EXISTE-T-IL RÉELLEMENT UN NOUVEAU PARADIGME DE LA CHIMIE VERTE ? Martino Nieddu
EXISTE-T-IL RÉELLEMENT UN NOUVEAU PARADIGME DE LA CHIMIE VERTE ? Martino Nieddu, Franck-Dominique Vivien, Estelle Garnier et Christophe Bliard EDP Sciences | « Natures Sciences Sociétés » 2014/2 Vol. 22 | pages 103 à 113 ISSN 1240-1307 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-natures-sciences-societes-2014-2-page-103.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour EDP Sciences. © EDP Sciences. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Martino Nieddu1, Franck-Dominique Vivien1, Estelle Garnier2, Christophe Bliard3 1 Économiste, Laboratoire REGARDS, Université de Reims Champagne Ardenne, 51096 Reims cedex, France 2 Économiste, Responsable du département SHS à l’agence CARINNA1, 51100 Reims, France 3 Chimiste, UMR 7312 CNRS, Institut de chimie moléculaire de Reims (ICMR), 51687 Reims cedex, France Science et industrie, la chimie présente des caractéristiques propres parmi les sciences. Après plusieurs décennies de fragmentations internes, et d’influences prépondérantes de la physique et de l’ingénierie industrielle, la discipline académique et le génie des procédés semblent rechercher inspirations et ressources dans les sciences et techniques du vivant. Ainsi, confrontés aux impasses environnementales (ressources et pollutions) des industries chimiques, aux conceptions technologiques qui les sous-tendent, et aux critiques et réactions fortes qu’elles suscitent, les chimistes, scientifiques et ingénieurs ont trouvé avec les douze principes de la « chimie verte » une charte de bonne conduite, déclinée dans les publications et manifestations qui ont marqué l’année internationale de la chimie (2011). Mais qu’en est-il en réalité ? La Rédaction Résumé – La « chimie verte » est présentée par certains auteurs comme le nouveau paradigme de la chimie qui va lui permettre de répondre aux enjeux du développement durable. Nous discutons cette hypothèse en nous focalisant sur le domaine de l’usage des ressources agricoles pour la chimie (septième principe de la chimie verte). Après avoir rappelé la construction institutionnelle dont a fait l’objet la chimie verte, nous montrons que la chimie doit être appréhendée comme une discipline d’apprentissages orientés, les scientifiques cherchant à se lier à des « mondes de production » et à étudier les spécificités des ressources disponibles. Nous identifions ainsi une variété de voies technologiques organisées autour de patrimoines collectifs ayant à la fois une dimension productive et une dimension scientifique. Abstract – Green chemistry, a paradigm shift? “Green chemistry” is presented by some authors as the new paradigm for chemistry to meet the challenges of sustainable development. We discuss this hypothesis by focusing on the use of agricultural resources for chemistry (the seventh principle of green chemistry). Following a presentation of the institutional construction around green chemistry, we show that chemistry should be understood as a discipline characterized by goal-oriented learning, in which scientists seek to establish links with “worlds of production” and investigate the specificities of available resources. We identify a variety of technological pathways organized around collective heritages having both productive and scientific dimensions. Les festivités qui ont marqué l’Année internationale de la chimie en 2011 ont oscillé entre célébration de ses apports au bien-être de l’humanité et introspection sur les menaces qu’elle fait peser sur son avenir. Elles ont été l’occasion de mettre en scène les progrès vers une « chimie durable » (Maxim, 2011) réalisés durant les deux dernières décennies, dont une partie importante se réfère à la green chemistry. Cette expression s’est imposée au cours des années 1990, face à des notions concurrentes (benign chemistry, environmental chemistry, chemistry for sustainable development, etc.), grâce à une politique initiée par l’agence américaine de protection environnementale (Environnemental Protection Agency) (Woodhouse et Breyman, 2005 ; Linthorst, 2010). Celle-ci a réussi à mettre en forme un « corps de doctrine » qui s’est traduit par l’édiction de douze principes, connus aujourd’hui de l’essentiel de la communauté des chimistes (Encadré). Des ouvrages d’introduction (Anastas et Warner, 1998 ; Lancaster, 2002 ; Clark, 2002) et des revues dédiées (telles que Green Chemistry en 1998) ont été édités, des Natures Sciences Sociétés, 22, 103-113 (2014) © NSS-Dialogues, EDP Sciences 2014 DOI: 10.1051/nss/2014022 Disponible en ligne sur : www.nss-journal.org Mots-clés : chimie verte ; rupture paradigmatique ; ressources agricoles ; voies technologiques ; patrimoine collectif Keywords: green chemistry; paradigm shift; agricultural resources; technological pathways; collective heritage Auteurs correspondants : M. Nieddu, martino.nieddu@univ-reims.fr et F.