Ouvrage en ligne publié avec le concours de l’Université François-Rabelais, du

Ouvrage en ligne publié avec le concours de l’Université François-Rabelais, du CNRS, du Ministère de la Recherche et de l’Enseignement supérieur, du Ministère de la Culture et de la Communication, du conseil régional du Centre, du conseil général de l’Indre-et-Loire, de l’Institut Universitaire de France Collection « La Renaissance en ligne » Robert Sauzet, « Miracles et Contre-Réforme en France au xvii siècle », p. 1-10. <http://umr6576.cesr.univ-tours.fr/Publications/HasardetProvidence> Hasard et Providence xive-xviie siècles Actes du cinquantenaire de la fondation du CESR et XLIXe Colloque International d’études Humanistes Tours, 3-9 juillet 2006 publié par le Centre d’études Supérieures de la Renaissance Responsable de publication Marie-Luce Demonet Université François-Rabelais de Tours, CNRS/UMR 6576 Mentions légales Copyright 2007-2008 — © CESR. Tous droits réservés. Les utilisateurs peuvent télécharger et imprimer cet article, pour un usage strictement privé. Reproduction soumise à autorisation. Date de publication 23 octobre 2008 Date de mise à jour Les guerres de religion ne s’achevèrent, en France, qu’en 1629. Les catholiques contemporains de ces guerres et du renouveau de la religion romaine dans la première moitié du xviie siècle vécurent dans un climat miraculeux parfois teinté d’eschatologie¹. Le journal de Julien Maunoir, missionnaire en Bretagne à la moi- tié du siècle, est tout imprégné de ce merveilleux sacré. Dans le combat incessant qu’ils menaient contre l’esprit du mal, ce célèbre jésuite et ses collaborateurs ren- contraient un grand nombre de pénitents avouant leur commerce avec le diable et leur participation à des sabbats. Or, la conversion de ces pécheurs particuliè- rement coriaces était, chaque fois, précédée d’un miracle : « nous avons constaté jusqu’à présent [1650] que les pénitents, entendus au confessionnal, avaient tous eu, sans exception, une apparition ». Maunoir précise la nature des intervenants célestes : l’ange gardien, la Vierge portant l’enfant Jésus, l’Esprit saint « sous la forme d’une blanche colombe ou tout autre messager du ciel ». Pour Maunoir, ces épisodes miraculeux répondaient à une grande logique : ces pécheurs ayant fréquenté le démon, il était dans l’ordre que Dieu leur accordât un secours pro- portionné. Le zélé missionnaire s’appuie sur le Malleus maleficarum de Jacques Sprenger et Henri Krämer et sur les traités des chasseurs de sorciers contempo- rains comme le juge de Saint-Claude, Boguet. Ces bons auteurs le confortent dans ses certitudes : « si des individus aussi sceptiques que sont les juges [?] recensent tant de cas de possession, comment les confesseurs qui sont des hommes d’ex- 1. René Taveneaux, Le Catholicisme dans la France classique 1610-1715, Paris, SEDES, 1980, t. II, p. 383. Sur la montée de l’attente de la fin du monde à la Renaissance, Jean Delumeau, La Peur en Occident, xivê-xviiiê siècles, Paris, Fayard, 1978, p. 117-231, 389-395. 1 http://umr6576.cesr.univ-tours.fr/Publications/HasardetProvidence Robert Sauzet CESR, Université François-Rabelais, Tours Miracles et Contre-Réforme en France au xviie siècle Hasard et Providence XIVe-XVIIe siècles Tours, CESR, 3-9 juillet 2006 Robert Sauzet – 17 mars 2008 – p. 1-10 périence et n’ont d’autre but que d’assurer le salut éternel de leurs ouailles n’en découvriraient-ils pas davantage ? »² Le besoin général de miracles, attente de signes célestes dans la lutte contre Satan, était aussi un aspect du combat contre les hérétiques, agents du diable pour les catholiques zélés — tout comme les papistes pour les huguenots militants³. Les témoins interrogés au cours des enquêtes épiscopales exigées par les décrets de Trente pour qu’un phénomène prétendu miraculeux puisse être mentionné dans un sermon ou un livre des miracles participaient de cette mentalité. De même, les médecins dont l’autorité était requise dans ces procédures, aux côtés des notai- res chargés d’enregistrer les dépositions des malades guéris et des témoins. Le chanoine Platelle présente avec humour ces émules de M. Purgon, « leur pauvre science et leur immense vanité »⁴. Par conviction ou par prudence, ils expriment exceptionnellement des doutes comme ce médecin orléanais, dans les procédures réunies en 1627 pour la béatification de François de Sales : « quoyque je ne vou- lusse pas asseurer tout a faict miracles, neantmoins, parlant chrestiennement [ces guérisons] peuvent estre appellees a bon droict miraculeuses »⁵. Des travaux de grande valeur ont été consacrés à ces phénomènes et, récemment, la belle thèse d’Albrecht Burkardt. Dans les années 60, j’ai rencontré ce problème en partici- pant à l’enquête lancée par Alphonse Dupront, à l’École des Hautes Études, sur les pèlerinages. Un bilan historiographique donné en 2000 par Bruno Maës me dispensera de longs développements bibliographiques⁶. Après un bref retour sur la méthodologie de l’histoire du miracle, je voudrais évoquer leur utilisation apo- logétique ainsi que l’aspect guerrier revêtu parfois par les apparitions célestes. Le miracle pose un problème à l’historien. Pour lui, les guérisons, sauveta- ges, apparitions et autres manifestations jugées miraculeuses sont des faits dans la mesure où ils furent vécus et reconnus comme tels par les bénéficiaires et leurs contemporains. Ils n’existent qu’à travers leur vision, souvent elle-même média- tisée par l’intervention des clercs, rédacteurs de recueils ou de livres de miracles. 