«L'obligation d’écrire», in «Nerval est-il le plus grand poète du XIXe siècle?»
«L'obligation d’écrire», in «Nerval est-il le plus grand poète du XIXe siècle?», Arts: lettres, spectacles, musique, no 980, 11-17 novembre 1964, p. 7. (Fragment d'une enquête menée auprès de plusieurs écrivains à l'occasion de rééditions d’oeuvres de Nerval.) Nerval a eu un rapport à la littérature qui pour nous est étrange et familier. Troublant mais proche de ce que nous apprennent les plus grands de nos contemporains (Bataille, Blanchot). Son oeuvre disait que la seule manière d'être au coeur de la littérature, c'est de se maintenir indéfiniment à sa limite, et comme au bord extérieur de son escarpement. Nerval, pour nous, ce n'est pas une oeuvre; ce n'est pas même un effort abandonné pour faire passer dans une oeuvre qui se dérobe une expérience qui lui serait obscure, étrangère ou rétive. Nerval, c'est sous nos yeux, aujourd'hui, un certain rapport continu et déchiqueté au langage: d'entrée de jeu, il a été happé en avant de lui-même par l'obligation vide d'écrire. Obligation qui ne prenait tour à tour la forme de romans, d'articles, de poèmes, de théâtre, que pour être aussitôt ruinée et recommencée. Les textes de Nerval ne nous ont pas laissé les fragments d'une oeuvre, mais le constat répété qu'il faut écrire; qu'on ne vit et qu'on ne meurt que d'écrire. De là cette possibilité et cette impossibilité jumelles d'écrire et d'être, de là cette appartenance de l'écriture et de la folie que Nerval a fait surgir aux limites de la culture occidentale -à cette limite qui est creux et coeur. Comme une page imprimée, comme la dernière nuit de Nerval, nos jours maintenant sont noir et blanc. * Richard (J.-P.), Onze études sur la poésie moderne, Paris, Éd. du Seuil, coll. «Pierres vives», no 7, 1964. |PAGE 438 1965 30 Philosophie et psychologie «Philosophie et psychologie» (entretien avec A. Badiou), Dossiers Pédagogiques de la radio-télévision scolaire, 27 février 1965, pp. 65-71. Cette discussion, ainsi que le débat qui figure au numéro suivant, proviennent d'émissions produites par la radio-télévision scolaire en 1965-1966, conçues par Dina Dreyfus et réalisées par Jean Fléchet. Ces émissions ont été récemment rééditées en cassettes vidéo par le Centre national de documentation pédagogique et les éditions Nathan dans la collection «Le temps des philosophes», tandis qu'un numéro des Cahiers philosophiques (hors série, juin 1993) donne une transcription littérale de leur contenu, fort éloignée de la version ici publiée et qui, seule, avait été révisée par les auteurs. 1 -Qu'est-ce que la psychologie? -Je vous dirai que je ne pense pas qu'il faille essayer de définir la psychologie comme science, mais peut-être comme forme culturelle; cela s'inscrit dans toute une série de phénomènes que la culture occidentale a connus depuis longtemps, et dans lesquels ont pu naître des choses comme la confession, comme la casuistique, comme les dialogues, discours, raisonnements que l'on pouvait tenir dans certains milieux au Moyen Âge, les cours d'amour, ou encore dans les milieux précieux du XVIIe siècle. -y a-t-il des rapports intérieurs ou extérieurs entre la psychologie comme forme culturelle et la philosophie comme forme culturelle? Et la philosophie est-elle une forme culturelle? -Vous posez deux questions: 1° La philosophie est-elle une forme culturelle? Je vous dirai que je ne suis pas très philosophe, donc pas très bien placé pour le savoir. Je pense que c'est le grand problème dans lequel on se débat maintenant; peut-être la philosophie est-elle, en effet, la forme culturelle la plus générale dans laquelle nous pourrions réfléchir sur ce qu'est l'Occident. 2° Maintenant, quels sont les rapports entre la psychologie comme forme culturelle et la philosophie? Alors, je crois que l'on est là à un point du conflit qui oppose depuis cent cinquante ans les |PAGE 439 philosophes et les psychologues, problème qui est relancé maintenant par toutes les questions qui tournent autour de la réforme de l'enseignement. Je crois que l'on peut dire ceci: d'abord qu'en effet la psychologie et, à travers la psychologie, les sciences humaines sont depuis le XIXe siècle dans un rapport très enchevêtré avec la philosophie. Cet enchevêtrement de la philosophie et des sciences humaines, comment peut-on le concevoir? On peut se dire que la philosophie, dans le monde occidental avait, à l'aveugle, et en quelque sorte à vide, dans l'obscurité, dans la nuit de sa propre conscience et de ses méthodes, circonscrit un domaine, celui qu'elle appelait l'âme ou la pensée, et qui, maintenant, sert d'héritage que les sciences humaines ont à exploiter d'une manière claire, lucide et positive. Si bien que les sciences humaines occuperaient de plein droit ce domaine un peu vague qui avait été signalé, mais laissé en friche par la