GUÉNON ET AGARTTHA (II) L’opinion selon laquelle Ossendowski aurait plagié l’œu
GUÉNON ET AGARTTHA (II) L’opinion selon laquelle Ossendowski aurait plagié l’œuvre de Saint-Yves d’Alveydre n’est ni nouvelle, ni sans fondement. Dans un article rédigé à la fin de l’année 1924 (quand le livre d’Ossendowski parut en France) et publié en 1925 dans Les Cahiers du mois, Guénon constatait la correspondance entre Saint-Yves et Ossendowski et prévoyait que ce dernier serait accusé de plagiat; il énuméra une série de « concordances », reprises plus tard dans son livre Le Roi du Monde, mais rejeta la thèse du plagiat1; une des raisons justifiant sa réticence était que la thèse du plagiat fut avancée d’abord par les théosophistes, quand ils sentirent que leurs positions et leurs théories perdaient du terrain, surtout celles concernant les mystérieux Mahâtmâs. C’est pourquoi Roerich tenta d’accommoder l’idée du centre et celle des Mahâtmâs en cause, en avançant Shambhala; il apparaît que Pallis fit, involontairement, le jeu des théosophistes. Un détail du livre d’Ossendowski est pourtant très suspect: « Le bienheureux Sakkia Mouni trouva, sur le sommet d’une montagne, des plaques en pierre sur lesquelles étaient gravées des mots qu’il ne comprit que lorsqu’il fut très âgé, après quoi il entra dans le Royaume d’Agharti, d’où il ramena des fragments du savoir sacré, préservés dans sa mémoire » (Oss. 304). Cette thèse selon laquelle Bouddha revint d’Agarttha avec des fragments de savoir, apparaît déjà chez Saint-Yves: « après sa fuite, le fondateur du Bouddhisme ne pu que dicter à ses premiers disciples, en toute hâte, ce que sa mémoire avait été capable de retenir » (p. 96). Selon Saint-Yves, le bouddhisme est un schisme; il s’agit d’une révolte contre le brahmanisme, qui cherche à instaurer « une belle petite anarchie » (Alveydre 84). « Le véritable Çakya- Mouni n’avait pu se faire ouvrir les portes du Sanctuaire central où réside le Brâhatmah »; pourtant, les « Bouddhistes ont été des divulgateurs pleins de mérites et de vertu » (Alveydre 96). Evidemment, les théosophistes, en tant que promoteurs d’un bouddhisme douteux en Occident2, n’ont jamais accepté cette thèse. Les bouddhistes mongols ont été en fait les sources d’Ossendowski. Auraient-ils été capables de dénigrer leur propre « religion »? Pour élucider cet aspect délicat, nous devons revenir à René Guénon. Dans son article de 1951, Pallis décrit la manière dont il réussit à convaincre Guénon de la nécessité de modifier ou de supprimer de ses livres certains passages qui dénigraient le Bouddhisme. La vérité est que Guénon n’a rien modifié que ce qu’il considérait opportun d’être modifié, ou qui n’affectait pas le noyau métaphysique de ses livres. Il l’a dit très clairement, mais comme toujours, on n’a pas retenu le fait que Guénon publiait uniquement en fonction de l’opportunité, selon une stratégie qui lui permettait d’exercer sa fonction. Son but était de rétablir l’esprit traditionnel en Occident, ce qui l’a obligé à être parfois sans pitié. Nous avons vu que c’était une époque où l’occultisme était en plein essor, c’est pourquoi il dû choquer la mentalité de ses contemporains, en condamnant impitoyablement tout ce qui aurait pu les séduire. Or, dû surtout aux activités des théosophistes, le Bouddhisme faisait partie de ces « tentations ». Dès l’apparition d’autres écrits, tels ceux d’Ananda Coomaraswamy, Guénon accepta de changer de ton, espérant que la mentalité occidentale fût finalement prête à accueillir la vrai face du Bouddha3. 1 Bruno Hapel, René Guénon et Le Roi du Monde, Guy Trédaniel Éditeur, 2001, pp. 49-50. 2 Nous mentionnons que le Bouddhisme, comme le Yoga, eut un grand succès aux Etats-Unis, grâce surtout aux théosophistes (il est inutile de répéter que le Bouddhisme occidental n’est rien d’autre qu’une « parodie » anti-traditionnelle). 3 N’oublions pas qu’après leur rencontre Guénon modifia quelques passages sur le Bouddhisme, tandis que Coomaraswamy modifia complètement son orientation intellectuelle; d’ailleurs, Guénon supervisa 1 D’autre part, nous devons comprendre que ce n’est pas à l’aide de l’équerre, mais par le biais du compas que Guénon doit être mesuré. Il possédait des vérités métaphysiques et des connaissances spirituelles immuables, qu’il présentait sous diverses formes, selon l’opportunité du moment. Il considéra comme pertinent, par exemple, d’user l’héritage de Fabre d’Olivet et de Saint-Yves d’Alveydre, parce qu’ils avaient eu accès à certaines données initiatiques authentiques qui méritaient d’être utilisées (parce que déjà familières aux occidentaux) afin de transmettre un savoir spirituel de haute qualité. Fabre d’Olivet publia en 1822 L’Histoire philosophique du genre humain. Profondément marqué par la Révolution de 1789, d’Olivet considéra l’histoire de l’humanité comme une série de cycles et il nomma « révolution » le passage d’un cycle à l’autre. Mais sa vision était évolutionniste, puisqu’il considérait