LAWRENCE UNIVERSITY Proust le poète neurologue La science et l’esthétisme dans

LAWRENCE UNIVERSITY Proust le poète neurologue La science et l’esthétisme dans A la recherche du temps perdu Deana Zehren 3/12/2012 IHRTLUHC 2 Quelle faculté humaine est plus influente sur l‟identité que la mémoire ? Notre capacité de se souvenir du passé et ainsi se placer dans le temps est une question de conscience, une qualité suprêmement humaine. La France au dix-neuvième siècle jusqu‟au début du vingtième siècle se trouvait face à une véritable crise de mémoire. Dans une époque de progrès scientifique et l‟expansion de l‟industrie, les Français luttaient de se souvenir de leur passé et également de préserver le présent de crainte qu‟il soit oublié. En même temps, la montée de la psychologie et le système philosophique du positivisme essayaient d‟aborder le problème de la mémoire d‟une perspective scientifique et objective. Marcel Proust, un des écrivains français les meilleurs connus, a pris partie de la crise de mémoire du tournant du vingtième siècle. Comme beaucoup le sait, Proust a beaucoup écrit sur la mémoire, notamment comme thème central de son chef d‟œuvre de sept volumes A la recherche du temps perdu (1913-1922). Plus spécifiquement, dans une des scènes la plus fameuses de la littérature française, le goût d‟une petite madeleine trempée dans une infusion introduit sa notion de mémoire involontaire. Aux plusieurs reprises dans les sept volumes Proust écrit des souvenirs perdus qui sont merveilleusement éveillés par une sensation corporelle au présent. Selon Proust, ce lien entre le présent et le passé est le remède pour la crise de mémoire dont la société du dix-neuvième siècle souffrait. De plus, Proust voit la mémoire involontaire comme une inspiration pour l‟art qui est la vraie expression de la vie hors les contraintes du temps. Ainsi, semble-t-il dire, l‟esthétique est essentielle pour comprendre la vraie essence de la vie. A la recherche du temps perdu non seulement exalte une conception esthétique de la mémoire, Proust semble rejeter la croyance en la technologie ou la science pour trouver des mémoires « objectives ». Malgré son opposition à la science pour comprendre la mémoire, Proust était directement influencé par la sensibilité psychologique de son époque. En 1905, huit années avant la 3 publication de Du côté de chez Swann, Proust s‟est confié à la garde du docteur Paul Sollier qui, bien que presque oublié dans l‟histoire de la psychologie, était un des premiers experts dans le domaine de la mémoire1. En comparant les œuvres psychologiques de Sollier avec les comptes de la mémoire dans A la recherche du temps perdu il est clair que Proust a bien connu le travail de Sollier et qu‟il l‟a pris de l‟inspiration dans son écrit. La conception de la mémoire involontaire dans son œuvre littéraire est la réponse de Proust à l‟angoisse de la société au sujet de la crise de mémoire qui a défini son époque. Cette représentation de la mémoire dévoile que, malgré les affirmations de Proust que la littérature et la raison doivent être séparées, A la recherche du temps perdu est un texte hybride : il mélange les théories psychologiques et esthétiques dans une manière plus complète que les théories pouvaient expliquées séparément. Dans une polémique qui continue de nos jours, A la recherche est un texte exemplaire de la collaboration de l‟esthétisme et la raison et les rôles distincts de ces deux domaines pour mieux expliquer la condition humaine. En 1913 Marcel Proust a publié le premier volume de son chef-d‟œuvre A la recherche de temps perdu. Ce premier volume, Du côté de chez Swann, est particulièrement notable pour la scène de la madeleine qui se trouve à la fin de l‟ouverture. La scène de la madeleine est une des scènes la plus fameuse de toute la littérature française et elle est essentielle au récit de Recherche pour introduire l‟idée récurrente de la mémoire involontaire. Dans cette scène, le protagoniste se lamente de ne pas pouvoir rappeler certains détails de son enfance qui sont, quinze à vingt années plus tard, réduit à une «sorte de pan lumineux, découpé au milieu d‟instincts ténèbres »2. En fait, le protagoniste retrouve ses souvenirs, mais il ne les atteint pas par un effort de mémoire intentionnelle. Il décrit le moment où il regagne les mémoires perdues : 1 Bogousslavsky, “Marcel Proust‟s Lifelong Tour of the Parisian Neurological Intelligentsia,” 133. 2 Proust, Du côté de chez Swann, 29. 