GOUVERNER LE RELIGIEUX DANS UN ÉTAT LAÏC Janvier 2018 Thierry RAMBAUD fondapol.

GOUVERNER LE RELIGIEUX DANS UN ÉTAT LAÏC Janvier 2018 Thierry RAMBAUD fondapol.org Gouverner le religieux dans un État laïc Thierry RAMBAUD 4 La Fondation pour l’innovation politique est un think tank libéral, progressiste et européen. Président : Nicolas Bazire Vice Président : Grégoire Chertok Directeur général : Dominique Reynié Présidente du Conseil scientifique et d’évaluation : Laurence Parisot 5 La Fondation pour l’innovation politique offre un espace indépendant d’expertise, de réflexion et d’échange tourné vers la production et la diffusion d’idées et de propositions. Elle contribue au pluralisme de la pensée et au renouvellement du débat public dans une perspective libérale, progressiste et européenne. Dans ses travaux, la Fondation privilégie quatre enjeux : la croissance économique, l’écologie, les valeurs et le numérique. Le site fondapol.org met à disposition du public la totalité de ses travaux. La plateforme « Data.fondapol » rend accessibles et utilisables par tous les données collectées lors de ses différentes enquêtes et en plusieurs langues, lorsqu’il s’agit d’enquêtes internationales. De même, dans la ligne éditoriale de la Fondation, le média « Anthropotechnie » entend explorer les nouveaux territoires ouverts par l’amélioration humaine, le clonage reproductif, l’hybridation homme/ machine, l’ingénierie génétique et les manipulations germinales. Il contribue à la réflexion et au débat sur le transhumanisme. « Anthropotechnie » propose des articles traitant des enjeux éthiques, philosophiques et politiques que pose l’expansion des innovations technologiques dans le domaine de l’amélioration du corps et des capacités humaines. Par ailleurs, le média « Trop Libre » offre un regard quotidien critique sur l’actualité et la vie des idées. « Trop Libre » propose également une importante veille dédiée aux effets de la révolution numérique sur les pratiques politiques, économiques et sociales dans sa rubrique « Renaissance numérique ». La Fondation pour l’innovation politique est reconnue d’utilité publique. Elle est indépendante et n’est subventionnée par aucun parti politique. Ses ressources sont publiques et privées. Le soutien des entreprises et des particuliers est essentiel au développement de ses activités. Fondation pour l’innovation politique Un think tank libéral, progressiste et européen 6 7 Résumé La présente note s’interroge sur la possibilité d’une politique publique de gestion du fait religieux en contexte laïc. Bien évidemment, une telle politique doit en premier lieu respecter le cadre juridique de la laïcité et tendre à la protection des libertés fondamentales. Toutefois, en tant que garant de l’intérêt général, l’État doit également tenir compte de ces forces sociales, à la fois mouvantes et puissantes que sont les religions, afin d’éviter que ces dernières ne constituent un instrument d’affaiblissement de l’État. Au contraire, les autorités étatiques doivent s’efforcer de mener une politique, sans remettre en cause la portée juridique du principe de laïcité, leur permettant de manière constante de tendre au renforcement du « bien-être social de la population ». Au nom de cet objectif, ces autorités doivent nouer avec les collectivités religieuses un dialogue construit et institutionnalisé. S’il ne s’agit pas de renouer avec le gallicanisme napoléonien, il importe néanmoins de ne pas affaiblir l’État et de lui donner les moyens d’une réelle régulation institutionnelle et juridique des tensions internes qui peuvent se manifester au sein de la société dont il a la responsabilité. L’enjeu, en cette période de tensions récurrentes sur le plan international, comme interne, est donc d’importance. 8 Sommaire Introduction..........................................................................................................................................................................................................9 I. Signification de la laïcité de l’État et de l’espace public sous la Ve République. ........................................................................................................................ 15 1. Première approche de la laïcité de l’État........................................................................................... 15 2. Les trois sens de la notion de laïcité................................................................................................... 17 II. La compétence de l’État neutre pour conduire une politique publique du fait religieux au nom de l’intérêt général................................ 22 1. Position du problème et problématique............................................................................................. 22 2. La signification du principe de neutralité en droit public français...................................... 26 3.  Neutralité de l’État et renforcement du bien-être social de la population et de la cohésion nationale : l’État peut-il participer à la formation des imams ?....................... 29 III. L’ajustement des instruments juridiques et institutionnels pour une gestion publique du fait religieux. ............................................................ 