que l’Age d’Or (l’âge premier) est en fait l’Age de Fer, et que l’humanité avance vers l’Age d’Or. Guénon accepta maintes opinions de d’Olivet, les citant même parfois, mais il leur donna, comme à celles d’Alveydre, des fondements traditionnels authentiques, et il en corrigea les erreurs; pour Guénon, c’était une bonne occasion de pénétrer l’esprit occidental pour en influencer la mentalité. D’Olivet parla longuement dans son livre du Cycle de Ram, qu’il voyait comme un druide conquérant l’Asie et y instaurant la race blanche, hyperboréenne (Olivet 147, 204, 212, 226, Éd. Traditionnelles, 1991); d’Alveydre le suivit de près. C’est toujours d’Olivet qui introduisit le titre de Roi du Monde: « Le premier Khan que Ram sacra pour être le souverain Roi du Monde, se nommait Kousha » et siégeait à Ayodhya, la cité de la dynastie solaire (Olivet 238); l’opinion de d’Alveydre sur le schisme d’Irshou, fils de l’empereur Ougra, se trouve originellement chez Fabre d’Olivet (Olivet 252). D’Olivet affirmait en fait que l’humanité vivait à l’origine en anarchie absolue (Olivet 167), d’où l’idée de synarchie chez d’Alveydre. Il est intéressant de constater que, malgré son attachement pour le mot « révolution », d’Olivet ne considérait pas le Bouddhisme comme une révolte, tel que présenté par d’Alveydre; il voyait Bouddha comme un réformateur providentiel, tel Orphée ou Moïse, et le Bouddhisme comme le « corollaire du culte de Ram » (Olivet 289, 302). La stratégie de Guénon n’est que d’autant plus évidente. Dans la première édition du Roi du Monde4, Guénon se ralliait à l’opinion de Saint-Yves et d’Ossendowski, quand il disait: « Shâkya-Muni, alors qu’il projetait sa révolte contre le Brâhmanisme, aurait vu les portes de l’Agarttha se fermer devant lui » (Roi, 1939, p. 17); le passage fut supprimé des autres éditions5. Convaincu par les articles de Coomaraswamy à plusieurs reprises. En 1945, Guénon rédigea une compte rendu sur Hinduism and Buddhism de Coomaraswamy, où il dit: « M. Coomaraswamy remarque qu’il (le Bouddhisme) semble différer d’autant plus de l’Hindouisme qu’on l’étudie plus superficiellement, et que, à mesure qu’on l’approfondit, il devient de plus en plus difficile de préciser les différences; et l’on pourrait dire que, en Occident, ‘le Bouddhisme a été admiré surtout pour ce qu’il n’est pas’. Le Bouddha lui-même n’a d’ailleurs jamais prétendu enseigner une doctrine nouvelle » (Études sur l’Hindouisme, p. 194). Pourtant, n'oublions pas que Coomaraswamy lui-même affirmait en 1935, que « le Bouddhisme dans l’Inde représente un développement hétérodoxe, tout ce qui est métaphysiquement ‘correct’ (pramiti) dans son ontologie et son symbolisme étant dérivé de la tradition primordiale » (Ananda K. Coomaraswamy, Elements of Buddhist Iconography, Munshiram Manoharlal Publishers, 1998, p. 3). 4 Nous disposons de la deuxième édition, parue en 1939 aux Éditions Traditionnelles, mais elle est une copie exacte de la première édition. 5 Bruno Hapel consacre lui aussi un chapitre au problème bouddhiste et compare des textes tirés de différentes éditions des oeuvres de Guénon. Il signale que dans la première édition du livre Autorité spirituelle et pouvoir temporel (chap. VI, La révolte des Kshatriyas), Guénon considérait le Bouddhisme comme une révolte de la caste des Kshatriyas, à laquelle appartenait Bouddha, pour y revenir plus tard, dans l’édition suivante, avec la précision que seul le Bouddhisme dévié de celui 2 les recherches d’Ananda Coomaraswamy6 et déterminé, paraît-il, par le fait que la guerre mondiale dévastatrice avait beaucoup affaibli le théosophisme et le spiritisme, Guénon renonça à l’hypothèse d’Alveydre sur la révolte de Shâkya Muni pour revenir à l’ancienne idée de Fabre d’Olivet, celle du Bouddha restaurateur, tout en espérant que la mentalité occidentale fût capable de discerner le Bouddhisme primitif du Bouddhisme contrefait7; cela laissa Ossendowski à découvert et suspect d’avoir emprunté ses considérations sur Bouddha à Saint-Yves. Sinon, il faut accepter que le Bouddhisme ne représente pour les Mongols qu’une partie de la doctrine suprême, et alors nous pouvons comprendre le raisonnement de Guénon, qui disait qu’en Mongolie le culte de Rama, dont parlait Ossendowski, est autre chose que du Bouddhisme (Roi, p. 72)8. Enfin, nous devons répondre maintenant à une autre question importante: que représentait Agarttha pour Guénon? Nous précisons d’abord que René Guénon affirma résolument qu’il tenait ses histoires sur le royaume souterrain d’Asie « de toutes autres sources » (Roi, p. 9); il cita ensuite Ossendowski, et même Saint-Yves, uniquement parce qu’ils servaient de point de départ à ses considérations9. De la même manière il se servit du Bouddhisme en tant qu’application uploads/Religion/ guenon-et-l-x27-agarttha-ii.pdf
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- Publié le Jan 01, 2023
- Catégorie Religion
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