1 « LA MORT D’UNE RELIQUE » (Le suaire de CADOUIN) Par la princesse de Chimay N
1 « LA MORT D’UNE RELIQUE » (Le suaire de CADOUIN) Par la princesse de Chimay Nous reproduisons ici le récit savoureux de la princesse de Chimay1 sur sa première visite au suaire de Cadouin2, puis sur sa déception très forte, vers 1936, concernant l’authenticité de ce tissu. Ce récit a été publié dans « la Revue Belge » du 15 octobre 1937 (pp. 292 à 297), puis à Namur, en juin 1966. A la fin de ce récit, MNTV indique les origines possibles de ce suaire. Les photos (fig. 1 à 3) proviennent des documents aimablement offerts par B. et G. Delluc, auteurs de plusieurs ouvrages sur le suaire de Cadouin. Toutes les notes de bas de page sont de MNTV (à lire de préférence après avoir lu le récit). La rédaction C’était à l’époque où je pensais à m’installer en Dordogne. Je tournais en rond dans le pays, comme un chien qui cherche à se coucher. Tayac, Bayac, Mauzac, noms aux finales cabrées, m’avaient vue flâner. C’était en juin ; j’étais assise sous le lierre géant qui cache le mur de l’abbaye de Cadouin avec l’ombre des moines. Quels fantômes flottaient dans l’air de ce village paisible où le cabaretier rituel, son gros ventre recouvert d’un tablier bleu qui semblait une voile gonflée au vent, vendait des objets de piété et des verres de gros rouge ? Pourquoi le guide Michelin, ouvert sur mes genoux, unissant dans ses pages le cloître gothique et les pâtés savoureux de l’endroit, ne disait-il rien de l’église à la façade romane caramélisée par le temps ? Pourquoi cette sombre église avait-elle un aspect mystérieux, comme terrifié ? Avait-elle conservé la trace des terreurs de l’an mille, tout comme les temples khmers, tourmentés des angoisses de la nature tropicale, n’ont d’auguste que la façade de leur Bouddha ? L’église n’était pas désaffectée, et pourtant elle avait cet aspect maléfique des édifices catholiques abandonnés, dans lesquels les péchés avoués au confessionnal dansent une ronde satanique, n’étant plus pourchassés par les prières et l’encens. Je devinais en Cadouin un secret qui ne m’était qu’à demi révélé, et je quittais le village ; il conservait pour moi l’attrait de l’inconnu qui, je le pressentais, me serait dévoilé un jour. ----0---- Un an s’était écoulé. J’étais installée dans le pays. « Comment, m’avait-on dit, vous avez été à Cadouin et vous n’avez pas vu le Saint Suaire de Jésus-Christ ? » Voila le mystère que j’avais senti planer ; voila la raison de mon trouble secret. 1 Il s’agit de Gilonne de Chimay (décédée en 1962), épouse du prince Joseph III de Caraman-Chimay. Chimay est une petite ville francophone du Hainaut (tout près de la frontière française), qui fut érigée en principauté du Saint Empire en 1486 et fut rattachée à la Belgique en 1830 ; elle abrite encore le château des princes de Chimay et le tombeau de Froissart. En 1449, Marguerite de Charny y avait exposé (sans succès) le Linceul actuellement conservé à Turin (cf. MNTV n° 39). 2 Cadouin est à 36 km à l’est de Bergerac ; le monastère bénédictin qui y fut fondé en 1115, par l’évêque de Périgueux, devint cistercien en 1119 (cf. « Dictionnaire de la France médiévale » - Jean Favier - 1983) ; l’abbaye possède encore un magnifique cloître de style flamboyant (fin du XV° s). 2 Alors j’y retournai avec mes enfants et leur nurse irlandaise. Ce fut un vrai pèlerinage. Nous étions impressionnés, et la nurse en extase balbutiait le long du chemin : « The Holy Veil ! » - « Monsieur le curé, Monsieur le curé3, nous sommes de pieux pèlerins, nous venons de très loin (a beau mentir qui vient de près), faites-nous la grâce de nous montrer votre précieuse relique ! » - « Bien, mes enfants. D’abord, êtes-vous chrétiens ? Catholiques ? » - « Oui, monsieur le curé ». - « Alors, venez. Vous allez avoir la grande faveur de voir le Saint Voile. Vénérez-le, contemplez-le, mais naturellement n’y touchez pas ». Et nous voici tous quatre à genoux. Avec des gestes tendres, le chanoine a posé le voile sur l’autel, au fond de la sombre église. C’est une longue et fine étoffe de lin 4, roussie par le temps [voir fig. 1]. Aux deux bouts, tissés dans l’étoffe, des cercles bleus et verts au milieu carmin rehaussé d’un dessin peu visible dans la pénombre [voir fig. 2]. Deux bandes noires5 encadrent le motif central, elles