philosophie. Voilà ce que l'on pourrait répondre. Je crois que c'est ce que diraient assez volontiers les gens dont on peut penser qu'ils sont les tenants des sciences humaines, les gens qui considèrent que la vieille tâche philosophique qui était née en Occident avec la pensée grecque, cette vieille tâche est maintenant à reprendre avec les instruments des sciences humaines. Je ne pense pas que cela circonscrive exactement le problème, il me semble qu'une pareille façon d'analyser les choses est évidemment reliée à une perspective philosophique 1 qui est le positivisme. On pourrait dire aussi autre chose, le contraire: c'est que cela fait peut-être partie du destin de la philosophie occidentale que, depuis le XIXe siècle, quelque chose comme une anthropologie soit devenu possible; quand je dis anthropologie, je ne veux pas parler de cette science particulière qu'on appelle l'anthropologie et qui est l'étude des cultures extérieures à la nôtre; par anthropologie, j'entends cette structure proprement philosophique qui fait que maintenant les problèmes de la philosophie sont tous logés à l'intérieur de ce domaine que l'on peut appeler celui de la finitude humaine. Si l'on ne peut plus philosopher que sur l'homme en tant qu'il est un homo natura, ou encore en tant qu'il est un être fini, dans cette mesure-là, est-ce que toute philosophie ne sera pas, au fond, une anthropologie? À ce moment-là, la philosophie devient la forme culturelle à l'intérieur de laquelle toutes les sciences de l 'homme en général sont possibles. Voilà ce que l'on pourrait dire, et qui serait, si vous voulez, l'analyse inverse de celle que j'esquissais tout à l'heure et qui, alors, récupérerait dans le grand destin de la philosophie occidentale les |PAGE 440 sciences humaines, comme tout à l'heure on pouvait récupérer la philosophie comme sorte de programme à vide de ce que doivent être les sciences humaines. Voilà l'enchevêtrement, c'est ce que nous avons à penser peut-être à la fois maintenant, ici où nous sommes, et puis en général dans les années à venir. -Vous avez dit, dans la première optique, qu'en somme la philosophie était conçue comme prescrivant son domaine à une science positive qui, ensuite, en assurait l'élucidation effective. Dans cette optique, qu'est-ce qui peut assurer la spécificité de la psychologie, au regard des autres types d'investigation? Le positivisme peut-il et entend-il, par ses propres moyens, assurer cette spécificité? -Eh bien, à une époque où les sciences humaines recevaient en effet leur problématique, leur domaine, leurs concepts d'une philosophie qui était, en gros, celle du XVIIIe siècle, je crois que la psychologie pouvait être définie ou bien comme science, disons, de l'âme, ou encore comme science de la conscience, ou encore comme science de l'individu. Dans cette mesure-là, je crois que le partage avec les autres sciences humaines qui existaient alors, et qui déjà était possible, ce partage pouvait se faire d'une façon assez claire: on pouvait opposer la psychologie aux sciences de l'ordre physiologique, comme on oppose l'âme au corps; on pouvait opposer la psychologie à la sociologie, comme on oppose l'individu à la collectivité ou au groupe, et si l'on définit la psychologie comme la science de la conscience, à quoi est-ce qu'on va l'opposer? Eh bien, pour une époque qui était celle qui va, en gros, de Schopenhauer à Nietzsche, on dirait que la psychologie s'oppose à la philosophie comme la conscience s'oppose à l'inconscient. Je pense d'ailleurs que c'est autour, précisément, de l'élucidation de ce qu'est l'inconscient que la réorganisation et le redécoupage des sciences humaines se sont faits, c'est-à-dire essentiellement autour de Freud, et cette définition positive, héritée du XVIIIe siècle, de la psychologie comme science de la conscience et de 1 l'individu ne peut plus valoir, maintenant que Freud a existé. -Plaçons-nous maintenant dans l'autre perspective: la problématique de l'inconscient, qui vous paraît être le principe de la restructuration du domaine des sciences humaines, quel sens lui assignez-vous des lors que l'on considère les sciences humaines comme moment du destin de la philosophie occidentale? -Ce problème de l'inconscient est en réalité très difficile, parce qu'apparemment on peut dire que la psychanalyse est une forme de psychologie qui s'ajoute à la psychologie de la conscience, qui |PAGE 441 double la psychologie de la conscience d'une couche supplémentaire qui serait celle de l'inconscient, et en fait on s'est tout de suite aperçu qu'en découvrant l'inconscient on drainait en même temps tout un tas de problèmes qui ne concernaient plus, précisément, soit uploads/Science et Technologie/ foucault-philosophie-et-psychologie-entretien-avec-badiou-dits-et-e-crits-i-gallimard-1994.pdf
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