MICROECONOMIE DE L’INNOVATION Claude CRAMPES et David ENCAOUA 1 Toute action pr
MICROECONOMIE DE L’INNOVATION Claude CRAMPES et David ENCAOUA 1 Toute action procurant un gain supérieur à son coût doit être entreprise et toute action dont le coût est supérieur au gain ne doit pas être entreprise. C'est sur cette norme élémentaire, mais très puissante, que sont bâtis le calcul micro-économique en général et la micro- économie de l'innovation en particulier. La difficulté particulière que pose l'analyse de l’activité de Recherche et Développement (R&D) provient de ce que son principal input et son principal output sont de l'information qui, quel que soit son degré d'intégration dans des systèmes complexes de connaissance, est à la fois très coûteuse à créer et copiable à coût presque nul. Comme le gain direct que peut retirer un agent d'une innovation particulière est en général assez petit, on arrive au paradoxe suivant : pour chaque agent, il peut être inefficient de créer (l'utilité étant plus faible que le coût) et efficient de copier (l'utilité étant positive, elle est plus grande que le coût de la copie qui est presque nul). Puisque tout agent économique rationnel prend ses décisions sur la base de ses gains et coûts futurs et remonte progressivement la chaîne des décisions jusqu'à la date présente, s'il anticipe qu'il ne pourra percevoir que son utilité directe, le candidat innovateur préférera s'abstenir. En revanche si, par un artefact commercial (réputation) ou juridique (droit de propriété), le candidat innovateur peut capter une partie des gains dont bénéficient les autres agents, alors il entreprendra un programme de R&D. Quand plusieurs entreprises sont capables de mener à bien un programme de R&D, elles s'engagent dans une concurrence dont l'analyse requiert le recours à la théorie des jeux non coopératifs (Tirole, 1988). Chaque agent ou centre de recherche prend ses décisions en fonction de ce qu'il croit être l'avancement des travaux de ses concurrents ou partenaires, de leurs décisions courantes (s'il peut les observer) et des réactions des autres à ses propres décisions (si les autres les connaissent). De ce calcul naît une stratégie de meilleure réponse aux projets des autres et de la confrontation de ces meilleures réponses naît un équilibre du jeu de R&D, c'est-à-dire la détermination des plans de recherche arrêtés par les entreprises. Les caractéristiques de cet équilibre font généralement l'objet de deux types d'analyse : une analyse de sensibilité (ou statique comparative) pour savoir comment varient les programmes de recherche quand change l'un des paramètres structurant du modèle (par exemple, l'arrivée d'un challenger ou l'allongement de la durée maximum d'un brevet) et un test d'optimalité pour savoir si les efforts de recherche et/ou les flux d'innovation produits par les décisions privées des opérateurs sont excessifs ou au contraire trop faibles par rapport aux valeurs qui conduisent à l'optimum collectif. 2 Le chapitre est organisé de la façon suivante. La première partie détaille les mécanismes élémentaires qui poussent les entreprises à innover et les freins à leur effort quand l'appropriation des résultats n'est pas parfaite. La deuxième partie présente la distinction entre innovation de produit et innovation de procédé. La troisième partie s'intéresse aux aspects stratégiques et dynamiques de l’innovation en analysant les modèles d'enchères et les courses au brevet. Deux effets sont analysés, d’une part, celui de la concurrence pour l’obtention de l’innovation et, d’autre part, celui de la concurrence sur le marché des produits. On examine ainsi la validité de l'argument schumpétérien qui fait des monopoles les moteurs essentiels de la R&D. La quatrième partie examine les facteurs influençant le rythme des innovations. La cinquième partie aborde l'aspect spatial et sectoriel de l'économie de l'innovation en introduisant les effets externes positifs créés dans l'entourage des innovateurs (effets de débordement et effets d'agglomération). Enfin, la sixième partie est consacrée aux instruments institutionnels qui permettent de promouvoir l'effort de R&D, en particulier le système des brevets et des licences. 1. Innovation et mécanismes de marché. Depuis l’article fondateur de Kenneth Arrow (1962), on comprend mieux les raisons pour lesquelles l’allocation des ressources et la coordination par les forces du marché ne sont pas toujours optimales pour la production d’innovations sur le plan collectif. Deux raisons sont au cœur de l’analyse : les risques inhérents à toute recherche et la nature de bien public des produits de la recherche. 