26/07/13 Rome et la science moderne - L’héliocentrisme à Rome, à la fin du xvii

26/07/13 Rome et la science moderne - L’héliocentrisme à Rome, à la fin du xviie siècle : une affaire d’étrangers ? - Publications de l’École française de Rome books.openedition.org/efr/1960 1/19 1 2 Publications de l’École française de Rome Rome et la science moderne | Antonella Romano L’héliocentrisme à Rome, à la fin du XVIIe siècle : une affaire d’étrangers ? Aspects structurels d’un espace intellectuel1 Francesco Beretta p. 529-554 Texte intégral Dans le cours prononcé au Gresham College de Londres, le 26 novembre 1681, John Flamsteed aborde le problème de l’inégale durée de l’été et de l’hiver1. Comme l’ont déjà constaté les astronomes de l’Antiquité, le soleil emploie 186 jours environ pour passer de l’équinoxe de printemps à celui d’automne, alors que pour revenir au premier, il ne lui faut que 179 jours environ. Pour résoudre ce problème, les astronomes géocentriques ont imaginé que le soleil 26/07/13 Rome et la science moderne - L’héliocentrisme à Rome, à la fin du xviie siècle : une affaire d’étrangers ? - Publications de l’École française de Rome books.openedition.org/efr/1960 2/19 3 4 5 6 7 parcourt une orbite sur un cercle excentrique dont le centre se situe à une certaine distance du centre du monde, c’est-à-dire de la terre. Cet artifice géométrique permet d’expliquer l’irrégularité apparente du mouvement de l’astre au cours de l’année. Les astronomes ont appelé excentricité la distance entre le centre du monde et le centre de l’orbite du soleil. Kepler et avec lui « all those who have embraced the true system of the heavens, except Lansbergius » – continue le fondateur de l’Observatoire de Greenwich dans son cours – ont proposé de réduire de moitié l’excentricité postulée par les tenants de l’astronomie ptoléméenne2. Ceci dépend – comme l’explique l’astronome jésuite Riccioli dans un traité classique publié en 1651, en proposant une comparaison détaillée entre les différentes hypothèses astronomiques – du fait que Kepler postule le mouvement de la terre selon une trajectoire en forme d’ellipse dont le soleil occuperait l’un des foyers. La valeur traditionnelle de l’excentricité équivaut, selon Kepler, à la distance entre les deux foyers de l’ellipse, ce qui invite à en diviser par deux la valeur pour avoir l’excentricité effective3. Riccioli ne pense pas devoir adopter l’hypothèse elliptique, non seulement car elle postule le mouvement de la terre, « ce qui ne peut pas être admis », mais encore parce que les données de l’observation relatives au diamètre apparent du soleil semblent confirmer la valeur traditionnelle de l’excentricité, tout en invitant à la réduire d’un cinquième environ4. Selon les deux hypothèses, géocentrique-excentrique et héliocentrique- elliptique, on postule une distance plus grande en été qu’en hiver entre la terre et le soleil. Par conséquent, la dimension apparente du soleil est supérieure lors du solstice d’hiver (périgée) et inférieure lors du solstice d’été (apogée). Toutefois, selon Riccioli, la comparaison entre les valeurs angulaires relatives du diamètre du soleil ne permet pas de trancher entre les deux hypothèses5. Trente ans plus tard, Flamsteed n’est pas de cet avis. L’introduction d’un micromètre à l’intérieur du télescope permet désormais une précision d’observation de la dimension apparente du disque solaire, lors du périgée et de l’apogée, qui confirme la valeur d’excentricité postulée par les coperniciens, en la réduisant de moitié par rapport à la valeur admise par les tenants du géocentrisme6. Les remarquables progrès de l’observation astronomique, grâce à une nouvelle instrumentation, permettent ainsi à Flamsteed de trancher la question de savoir « what Hypothesis is the most natural and probable », et de décider que le système du monde héliocentrique, « the Pythagorean system, is the only legitimate »7. Dans ses cours, l’astronome anglais utilise le terme d’hypothèse astronomique selon son acception classique – la même employée par Riccioli dans son traité –, c’est-à-dire dans le sens de système de calcul qui permet de sauver les apparences célestes8, sans être nécessairement vrai. Mais, en même temps, Flamsteed opère un glissement de ce sens instrumental vers l’affirmation de la réalité du système du monde héliocentrique. Son usage linguistique, de même que l’exemple que nous venons de rapporter, témoignent du fait que les dernières décennies du XVIIe siècle représentent une époque de transition9. Car une preuve directement observable du mouvement de la terre n’est pas encore donnée et elle ne le sera qu’en 1729, lorsque James Bradley présentera à la Royal Society sa découverte du phénomène de l’aberration stellaire. Toutefois, le nouvel outillage instrumental et conceptuel de Flamsteed ne lui laisse pas de doutes : depuis l’invention du télescope, ont refusé d’admettre le mouvement de la terre seulement ceux « who have subjugated themselves to Aristotles philosophy or the decree of a conclave »1 