4 Et bientôt, machinalement, accablé par la morne journée et la perspective d‟un triste lendemain, je portai à mes lèvres une cuillerée du thé où j‟avais laissé s‟amollir un morceau de madeleine. Mais à l‟instant même où la gorgée mêlée des miettes du gâteau toucha mon palais, je tressaillis, attentif à ce qui se passait d‟extraordinaire en moi. Un plaisir délicieux m‟avait envahi, isolé, sans la notion de sa cause…Et tout d‟un coup le souvenir m‟est apparu. Ce goût, c‟était celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin à Combray, quand j‟allais lui dire bonjour dans sa chambre, ma tante Léonie m‟offrait après l‟avoir trempé dans son infusion de thé ou de tilleul.3 Cette scène démontre le phénomène de la mémoire involontaire, une expérience sensorielle où une sensation du moment présent provoque une mémoire oubliée grâce à une impression partagée entre le présent et le passé. La signification de la mémoire involontaire est explorée plus profondément dans le volume final, Le temps retrouvé. Au cours de quelques minutes, le protagoniste, Marcel, se rappelle du passé au moyen de la mémoire involontaire trois fois. L‟ouïe, le toucher, et le goût à son tour déclenchent les impressions du passée. Marcel décrit la sensation d‟éprouver dans le moment présent et un moment éloigné « le bruit de la cuiller sur l‟assiette, l‟inégalité des dalles, le goût de la madeleine, jusqu'à faire empiéter le passé sur le présent, à me faire hésiter à savoir dans lequel des deux je me trouvais »4. Cette expérience a des implications graves sur le sens du temps. Le protagoniste réfléchit qu‟ « une heure n‟est pas qu‟une heure, c‟est un vase repli de parfums, de sons, de projets et de climats »5. Le temps n‟existe pas dans un sens linéaire si les sensations peuvent s‟enlever du moment présent. Un son ou un parfum lui permet de vivre au présent et au passé simultanément. Marcel éprouve le temps en termes sensorielles. Cette nouvelle expérience du temps, cette expérience extratemporelle, est la grande révélation de Recherche. Marcel conclut que « l‟œuvre d‟art était le seul moyen de retrouver le Temps perdu »6 ; en d‟autres termes, le seul moyen de préserver la mémoire 3 Proust, Du côté de chez Swann, 45, 47. 4 Proust, Le temps retrouvé, 450. 5 Ibid., 468. 6 Ibid., 478. 5 involontaire est dans la littérature et les expressions esthétiques plutôt que par les observations objectives ou la technologie comme la photographie. La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent pleinement vécue, c‟est la littérature. Cette vie qui, en un sens, habite à chaque instant chez tous les hommes aussi bien que chez l‟artiste. Mais ils ne la voient pas, parce qu‟ils ne cherchent pas à l‟éclaircir.7 L‟esthétique est d‟importance suprême alors pour comprendre la vie. Selon Proust, la mémoire involontaire est un moyen de libérer les impulses artistiques desquels tout le monde est capable. Le mémoire involontaire lui permet d‟éprouver les émotions et sensations pures hors du contexte du temps. L‟art est une expérience illimitée et éternelle donc les mémoires sensorielles sont un moyen d‟éprouver la vie aux mêmes termes, hors du temps. La sainteté de l‟art et l‟expérience extra-temporelle est au cœur de nombreuses analyses et criticismes proustiens. J‟inclus dans cette discussion une interprétation de mysticisme dans l‟utilisation de la mémoire involontaire pour soutenir de plus l‟importance de l‟esthétisme pour Proust. La mémoire n‟est pas une faculté qui peut être quantifiée, d‟où l‟insistance sur les expériences sensorielles dans les scènes de la mémoire involontaire. En outre, la relation de la mémoire et le temps et les conséquences de cette relation à la conscience font la mémoire une faculté surhumaine. Anne Tukey explique les implications d‟une interprétation mystique de Proust dans son article « Notes on Involuntary Memory in Proust » : If one replaces the word „divine‟ with „past‟ or „time past,‟ and then assumes that the past or time past is divine for Proust, or occupies a similar place in Proust‟s scheme of values as does the divinity in the mystic hierarchy, one may conclude that Proust and the mystic are somehow similar: that is, Proust‟s purpose becomes union of the individual with the past, the result of involuntary memory is a changed life, a life exhibiting greater goodness, enlightenment and purity, directed toward eternal union with the past, which is the value of the experience.8 7 Ibid., 474. 8 Tukey, “Notes on Involuntary Memory in Proust”, 400. 6 Cette interprétation souligne les implications plus générales de la mémoire involontaire. En lisant la mémoire involontaire comme une sorte de mysticisme, on comprend mieux le rôle de la mémoire involontaire pour Proust. La mémoire involontaire redéfinit uploads/Science et Technologie/ proust-le-poete-neurologue.pdf

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