1.1 Les risques de la recherche La décision d’innover est un processus risqué, puisqu’en général l’innovateur n’est pas assuré à l’avance que son effort d’invention sera récompensé sur le plan commercial ni même qu’il va aboutir sur le plan technologique. Comme dans le cas d’autres activités économiques dont le résultat est entaché d’incertitude, on peut se demander si un mécanisme d’assurance ne pourrait pas protéger l'innovateur contre ces aléas et conduire à une allocation optimale des ressources dans un univers incertain. La réponse est négative. Certes, des financements spécifiques du capital-risque existent, mais ils permettent au mieux d’alléger les obstacles au financement de l’innovation sans constituer pour autant un véritable mécanisme d’assurance. L’inefficacité à laquelle conduirait l’existence d’un tel mécanisme peut être aisément perçue. 3 Du fait de l’impossibilité d’observer et de contrôler l’effort de recherche individuel, un mécanisme d’assurance contre le risque d’échec de production d’un nouveau bien ou de mise au point d’un nouveau procédé ne peut en effet qu’affaiblir les incitations individuelles d’un innovateur à réussir son projet. Il n’est donc pas collectivement efficace d’assurer l’activité individuelle d’innovation contre le risque d’échec. Ce qu’on observe plutôt, ce sont des mécanismes d’auto-assurance ou de gestion des risques. Ainsi, les grandes entreprises ont souvent un avantage important par rapport aux innovateurs individuels parce qu’elles ont les moyens de mener plusieurs projets de recherche simultanément et de diversifier les risques correspondants. Un tel mécanisme d’auto-assurance par la gestion d’un portefeuille de projets de recherche discrimine clairement entre ceux qui ont les moyens d’entreprendre simultanément plusieurs projets de recherche et les autres. C’est une première source d’imperfection des forces du marché dans l’allocation des ressources pour la production d’innovations. On retrouve là une certaine justification du premier argument schumpétérien selon lequel les grandes entreprises auraient un avantage, en matière d’innovation, sur les unités atomistiques des marchés de concurrence parfaite. Notons bien cependant qu’il ne s’agit à ce stade que d’un avantage en termes de diversification des risques et non en termes d’intensité de la recherche ou de rythme des innovations. Nous aurons l’occasion dans la suite de préciser les autres arguments schumpétériens en ces domaines. 1.2 Connaissance et marché Une deuxième imperfection tient à la nature du bien connaissance qui est le résultat de l’innovation. Est-il possible de concevoir un marché où s’échangeraient des informations liées à la connaissance ? Dans certains cas, de tels marchés existent et jouent un rôle important. On peut citer par exemple les journaux spécialisés pour lesquels il existe une demande et une offre d’informations spécifiques. Mais dans d’autres cas qui intéressent au premier chef l’innovation, les caractéristiques de la connaissance empêchent l’existence d’un marché. En tout premier lieu, si l'acheteur doit connaître le contenu de la connaissance pour en estimer la valeur avant de l'acquérir, on ne voit pas pour quelle raison, après avoir obtenu l'information, il serait encore disposé à en payer le prix. Le producteur ne serait donc plus incité à consentir l'effort en temps et en argent pour produire un bien dont il ne pourrait tirer aucun revenu. Ceci se résume à un argument bien connu. La connaissance est coûteuse à produire mais, à l’inverse des biens traditionnels, une fois produite, elle n’a pas besoin d’être reproduite pour être utilisée et elle peut être utilisée par chacun sans perdre pour autant son utilité intrinsèque. 4 Contrairement à la plupart des biens courants, la connaissance est un bien pour lequel il n'y a pas de rivalité entre les consommateurs car elle n'est pas détruite par l'usage. Pour créer l’incitation à la production de connaissance, il faut donc, soit confier cette activité à la sphère publique (comme cela est en général le cas de la recherche de base), soit l’étendre à la sphère privée en l’accompagnant d’une certaine forme de protection de la propriété intellectuelle, c’est-à-dire en garantissant au producteur individuel de la connaissance un droit de propriété plus ou moins exclusif lui permettant de percevoir des revenus issus de l’utilisation de cette connaissance. C’est le rôle des brevets et des licences d’exploitation sur lesquels nous revenons plus loin. Ces titres de propriété constituent une deuxième source d’inefficacité économique : l’attribution par la société d’un droit de propriété intellectuelle ou industrielle au producteur de l’innovation est à la fois une condition nécessaire à sa production et une source de pouvoir de monopole dans son exploitation. Remarquons que l’exclusivité attachée à la propriété de la connaissance peut être totale ou partielle. Le degré d’exclusivité dans l’usage d’un bien détermine ainsi la mesure dans laquelle son propriétaire peut faire payer un droit pour son utilisation. Les biens qui sont à la fois sans rivalité et non exclusifs sont des biens publics purs dont un exemple type est donné par les connaissances de base issues de la recherche fondamentale. Les biens qui sont à uploads/Science et Technologie/ crampes-encaoua.pdf
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- Publié le Nov 27, 2022
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