RECHERCHES AUGUST! IEN ES VOLUME X ÉTUDES AUGUSTINIENNES 8, rue François-Ier 75
RECHERCHES AUGUST! IEN ES VOLUME X ÉTUDES AUGUSTINIENNES 8, rue François-Ier 75008 Paris 1975 Supplément à la Revue des études augustiniennes La tradition littéraire des canons africains (345-525) Parmi les documents qui expriment le droit ecclésiastique de l'Église ancienne, les canons des conciles africains occupent une place privilégiée. Non seulement ils ont été largement reproduits dans les collections occidentales, du v0 au xn° siècle1, mais traduits en grec, dans les premières décennies du vr0 siècle, ils ont été comptés parmi les sources du droit canonique byzantin : en 692, le concile in Trullo (c. 2) confirmait sans réserve les r33 canons du concile de Carthage de 4r9, tels que Denys le Petit les avait ordonnés dans la deuxième édition de son recueil2• Le crédit et la diffusion extraordinaires obtenus par les canons africains sont justifiés par leur valeur disciplinaire, en tout premier lieu : ils allient à merveille la rigueur et l'indulgence, le sens de la justice et celui de la miséricorde3• Mais leur succès est fondé tout autant sur des facteurs très concrets, qui ont souvent joué tout au long de l'histoire de l'Église pour le triomphe des causes les plus diverses : le premier de ces facteurs est l'art de constituer un dossier justificatif, de posséder des archives bien ordonnées, de savoir y puiser à bon escient. Il n'est pas exagéré de I. Dans le Décret de Gratien, qui tire le bilan du droit ancien, la part des canons africains est égale à celle des canons grecs, gaulois, espagnols ou germaniques, si l'on s'en tient aux inscriptions données aux textes. M'.ais il faut déduire de l'en- semble une centaine de canons tirés des Statuta ecclesiae antiqua, attribués à un hypothétique IV• concile de Carthage. 2. L'édition en a été réalisée par P. P. JOANNOU, Pontificia commissione pèr la redazione del codice di diritto canonico orientale, Ponti, fasc. IX, Discipline générale antique (rv-x s.), t. I, 2, Les canons des Synodes Particuliers, Grottaferrata (Roma) 1962, p. 249-410. 3. Telles sont, par exemple, les mesures envisagées, dès 393, par les évêques africains pour l'accueil des clercs donatistes convertis : évêques et prêtres chargés de paroisses rurales conserveraient leur dignité, s'ils n'avaient pas procédé à des rebaptêmes et ramènaient leurs fidèles à l'unité : Brev. Hipp., c. 37 ; cf. Reg. Garth. c. 68. La crise du clergé et le bien de la paix apparaissent les préoccupations majeures de l'épiscopat africain. 4 CHARLES MUNIER dire que 1' Afrique chrétienne du 1ve et du ve siècle a enrichi l'Occident tout entier non seulement des trésors théologiques répandus à profusion par saint Augustin mais aussi de l'expérience et de la sagesse d'une Église attentive à présenter, dans ses clercs, un visage irréprochable4• Soumise au pilonnage puritain de l'Église donatiste, qui ne manque aucune occasion de dénoncer sa faiblesse, voire sa complaisance à l'égard des indignes, la hiérarchie catholique apporte tous ses soins, dans des condi- tions extrêmement difficiles, à recruter les clercs, à les former, à les diriger, afin qu'ils mènent une vie digne et sachent fortifier les consciences fragiles des chrétiens. Elle a conscience des menaces de toute sorte qui pèsent sur la sainteté et la réputation de son clergé ; elle sait combien il est facile d'arguer de la conduite des hommes pour juger la cause qu'ils incarnent. C'est pourquoi elle ne cesse d'inculquer aux fidèles mais surtout au clergé les règles de la discipline - non qu'elle prétende tirer argument d'une perfection morale supérieure : le blé et l'ivraiecroîtront ensemble jusqu'à la moisson (Mt 13, 30) ; non qu'elle prenne à son compte les principes théologiques des dissidents : les dons divins, dispensés par les ministres du Christ ont leur sainteté propre ; le péché n'affecte que la personne du pécheur et laisse intact son pouvoir ecclésial. Mais il n'en reste pas moins que, trop souvent, l'inconduite ou la médiocrité des clercs sont une cause de scandale, qu'il s'agit d'éviter à tout prix. Les conciles africains, de 345 à 525, et plus particulièrement la série des synodes présidés par Aurelius de Carthage, attestent la constance et la vigueur des efforts entrepris par l'épiscopat de cette province afin de promouvoir une spiritualité sacerdotale et cléricale authentiques, condi- tion première de tout renouveau chrétien. Qu'il soit permis d'ajouter que les Africains ont entrepris leur action réformatrice en toute lucidité et avec une entière liberté : parfaitement respectueux de l'autorité romaine, ils sauront défendre, à l'occasion, leur autonomie judiciaire et rappeler le Pontife romain au respect des règles de Nicée5. Définitions de la discipline cléricale, règles de procédure, controverses avec les Donatistes, défense de la foi menacée par l'hérésie de Pélage, tels sont les principaux centres d'intérêt qui ont sollicité l'attention des conciles d'Afrique, à leur âge d'or. Mais notre propos n'est pas de présenter les décisions africaines en fonction des sujets qu'elles ordonnent. On voudrait rappeler ici, à grands traits, les conditions dans lesquelles s'est formée la tradition littéraire des canons africains. Trois moments décisifs sont à envisager, trois étapes qui jalonnent une très longue course. Pour saisir la règle de droit au stade de sa création, il faudra d'abord montrer comment fonctionnait l'institution conciliaire, où elle 4. Excellent commentaire de la législation africaine concernant l'honneur et la sainteté du clergé catholique dans R. CRESPIN, Ministère et sainteté, Paris, x965, p. 106-131. 