Recherches & éducations 10 | mars 2014 Expression et certification des acquis d

Recherches & éducations 10 | mars 2014 Expression et certification des acquis de l’expérience : Le prisme des hallucinations : Les débuts d’expérimentateur d'Alfred Binet à la Salpêtrière et à Sainte-Anne Loig Le Sonn Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/rechercheseducations/2031 DOI : 10.4000/rechercheseducations.2031 ISSN : 1760-7760 Éditeur Société Binet Simon Édition imprimée Date de publication : 25 mars 2014 Pagination : 235-245 ISSN : 1969-0622 Ce document vous est offert par Université Paris Nanterre Référence électronique Loig Le Sonn, « Le prisme des hallucinations : Les débuts d’expérimentateur d'Alfred Binet à la Salpêtrière et à Sainte-Anne », Recherches & éducations [En ligne], 10 | mars 2014, document 15, mis en ligne le 31 mai 2014, consulté le 10 mars 2021. URL : http://journals.openedition.org/ rechercheseducations/2031 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rechercheseducations.2031 Ce document a été généré automatiquement le 10 mars 2021. Propriété intellectuelle Le prisme des hallucinations : Les débuts d’expérimentateur d'Alfred Binet à la Salpêtrière et à Sainte- Anne Loig Le Sonn 15 « Pour achever, allez à la Salpêtrière : là, des hallucinations persistantes, d’une netteté accablante, indestructibles à la conscience la plus éclairée et à la raison la mieux avertie, vous montreront l’idée représentative dans toute sa plénitude et dans tout son ascendant. » (Taine, 1860, p. 43-44) 1 Dès ses tous premiers articles, Alfred Binet (1857-1911) faisait le récit des rencontres frappantes et des comportements parfois exubérants qu’il observait lorsqu’il visitait un hôpital ou un asile. Son œuvre est émaillée d’anecdotes piquantes sur ses relations d’enquête. Il n’hésitait pas à mettre en scène l’envolée verbale d’un malade au bout du rouleau, la réaction à brûle-pourpoint d’un sujet dont la patience était mise à rude épreuve au cours d’une expérience. La restitution de ces dialogues entre le psychologue et ses sujets d’expérience faisait partie intégrante du style d’écriture de Binet. 2 Lorsqu’il fréquentait le service de Jean-Martin Charcot (1825-1893) durant les années 1882-1887, Binet se rendit aussi à l’asile Sainte-Anne. La provocation d’hallucinations, chez des sujets réceptifs, a été la porte d’entrée qu’il privilégia pour aborder l’hypnose. Comment s’y prenait-il pour hypnotiser les patientes et les faire halluciner ? Quels instruments mobilisait-il durant les séances d’expérience ? Dans quelles dispositions se présentaient les femmes hystériques soumises à ces expérimentations ? Explorer l’expérimentation en train de se faire, à travers les problématiques savantes de l’époque, les stratégies de l’expérimentateur, sans négliger le point de vue des patientes, apportera quelques éléments de réponse à la genèse de la relation expérimentale chez Alfred Binet. Le prisme des hallucinations : Les débuts d’expérimentateur d'Alfred Binet à ... Recherches & éducations, 10 | mars 2014 1 3 Après avoir brièvement restituer la place du concept d’hallucination dans la pensée aliéniste française du XIXe siècle, notre étude s’attache à dégager l’originalité des recherches de Binet, qui procède de son usage de l’expérimentation pour aborder les questions décisives de son époque : l’hallucination, l’hypnose et l’hystérie. Lors de ses toutes premières investigations dans les hôpitaux parisiens, Binet entrait ainsi en contact direct avec deux maladies nerveuses et mentales, typiques du XIXème siècle, l’hystérie d’une part et la monomanie d’autre part. L’hallucination : énigme de la perception malade 4 En psychiatrie tout comme en neurologie, les hallucinations constituaient un symptôme majeur des affections mentales tout comme des maladies nerveuses, depuis la célèbre définition donnée par Esquirol. Symptôme transversal aux manifestations multiformes, l’expérience hallucinatoire était devenue un domaine d’étude décisif pour les aliénistes fondateurs de la Société médico-psychologique et des Annales médico- psychologiques, Alexandre Brierre de Boismont (1797-1881) et Jules Baillarger (1809-1890) en tête. Un symptôme transversal 5 Les hallucinations étaient en effet présentes parmi les folies les plus fréquentes à l’asile, comme la manie et la mélancolie, la démence et l’idiotie ; mais aussi dans d’autres formes de folie moins courantes mais de mieux en mieux connues, notamment la folie « circulaire » ou « à double forme » (Baillarger, Falret) et la folie alcoolique (Magnan). Les maladies neurologiques étaient aussi concernées par les phénomènes hallucinatoires (la paralysie, l’épilepsie et l’hystérie). 