-D. Vivien, fd.vivien@univ-reims.fr 1 Chercheuse associée au laboratoire REGARDS. Article publié par EDP Sciences Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.137.39.141 - 23/01/2020 19:45 - © EDP Sciences Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.137.39.141 - 23/01/2020 19:45 - © EDP Sciences M. Nieddu et al. : Natures Sciences Sociétés, 22, 103-113 (2014) 104 instituts chargés de sa diffusion (sur le modèle du Green Chemistry Institute) et des prix célébrant les initiatives dans ce domaine (Presidential Green Chemical Awards aux États-Unis) ont été créés. Assiste-t-on pour autant à un changement de para- digme, ainsi que l’avancent nombre de chimistes acteurs de la chimie verte et certains économistes ? La notion de paradigme renvoie, chez Kuhn (1983, p. 30), à l’émer- gence d’une « matrice disciplinaire », fournissant un ensemble cohérent de lois, théories, applications et dis- positifs expérimentaux « qui donnent naissance à des traditions particulières de recherche », dont l’assimila- tion fait d’un étudiant un chercheur appartenant à un groupe scientifique déterminé. Ainsi, la chimie moderne, issue de la révolution des Lumières, serait un ensemble de connaissances dédiées au fractionnement d’éléments naturels en composants élémentaires, à leur purification pour les recombiner afin de créer des molécules ou struc- tures artificielles aux propriétés particulières. Dans ses applications industrielles, elle ne méconnaissait pas sa toxicité potentielle (aucun produit ne peut être considéré comme bénin en soi, pour reprendre une expression chère à Anastas), mais elle se constitue en figure de la modernité, en considérant que les questions de long terme en matière de santé ou d’environnement pou- vaient être éludées au nom des avantages tangibles immédiats. Les économistes évolutionnistes du changement technique élargissent le concept de paradigme en le qua- lifiant de « technologique », englobant l’ensemble des variables technologiques et économiques entrant dans les innovations2. « Dans cette optique, écrivent Oltra et Saint Jean (2009, p. 12), le progrès technologique tend à suivre certaines trajectoires technologiques qui corres- pondent à un compromis évolutif entre les différentes variables, ou dimensions, définies par le paradigme. La dimension environnementale peut donc être vue comme une dimension supplémentaire à intégrer dans ce com- promis et dont le poids ne fait qu’augmenter sous les pressions réglementaires. Cette nouvelle dimension tend donc à modifier les trajectoires technologiques, de façon plus ou moins radicale et elle peut, dans certains cas, induire un changement de paradigme technologique. » L’idée d’une rupture paradigmatique pourrait donc se situer à la fois dans le champ de la science et du laboratoire (l’élaboration de nouvelles stratégies de conception des réactions chimiques en rupture avec le 2 « A technological paradigm is defined as a pattern for the solution of selected technoeconomic problems based on highly selected prin- ciples derived from the natural sciences. A technological paradigm defines contextually the needs that are meant to be fulfilled, the scien- tific principles utilised for the task and the material technology to be used » (Dosi, 1988, p. 224-225). Encadré : Les douze principes de la chimie verte (Anastas et Warner, 1998, repris par Maxim et Rico-Lattes, 2013, p. 646-647, notre traduction) 1. Prévention : il vaut mieux produire moins de déchets qu’investir dans l’assainissement ou leur élimination. 2. L’économie d’atomes : les synthèses doivent être conçues dans le but de maximiser l’incorporation des matériaux utilisés au cours du procédé dans le produit final. 3. Lorsque c’est possible, les méthodes de synthèse doivent être conçues pour utiliser et créer des substances faible- ment ou non toxiques pour les humains et sans conséquence sur l’environnement. 4. Les produits chimiques doivent être conçus de manière à remplir leur fonction désirée tout en minimisant leur toxicité. 5. Autant que possible, il faut rendre l’utilisation de substances auxiliaires (solvants, agents de séparation, etc.) inu- tile et, lorsqu’on en utilise, que ce soient des substances inoffensives. 6. Les besoins énergétiques des procédés chimiques doivent être reconnus pour leurs impacts sur l’économie et l’environnement, et doivent être minimisés. Si possible, les réactions de synthèse doivent être conduites dans les conditions de température et de pression ambiantes. 7. Lorsque c’est technologiquement ou économiquement praticable, uploads/Science et Technologie/ texte-tp4.pdf
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- Publié le Aoû 21, 2021
- Catégorie Science & technolo...
- Langue French
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