourd'hui psychologique) et ce qui est réel. Notre difficulté vient du fait qu'en raison de cette séparation que nous opérons, nous sommes convaincus que seule existe notre expérience personnelle. Un instant d'ouverture est un moment de notre vécu et nullement la porte d'entrée dans le Royaume de Shambhala – ou alors ce n'est qu'une image ! Nous ne cessons en fait de tout mesurer à l'aune de notre expérience psychologique individuelle. Rien n'obstrue plus profondément toute possibilité de comprendre les vérités spirituelles. En effet, ces deux ordres de réalité ne sont pas distincts, l'homme n'existe pas indépendamment de son rapport au monde. Il est constitutivement "au monde" (cette interdépendance est une manière d'indiquer la vacuité, shunyata) (6). A chaque instant, il est possible d'atteindre le Royaume. On ne peut d'un seul mouvement le rejoindre une fois pour toutes, le sens du chemin est d'apprendre à entrer toujours davantage en relation avec lui. II - L'approche de Chögyam Trungpa Si le symbolisme du royaume de Shambhala est si prégnant c'est qu'il rayonne des facettes de ses multiples significations. Chögyam Trungpa insiste sur le fait que ce "mythe", avant même d'être de nature spirituelle, montre l'unité profonde d'une existence humaine portée à sa plénitude. Pour lui, la voie de l'initiation ne passe pas nécessairement par des formes religieuses et ce fut une des raisons de la nécessité de présenter une telle voie à notre temps. Chögyam Trungpa n'insiste pas sur l'approche du tantra de Kalachakra, mais il reprend le symbolisme de ce royaume en indiquant qu'il est au coeur de l'être. Il pointe directement la dimension ultime de ce symbolisme et le moyen pour l'atteindre. Pour Chögyam Trungpa, ce mythe d'un royaume légendaire est, en son fond, le symbole ultime de l'inspiration profondément humaine pour une vie plus accomplie. Le royaume est l'expression la plus authentique du désir de chaque être humain pour une vie où son humanité arrive à une véritable et fructifiante maturité. En effet, chaque être humain aspire à devenir plus pleinement ce qu'il est vraiment. Mais parce qu'il ne reconnaît pas la nature véritable de son désir comme l'expression la plus authentique de son coeur, il est pris au piège par l'objet de son aspiration qui devient le seul enjeu de son activité. L'homme oublie ainsi que la racine même de toute aspiration est la volonté de retrouver notre état primordial qu'incarne le Royaume. Pour mieux comprendre la vision qui anime Chögyam Trungpa, et connaître uploads/Religion/ shambhala.pdf

  • 55
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager
  • Détails
  • Publié le Fev 28, 2022
  • Catégorie Religion
  • Langue French
  • Taille du fichier 0.1324MB