6 Lorsque Binet s’empara de la thématique des hallucinations, peu avant d’atteindre la trentaine, les phénomènes hallucinatoires étaient devenus une préoccupation savante constante de la part des médecins, des philosophes et des romanciers français. Toutes les fractions du champ intellectuel semblaient avoir leur mot à dire sur ce phénomène aussi mystérieux qu’insaisissable. Du latin alucinator (substantif « allucinatio »), halluciner signifiait divaguer, délirer, fabuler dans la langue latine classique (James T., 1997, 73 ; Lanteri-Laura, G., 1991, 12sq). Ce n’est qu’au XIXe siècle que le terme connut un succès croissant auprès des milieux médicaux et littéraires, jusqu’à devenir synonyme de folie (Chevrier, 2012). L’inflation de ses usages 7 Les relations entre l’esprit et le corps, l’unité et la transparence supposée du moi, la frontière entre la folie et la raison, la ligne de démarcation entre philosophie, physiologie et psychologie, les rapports entre sensation, perception et imagination : autant d’interrogations cliniques et épistémologiques fondamentales qui n’ont cessé d’étayer les discussions des médecins et des philosophes. Malgré l’effort d’Esquirol pour circonscrire le phénomène hallucinatoire en tant que concept opératoire, ses disciples, en labourant toujours plus profondément le champ des hallucinations (Moreau, 1845, p. 170-171), ont contribué à l’expansion et à la dispersion de ses usages. La polysémie du terme, depuis ses acceptions les plus courantes (entendre des voix, être un visionnaire, Le prisme des hallucinations : Les débuts d’expérimentateur d'Alfred Binet à ... Recherches & éducations, 10 | mars 2014 2 rêver tout éveillé) jusqu’à ses ramifications les plus savantes, a multiplié ses usages pour qualifier des opérations cognitives de plus en plus variées. Victime de son succès, le terme a reçu une telle extension de ses usages, que le travail hallucinatoire en vint à regrouper pêle-mêle la reviviscence d’un paysage lors d’une rêverie solitaire, le défilé d’images qui surprend le spectateur en phase d’endormissement, les apparitions éprouvées par un extatique au cours d’une ascèse, la communication instaurée avec des esprits invisibles, l’exercice quotidien de son imagination par un écrivain ou un musicien, etc. Entre le penchant intellectualiste pour l’introspection d’une part, et l’avalanche d’observations qui peuplaient les traités sur les hallucinations, Binet opta pour une troisième méthode, l’expérimentation. 8 Dans son rapport consacré au mémoire de Binet sur la perception extérieure, le philosophe Charles Lévêque (1818-1900) soulignait les qualités d’observateur et d’expérimentateur du jeune chercheur en psychologie, attaché à la recherche clinique et expérimentale. « C’est l’œuvre d’un esprit ouvert, curieux, chercheur. Il a non seulement l’aptitude à observer au moyen de la conscience, mais encore, l’expérience de l’homme qui a fréquenté les laboratoires, les hôpitaux, qui non content de regarder attentivement les faits, institue des expérimentations méthodiques, sur des sujets tantôt sains, tantôt malades à divers degrés. La Salpetrière est son champ d’études » (Andrieu, 1995). Illustration n°1 : L’étape initiale de l’hypnotisation d’une patiente, la capture du regard par la fixation de l’attention, a donné lieu à la confection et à la mise en vente, par la maison Verdin (spécialisée dans la fabrication d’instruments chirurgicaux), d’un appareil à hypnotiser, composé d’un bandeau et muni d’une boule à fixer (Verdin, 1890, 64). L’hypnose : une méthode d’exploration des états de conscience modifiés 9 Les hallucinations faisaient partie des symptômes typiques de la condition hystérique qu’Alfred Binet et Charles Féré (1852-1907) s’employaient à faire revivre durant leurs séances d’hypnose. Dans le premier texte d’Alfred Binet consacré aux techniques hypnotiques employées à la Salpêtrière, les sujets n’étaient qu’au nombre de trois. Binet n’eut aucune difficulté à les endormir en suivant les deux méthodes en vigueur, par la fixation du regard ou par une légère pression sur les paupières. « Lorsque le sujet Le prisme des hallucinations : Les débuts d’expérimentateur d'Alfred Binet à ... Recherches & éducations, 10 | mars 2014 3 est convenablement préparé, qu’il est à point, il suffit de lui dire avec autorité : voilà un serpent ! Pour qu’il voit le serpent ramper devant lui. » (Binet, 1886, p. 33) « On dit à la malade : « Regardez ; vous avez un oiseau sur votre tablier ». Aussitôt que ces simples paroles ont été prononcées elle voit l’oiseau, elle le sent sous ses doigts, et quelquefois même elle l’entend chanter » (Binet et Féré, 1887, p. 149). Les expériences à point de repère 10 Après avoir déclenché sous hypnose des hallucinations visuelles chez son sujet, Binet interposait un écran opaque entre lui et l’endroit de la pièce où se trouvait l’objet imaginaire suggéré, pour vérifier si la suggestion persistait à leur réveil. Binet s’en remettait ensuite aux impressions de ses trois sujets d’élection pour décider du bien- fondé de leurs réactions. Tandis que Blanche Wittman ne voyait plus rien au réveil, les deux autres sujets hypnotisés et hallucinés déclaraient qu’elles continuaient de percevoir l’hallucination, malgré la présence de l’écran opaque. 11 Cad. et Charp. assuraient à l’expérimentateur qu’elles continuaient de voir le chapeau, le livre, la souris et tous les autres objets imaginaires suggérés. Face à face devant une table, Binet essayait même de mélanger des objets réels et des objets suggérés. Puis il interposait uploads/Science et Technologie/ rechercheseducations-2031.pdf

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