sont parsemées de traits inégaux. « Des caractères hébreux6, me chuchote le prêtre. Voyez, me dit-il, en me montrant des taches brunes, des traces de sang7 ». Je suis émue. Les enfants se signent. A côté de moi, j’entends la nurse qui murmure : « The Holy Blood !...The Holy Blood ! » Puis, le voile fut rentré dans son reliquaire8, devant lequel une flamme brûle nuit et jour9. - « Par quel hasard, Monsieur le curé, cette relique est-elle ici ? » - « Son histoire est longue et troublée10. A l’époque de la première croisade, Adhémar de Monteil11 découvrit cette étoffe dans les murs de l’église d’Antioche, qui avait été profanée par les Sarrazins. Heureux de sa trouvaille, en cachette, avec la joie d’un avare, il la confia à son chapelain. Puis, comme tant de ses compagnons, Adhémar mourut et son chapelain reprit, clopin-clopant, le chemin du retour. Il ne devait pas revoir son pays, et le Saint Suaire tomba entre les mains d’un pauvre hère, religieux périgourdin, camarade du chapelain, qui l’emporta en France. Mais quelle autorité pouvait-il avoir pour faire reconnaître le voile divin ? Il allait le long du chemin, portant le suaire dans une cassette 3 Il s’agit du Père Boucher (lazariste), qui fut curé de Cadouin de 1885 à 1942. 4 Le suaire de Cadouin, en lin écru, mesure 2,81 m par 1,13 m ; dans sa largeur, il comporte deux bandes de chaque côté, l’une de 26 mm (vers l’extérieur) avec une décoration florale, l’autre de 74 mm (vers l’intérieur) ornée d’étoiles à huit branches (cf. « Cadouin, une aventure cistercienne en Périgord » - B. et G. Delluc - Ed. PLB - 1990). 5 Un examen au microscope, en 1981, a montré que ces bandes et les inscriptions associées ne sont pas tissées mais brodées avec des fils de soie de différentes couleurs (cf. « Cadouin, une aventure cistercienne en Périgord » - B. et G. Delluc - Ed. PLB - 1990). 6 Au début du XX° s, M. de Longpérier avait observé qu’il s’agissait sans doute de caractères orientaux ; mais l’examen sommaire fait en 1903 avait conclu à une possible origine de ce tissu au début de l’ère chrétienne (cf. « Cadouin, une aventure cistercienne en Périgord » - B. et G. Delluc - Ed. PLB - 1990). 7 En 1643, selon l’évêque de Sarlat, Mgr. de Lingendes, le linge apparaissait « teint en plusieurs endroits de sang meurtri, sueur et onguents mêlés » (cf. texte du Père Carles, en 1875, cité notamment dans « Le Suaire de Cadouin » - J.M. Maubourguet - 1936). Mais l’examen au microscope de 1981 a montré qu’il s’agissait de taches de bougies (cf. « Cadouin, une aventure cistercienne en Périgord » - B. et G. Delluc - Ed. PLB - 1990). 8 On peut encore voir, au « musée du Suaire » de Cadouin, la châsse, réalisée en 1864, dans laquelle le tissu fut conservé ; il a été exposé à Paris en 1965, avec les « Trésors de l’Eglise de France » (cf. « Cadouin, une aventure cistercienne en Périgord » - B. et G. Delluc - Ed. PLB - 1990). 9 Le suaire de Cadouin est mentionné pour la première fois dans un acte de 1214, dans lequel Simon IV de Montfort donne une rente de 25 livres pour entretenir une lampe qui devra brûler jour et nuit devant la relique (cf. « Le Suaire de Cadouin » - J.M. Maubourguet -1936). La dévotion ne commença qu’au XIII° s. 10 Il y a eu plusieurs récits différents ; celui-ci semble provenir d’une chronique de la 1ère croisade, par Radulfus, qui situe l’arrivée du suaire à Cadouin « environ l’an 1117 », chronique reprise au XIII° s. par Albéric, moine de l’abbaye des Trois Fontaines (diocèse de Liège) ; cette date de 1117 était affichée sur une pancarte à l’entrée de l’église (cf. « Le Suaire de Cadouin » - J.M. Maubourguet -1936). 11 Il était évêque du Puy, et fut légat du pape Urbain II pour la 1° croisade qui partit (du Puy) en août 1096. 3 de plomb ; de vallée en montagne, évitant les villes, il arriva au Puy. Là, il tenta de se faire reconnaître par le chapitre de la cathédrale. Les chanoines, hauts et puissants seigneurs, se gaussèrent du va-nu-pieds qui prétendait posséder semblable trésor, et notre pèlerin reprit sa route. Arrivé dans son pays natal, près de Cadouin, il se tapit au fond d’un bois et se mit en uploads/Religion/ suaire-de-cadouin.pdf
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- Publié le Fev 11, 2022
- Catégorie Religion
- Langue French
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