32 9 Introduction La laïcité ne cesse jamais de revenir sur le devant de la scène. Peut-être même, est-ce l’essence du principe de laïcité que d’ouvrir un dialogue qui ne se refermerait jamais. Il serait le contraire d’un principe clos dans lequel les portes de l’interprétation se seraient fermées. Dans un important colloque de l’Association du corps préfectoral, qui s’est tenu en 2016, Régis Debray, intervenant en qualité de grand témoin, notait au sujet de la laïcité de l’État : « Le terme de “cadre” me semble être le plus fondamental. Il permet de faire tenir debout une construction juridique complexe. Ce cadre est constitué par l’État, dont Mesdames et Messieurs les Préfets, vous êtes les représentants. L’État est le dernier bien de ceux qui n’en ont pas, l’ultime garant de la solidarité entre les pauvres et les riches, et de l’égalité entre hommes et femmes 1 ». Régis Debray mettait ici l’accent sur une dimension fondamentale : concernant la gestion des religions en République laïque, l’État peut-il se contenter uniquement d’être un « cadre » ou doit-il être plus ? Il ajoutait : « La version française de la laïcité a deux adversaires 1. Association du corps préfectoral, La République laïque : toujours et pour toujours ? acte du colloque Claude- Érignac, 15 septembre 2016, p. 86 (www.corpsprefectoral.fr/wp-content/uploads/2016/09/Actes-du-Colloque- Erignac.pdf). Gouverner le religieux dans un État laïc Thierry RAMBAUD Professeur des Universités (Sorbonne Paris Cité-Paris Descartes). Ancien membre de la Commission de réflexion juridique sur les rapports entre les pouvoirs publics et les cultes auprès du ministère de l’Intérieur de 2005 à 2006. 10 fondapol | l’innovation politique intérieurs : un État qui se renonce et un État qui s’exagère 2 ». Entre les deux extrémités, il existe l’État qui respecte, mais qui agit également, car il a conscience qu’il est essentiel de relier la manifestation publique et sociale des religions à la réalisation de l’intérêt général dont il exerce la responsabilité. L’idée générale, qui sous-tend notre étude, est que les religions constituent autant des facteurs de cohésion et de progrès social que de déstabilisation et de violence dans nos sociétés contemporaines. Elles sont tout à la fois génératrices d’harmonie et de division sociales, ainsi que, par voie de conséquence, objet d’appréhension par le pouvoir politique. Le fait religieux constitue en effet un « fait politique », pour reprendre les termes du titre d’un volume paru en 2009 en l’honneur de Bruno Étienne 3, ou encore un « problème public », au sens de la littérature sur l’analyse des politiques publiques 4. Quoi qu’il en soit, le « fait religieux » ne peut se résumer, pour le publiciste, à une garantie des libertés publiques en matière religieuse. La notion de « problème public » La notion de « problème public », bien qu’intuitivement aisée à saisir, n’est en réalité pas simple à définir dans la mesure où elle renvoie davantage au produit d’un processus de problématisation qu’à un fait objectif. En effet, aucun « problème politique » n’existe a priori. Que nous enseigne la littérature politiste à ce sujet ? Selon Jean-Gustave Padioleau, le problème public renvoie à un sujet qui « appelle un débat public, voire l’intervention des autorités publiques légitimes 5 ». John W. Kingdom avance, pour sa part, qu’un problème politique existe quand les citoyens commencent à penser que « quelque chose peut être fait pour changer la situation 6 ». C’est ici tout le paradoxe : comment peut-on expliquer que le sujet de la gestion du fait religieux entre dans la sphère publique, alors que l’on pensait, depuis longtemps, qu’il s’agissait d’un acquis de la modernité politique que de considérer que la croyance religieuse relevait avant toute chose de la sphère privée ? 2. Ibid., p. 87 . 3. Franck Frégosi (dir.), Bruno Étienne. Le fait religieux comme fait politique, L’Aube, 2009. 4. La perspective ici retenue est celle de l’analyse des politiques publiques et du droit public. Nous avons conscience de l’importance de ce sujet en philosophie politique, notamment chez Hobbes ou chez Hegel, qui ont consacré des développements majeurs à ces thèmes. Nous les avons à l’esprit lorsque nous défendons l’idée que l’État est celui qui transcende les conflits religieux des citoyens et régule les tensions au sein de la société. Seulement, notre point de vue dominant n’est pas celui de la pensée politique mais davantage celui de la gouvernance institutionnelle. 5. Jean-Gustave Padioleau, L’État au concret, PUF , 1982, p. 25. 6. John W. Kingdom, Agendas, Alternatives, and Public Policies, Longman, 1984, p. 114 , cité dans l’article d'Elizabeth Sheppard, « Problème public (définition) », Dictionnaire des politiques publiques, sous la direction de Laurie Boussaguet, Sophie Jacquot et Pauline Ravinet, Presses de Sciences Po, 2014. Gouverner le religieux dans un État laïc 11 Pour être publicisé un problème doit en effet faire appel aux compétences des autorités publiques ainsi qu’à un débat public. Or il est devenu incontestable que le fait religieux s’impose dorénavant à ces autorités. Actualité du sujet Cette irruption se fait malheureusement de manière inopportune. Le uploads/Religion/ thierry-rambaud-gouverner-le-religieux-dans-un-etat-laic.pdf

  • 14
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager
  • Détails
  • Publié le Fev 03, 2021
  • Catégorie Religion
  • Langue French
  • Taille du fichier 1.7659MB