SIF Enseigner l'informatique de la maternelle à la terminale Société informatiq

SIF Enseigner l'informatique de la maternelle à la terminale Société informatique de France Le 24 mars 2016, une délégation de la SIF a été reçue par le président du Conseil supérieur des programmes (CSP) au ministère de l’Éducation nationale pour dis- cuter du programme pour un enseignement facultatif d’informatique et de création numérique (ICN) en classes de première ES, L et S, et terminale ES et L. Suite à cette réunion, le président du CSP a invité la SIF à produire un texte donnant une vision d’ensemble de l’enseignement de la discipline informatique sur l’ensemble du temps scolaire. Le présent document répond à cette invitation. Il a été approuvé par le Conseil scientifique et le Conseil d’administration de la SIF. Paris, le 25 août 2016. Ce texte, délibérément très général, propose une progression permettant d’arti- culer les programmes d’informatique des différents cycles qui se succèdent de la maternelle à la terminale, afin de donner aux élèves une culture générale en infor- matique, qui leur permette de comprendre le monde dans lequel ils vivent et de se préparer à exercer un métier dans lequel, quel que soit ce métier, des connaissances informatiques leur seront nécessaires. L’objectif est qu’au sortir de l’enseignement secondaire, les élèves aient compris ce qu’est l’informatique, qu’ils connaissent les concepts fondamentaux de la pensée informatique – algorithme, machine, langage et information – et qu’ils aient acquis une certaine autonomie pour construire des objets informatiques par eux-mêmes. 1024 – Bulletin de la société informatique de France, numéro 9, novembre 2016, pp. 25–33 26 SOCIÉTÉ INFORMATIQUE DE FRANCE ◦◦◦◦•◦◦• Trois équilibres Enseigner l’informatique demande de prendre en compte trois formes de com- plexité, qui sont constitutives de l’informatique elle-même. Tout d’abord, l’informa- tique est à la fois une science et une technique. Ensuite, elle articule quatre concepts, qui la précèdent, mais qu’elle a complètement renouvelés. Enfin, elle est le levain d’une transformation radicale du monde, ce qui se traduit, en particulier, par le fait qu’elle entretient des liens complexes avec les autres disciplines. Cela demande de veiller à trois équilibres dans son enseignement : — entre les activités scientifiques et les activités techniques, notamment la réalisation de projets, — entre les différents concepts enseignés, et — entre l’enseignement de la discipline proprement dite et de ses interfaces, notamment son utilisation dans d’autres disciplines. Cette progression et ces équilibres doivent naturellement être modulés en fonction des séries et des horaires alloués à la discipline. Une science et une technique Nous distinguons habituellement les sciences, activités qui visent à connaître, des techniques, activités qui visent à faire. Par exemple, l’astronomie, qui nous permet de connaître la forme de la trajectoire de la planète Mars autour du Soleil, est une science et l’astronautique, qui nous permet de fabriquer une sonde et de l’envoyer sur Mars, est une technique. Les sciences et les techniques sont naturellement imbri- quées, mais elles sont en général distinguées, en particulier dans notre lexique. Une particularité du mot « informatique » est qu’il désigne à la fois une science et une technique : l’informatique est à la fois une science, qui nous permet, par exemple, de savoir qu’il n’existe pas d’algorithme de tri en temps linéaire, et une technique, qui nous permet de fabriquer un programme pour trier des données. Comme nombre de techniques avancées, l’informatique est également une industrie. L’informatique se distingue d’autres techniques par le fait que les objets qu’elle construit sont souvent immatériels, alors que, dans notre langue, le mot « technique » est souvent associé à la construction d’objets matériels. Construire des objets ma- tériels, tel un vase en céramique, demande souvent une grande habileté manuelle. Construire des objets immatériels, tels des programmes, demande d’autres qualités : maîtrise d’un ou plusieurs langages, faculté d’abstraction... Ce lien entre la main et la technique est profondément ancré dans notre culture, si bien que l’Éducation na- tionale a un temps dispensé un enseignement d’« Éducation manuelle et technique », mais il est, pour l’essentiel, rendu caduc par le développement de l’informatique, qui nous oblige à repenser une partie de la technique comme un domaine de la pensée abstraite. 