2. Eric Lebec, Miracles et sabbats. Journal du Père Maunoir. Missions de Bretagne 1631-1650, traduit du latin par Anne-Sophie et Jérôme Cras, Paris, éditions de Paris, 1997, p. 138, 140-141. Malgré son admiration pour les juges, Maunoir n’a jamais fait appel au bras séculier (p. 164, note 48). 3. J. Delumeau, La Peur…, op. cit., p. 389-400. 4. « […] nulla etiam admittenda esse nova miracula nisi eodem recognoscente et approbante episcopo », dans Décrets du concile de Trente, XXVe session. Henri Platelle, Les Chrétiens face au miracle, Lille au xviiiê siècle, Paris, éditions du Cerf, 1968, p. 35. 5. Cité par Albrecht Burkardt, Les Clients des saints. Maladies et quête de miracle à travers les procès de canonisation de la première moitié du xviiê siècle en France, Rome, Bibliothèque de l’École française de Rome, 2004, p. 524. 6. A. Burkardt, Les Clients des saints…, op. cit. ; Bruno Maës, « Les historiens devant les récits modernes de miracles, de la fin du xixe siècle à nos jours », Revue d’Histoire de l’Église de France, nº 217, 2000, p. 459-466. 2 http://umr6576.cesr.univ-tours.fr/Publications/HasardetProvidence robert sauzet miracles et contre-réforme en france Le miracle doit être considéré comme une réalité vécue, ce qui n’implique nulle- ment la possibilité de se prononcer sur sa vérité car l’historien se situe sur le seul plan où il puisse se mouvoir, celui des phénomènes. Pour reprendre la formule de Dupront, son approche doit être « innocente de toute théologie »⁷. Essayer de trancher entre vrais et faux miracles est un abus de pouvoir qui peut ouvrir la porte à des dérives apologétiques. Tel me paraît le danger de certains scrupules exprimés par Jean de Viguerie qui, désireux de « se garder d’une attitude hyper- critique », considère que « en deçà de la croyance au miracle existe le fait du miracle »⁸. Inversement, le scientisme réducteur du xixe siècle n’a pas totalement disparu. Un travail d’ethnologie, par ailleurs très intéressant, consacré aux saints guérisseurs du Perche-Gouët reprochait à l’anthropologie religieuse de Dupront de reprendre à son compte « la tâche idéologique de l’Église », faisant ainsi entrer « tout dans les dogmes sans postuler, même à titre d’hypothèse, que les cultes de saints guérisseurs puissent nous parler d’autre chose que de religion »⁹. S’il ne peut décider de leur vérité, l’historien est amené, du moins, à constater que les miracles ont servi : l’exaltation des prodiges attribués à l’intercession de la Vierge ou des saints ou opérés par le Saint-Sacrement, cœur du débat religieux entre papistes et huguenots, joua un grand rôle dans les affrontements confessionnels des xvie et xviie siècles. Les miracles, marques de la véritable Église ? À l’encontre des Pères de Trente qui avaient réaffirmé la licéité du culte des saints, de leurs reliques et des miracles, les théologiens protestants les rejetaient comme de fausses « marques » de l’Église au même titre qu’ils refusaient l’argument d’antiquité dont celle de Rome se glorifie¹⁰. En 1644 par exemple, un pasteur dau- 7. Alphonse Dupront, Puissances et latences de la religion catholique, Paris, Gallimard, 1993, p. 16. Id., Du sacré, Paris, Gallimard, 1987, p. 13-46. Jean Delumeau manifeste la même prudence à propos des miracles de sainte Anne d’Auray, La Mort des pays de cocagne, Paris, Publications de la Sorbonne, 1976, p. 175-183. De même H. Platelle, Les Chrétiens face au miracle, op. cit., p. 10. 8. Jean de Viguerie, « Le miracle dans la France du xviie siècle », xviiê siècle, Bulletin de la Société d’étude du xviiê siècle, 1983, nº 140, p. 313-333, et Histoire des miracles, colloque de Fontevraud, 1982, Angers, Publications de l’Université d’Angers, 1983. 9. Alban Bensa, Les Saints guérisseurs du Perche-Gouët, Paris, Publications du musée de l’homme, 1978, p. 238. 10. René Voeltzel, Vraie et fausse Église selon les théologiens protestants français du xviiê siècle, Paris, Presses Universitaires de France, 1955. Tout calviniste que fût le cœur du dogme anglican qui refu- sait les miracles dus à l’intercession des saints, l’« Established Church » ne refusait pas le « royal gift », le pouvoir miraculeux de guérir les écrouelles partagé uploads/Religion/ sauzet-miracles-et-contre-reforme-en-france-au-xvii-siecle.pdf

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  • Publié le Mar 17, 2021
  • Catégorie Religion
  • Langue French
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