5. F. L. CRoss, History and Fiction in the African Canons, dans The journal of theological Studies, new series, vol. XII, part 2, x96r, p. 227-247, en particulier, p. 240-242. TRADITION LITTÉRAIRE DES CANONS AFRICAINS 5 s'élabore. Mais« la vie des textes commence à l'instant où s'achève leur rédaction » 6 ; nous verrons que la carrière littéraire des canons africains fut déterminée par leur insertion en des recueils de provenance diverse, dont la transmission subit bien des aléas. Cette seconde étape nous condui- ra, vaille que vaille, jusqu'à l'époque des premières éditions conciliaires. Certes, depuis l'invention de l'imprimerie, l'exactitude dans la transmis- sion des textes est à peu près garantie ; mais le respect du texte imprimé n'a pas été moins fatal aux canons africains que l'ignorance des scribes ou les altérations délibérées des compilateurs du haut moyen âge. En effet, la première édition des conciles, publiée à Paris en r524 par le chanoine Jacques Merlin, avait imposé au départ la recension espagnole, la moins fidèle de toutes, que les interventions du Pseudo-Isidore, au 1xe siècle, avaient encore défigurée. Au fur et à mesure que les manuscrits livraient des documents canoniques africains, les éditeurs, de Crabbe à Mansi, s'efforçaient de les intégrer à la série espagnole des conciles d'Afrique. Le plus étonnant, c'est qu'ils y parvenaient, semantdansles esprits des historiens trop confiants une indescriptible confusion. Mais reprenons les canons afticains à leur origine première. I. LA GEN:È:SE DES R:È:GLES Au moment où l'évêque Aurelius, quadragénaire plein d'allant, récem- ment élevé au siège de Carthage, prend la direction de l'Église africaine pour un épiscopat de près de trente-cinq ans, la tradition canonique de ces régions se réduit à fort peu de choses : les archives de l'Église prima- tiale conservent un exemplaire, vraisemblablement en grec, des canons de Nicée ; les actes des prestigieuses assemblées tenues par Cyprien entre 254 et 256 peuvent y être consultés, ainsi que les décrets romains de 3r3 et de 386 concernant les clercs donatistes7. Mais le noyau primitif de la législation africaine est constitué par une vingtaine de dispositions arrêtées aux conciles de Carthage sous Gratus (345-348) et Genethlius (390). Faire connaître ces maximes aux évêques de toutes les provinces, qui en instruiront à leur tour leur clergé, les préciser, les adapter aux circonstances toujours nouvelles, après en avoir délibéré avec ses collègues, tel était, à n'en pas douter, l'essentiel du programme réformateur d'Aurelius. Seule une action concertée de tout l'épiscopat catholique pouvait faire face aux graves problèmes qui appelaient une solution : la lutte contre l'hérésie et le schisme, les défections du clergé et des fidèles, le manque de vocations, la conduite parfois indigne des clercs de tout rang, l'ignorance et l'indifférence religieuse des masses chrétiennes. L'instrument le plus efficace du renouveau espéré était la tenue régulière de conciles, locaux et généraux, des provinces africaines. Les exhortations 6. G. LE BRAS, Prolégomènes, Paris, r955, p. 64. 7. CRESPIN, op. cit., p. 29. 6 CHARLES MUNIER empressées d'Augustin, qui venait d'être ordonné prêtre à Hippone (39I), ne pouvaient qu'affermir Aurelius dans sa conviction8• C'est effectivement à Hippone que se tint le premier concile plénier présidé par Aurelius, le 8 octobre 393. Augustin fut invité à donner le sermon d'ouverture, signe indubitable de l'estime en laquelle les évêques d'Afrique tenaient déjà l'illustre converti. Des actes intégraux du concile d'Hippone il n'existe plus que des fragments, qui correspondent à sept canons de l'Abrégé du même nom (Breviarium Hipponense) : à ceux que cite le concile de Carthage de 525, s'ajoutent désormais les cinq fragments que nous avons eu la bonne fortune de découvrir dans le MS. Vercellensis 1659• La comparaison du compte-rendu sténographié des actes du concile et des canons qui en monnaient la substance est uploads/Religion/ recherches-augustiniennes-volume-x-1975.pdf
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- Publié le Sep 26, 2021
- Catégorie Religion
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