1024 – Bulletin de la société informatique de France – numéro 9, novembre 2016 ◦◦◦◦•◦◦• ENSEIGNER L’INFORMATIQUE DE LA MATERNELLE À LA TERMINALE 27 Apprendre à fabriquer des objets, en particulier des programmes, est donc une étape essentielle dans l’apprentissage de l’informatique. C’est l’étape à laquelle l’élève cesse d’utiliser exclusivement des programmes écrits par d’autres et où il commence à concevoir des programmes, qui peuvent être utilisés par d’autres comme par lui-même. L’initiation à la programmation peut commencer dès le plus jeune âge, par exemple à la maternelle, en utilisant des langages graphiques, qui ne demandent pas de connaître les lettres de l’alphabet. Cette initiation peut contribuer au dévelop- pement de la faculté des élèves à se projeter dans l’avenir, c’est-à-dire à définir un projet et à le réaliser, et à leur familiarisation avec l’utilisation de symboles. Mais, même s’il est possible de découvrir la programmation assez tôt, c’est le collège qui est le moment le plus adapté pour son approfondissement et sa maîtrise. Cet apprentissage est en effet en cohérence avec d’autres apprentissages du collège : le langage de l’arithmétique avec l’utilisation de parenthèses, le langage de l’algèbre, la notation musicale, la modélisation de phénomènes physiques... Placer ainsi l’apprentissage de la programmation au collège permet de découper l’apprentissage de l’informatique en trois phases : à l’école primaire, une découverte des concepts de la pensée informatique et une initiation à la programmation, au col- lège une focalisation sur l’apprentissage en profondeur de la programmation et l’ac- quisition de l’autonomie qui l’accompagne, au lycée l’apprentissage de la science informatique. Le fait que l’informatique soit à la fois une science et une technique se traduit aussi dans les méthodes pédagogiques utilisées pour l’enseigner. Pas plus qu’il n’est possible d’apprendre à jouer d’un instrument de musique sans le pratiquer, il n’est possible d’apprendre l’informatique sans réaliser soi-même des projets, en particulier des projets de programmation. À tous les niveaux, il est essentiel que les élèves apprennent en faisant. Les premiers projets que l’on peut réaliser au collège ne sont guère plus ambitieux qu’un exercice un peu élaboré, mais ils diffèrent, sur le plan pédagogique, par le fait que, dès ce niveau, les élèves doivent être autonomes dans la définition de leurs objectifs : l’enseignant leur suggère certes des objectifs initiaux, mais, au cours de la réalisation de leur projet, les élèves doivent redéfinir ces objectifs et se les approprier. Les quatre concepts de l’informatique Un ordinateur est une machine à exécuter des algorithmes. Ces deux concepts d’algorithme et de machine sont antérieurs à l’invention des ordinateurs, et ils ont, de ce fait, longtemps été pensés séparément. Quand les scribes de Mésopotamie, par exemple, ont proposé les premiers algorithmes pour résoudre des équations du second degré, ces algorithmes étaient destinés à être exécutés à la main, par un être humain, et non par une machine. À l’inverse, les moulins à eau, qui datent aussi de 1024 – Bulletin de la société informatique de France – numéro 9, novembre 2016 28 SOCIÉTÉ INFORMATIQUE DE FRANCE ◦◦◦◦•◦◦• l’Antiquité, servaient à moudre des céréales ou à presser des olives, et non à exécuter des algorithmes permettant de résoudre des équations du second degré. L’idée de machine à exécuter des algorithmes symboliques a lentement émergé avec les carillons des cathédrales, les machines de Wilhelm Schickard et de Blaise Pascal, les métiers à tisser à cartes perforées de Joseph Marie Jacquard, les machines imaginées par Charles Babbage et Ada Lovelace... Et ce n’est qu’au milieu du XXe siècle que nous avons été enfin capables de construire des machines programmables universelles, qui permettent d’exécuter tous les algorithmes symboliques possibles : des ordinateurs. La construction de ces machines a mené à un renouvellement complet de ces concepts d’algorithme et de machine. Mais elle a aussi entraîné un renouvellement de deux autres concepts, eux aussi très anciens : ceux de langage et d’information. Cette pluralité conceptuelle, qui est peut-être la grande originalité de l’informa- tique, est à l’origine d’une pluralité de visions de l’informatique et d’une pluralité de ses figures tutélaires : Muhammad Al-Khwârizmî, Johannes Gutenberg, Blaise Pascal, Charles Sanders Peirce... L’enseignement de l’informatique à tous les niveaux doit donc veiller à rendre compte de cette pluralité et à équilibrer les différents concepts d’algorithme, de ma- chine, de langage et d’information, dans un enseignement cohérent et dispensé par un enseignant unique. Enseigner l’informatique ne peut donc se limiter à enseigner des algorithmes, tel l’algorithme d’Euclide, sans enseigner également comment ces algorithmes s’expriment dans un langage de programmation, comment ils sont exé- cutés par une machine, comment sont représentées les données qu’ils transforment et comment ils transforment la vie de leurs utilisateurs. Enseigner l’informatique ne peut non plus se limiter à enseigner comment on fabrique un robot, sans enseigner également la manière dont ce robot peut être programmé dans un langage particu- lier, dont sont conçus les algorithmes qui permettent de le commander, dont sont représentées les données captées par ce robot et uploads/Science et Technologie/ 1024-no9-enseigner-informatique.pdf

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