0. Si, à cette époque-là, des résistances de la part des philosophes et des théologiens à l’affirmation de l’héliocentrisme se manifestent également dans l’Europe protestante1 1, il y a dans cette phrase de Flamsteed une probable allusion aux décrets des Congrégations romaines qui ont condamné la doctrine copernicienne, en 1616, puis la personne de Galilée, en 1633. Nous sommes ainsi amenés à nous interroger sur la situation telle qu’elle se présente à Rome, à l’époque même des « Gresham Lectures » : quel est l’état du 26/07/13 Rome et la science moderne - L’héliocentrisme à Rome, à la fin du xviie siècle : une affaire d’étrangers ? - Publications de l’École française de Rome books.openedition.org/efr/1960 3/19 8 9 10 11 L’héliocentrisme interdit : un cas au début de l’été 1695 savoir astronomique ? Quelle est l’attitude de l’institution inquisitoriale à l’égard de l’héliocentrisme ? Différents travaux, consacrés en particulier à l’Académie physico- mathématique de Ciampini et au voyage de Leibniz en Italie, en 1689, permettent de répondre à la première question1 2. Pour ce qui est de la deuxième, l’ouverture en 1998 des archives de la Congrégation pour la doctrine de la foi, héritière des fonds des Congrégations de l’Inquisition et de l’Index des livres interdits1 3, met à notre disposition quelques nouveaux documents. J’aimerais toutefois souligner que je ne vais pas apporter ici une réponse exhaustive aux questions soulevées, mais que je vais proposer, dans le prolongement de mes précédents travaux, quelques réflexions sur les conditions structurelles, tant du point de vue institutionnel que conceptuel, de la production et de la régulation du savoir en matière d’astronomie dans la Rome de la fin du XVIIe siècle1 4. Je commencerai par rappeler un élément qui relève de la critique des sources, dont la connaissance est indispensable pour tout historien intéressé à la question de l’intervention du Saint-Office romain en matière d’astronomie et de philosophie naturelle. La plupart des dossiers judiciaires produits lors de l’instruction des procès par le Tribunal romain de l’Inquisition, qui se montaient à plusieurs milliers de volumes à la fin du XVIIIe siècle, a été détruite en 1815-1817, au moment où les chargés d’affaires pontificaux préparaient le retour à Rome des archives transportées à Paris par ordre de Napoléon Ier. En effet, selon les instructions reçues, les chargés d’affaires devaient s’occuper principalement de récupérer l’importante collection jurisprudentielle que l’archiviste doctrinal, le dominicain Giuseppe Maria Lugani, avait réalisée au cours des années 1760 à 1780, puisque les 1500 volumes environ qui composaient cette collection étaient censés réunir les documents historiques indispensables au fonctionnement de la Congrégation de l’Inquisition. Ceci explique pourquoi une partie importante des volumes actuellement conservés ne contient que des extraits des dossiers originaux – désormais perdus – avec des tables des matières et des transcriptions des principales décisions réalisées par l’archiviste Lugani1 5. Parmi ces collections, il y en a une dite des « Censures de propositions », qui comprend, parmi des questions touchant à la dévotion, à la superstition, à la mystique, à la morale, quelques fascicules concernant la philosophie naturelle. Dans le septième volume de la collection se trouve un fascicule qui contient deux cas d’adhésion à l’héliocentrisme : le premier et principal date de 17521 6 ; le deuxième, qui se déroule à Rome fin mai-début juin 1695, comprend à peine cinq feuillets et est inséré à la suite du précédent avec l’intitulé, ajouté par l’archiviste Lugani : « Ayant affirmé que la terre n’est pas immobile »1 7. De ce deuxième cas, tiré du volume des enquêtes de 16951 8, l’archiviste a conservé l’intégralité des interrogatoires réalisés par le Saint-Office romain : il s’agit d’une parfaite illustration du système inquisitorial en tant qu’instrument de disciplinement, mais qui peut aussi servir à régler des conflits ou des rivalités personnelles. Je vais d’abord en présenter le contenu, puis indiquer toutes les questions qu’il soulève. En mai 1695, lorsque la chaleur commence à se faire sentir à Rome, quelques copistes discutent devant la boutique de l’un d’entre eux pour savoir si le soleil est plus proche l’été ou l’hiver. Filippo Spadari, sicilien, soutient qu’il est plus proche l’été, selon l’opinion d’Aristote1 9. Nous savons que, dans les Météorologiques, le Stagirite explique l’alternance des saisons par le fait que le soleil se rapproche du tropique septentrional l’été et s’en éloigne l’hiver20. Mais un autre copiste, Gottifredo de Jacobis, originaire de Liège, affirme que le uploads/Religion/ rome-et-la-science-moderne-l-x27-heliocentrisme-a-rome-a-la-fin-du-xviie-siecle-une-affaire-d-x27-etrangers-publications-de-l-x27-ecole-francaise-de-rome.pdf

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  • Publié le Nov 04, 2021
  • Catégorie Religion
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