Langage et société A la recherche du français populaire Jean-Michel Eloy Citer

Langage et société A la recherche du français populaire Jean-Michel Eloy Citer ce document / Cite this document : Eloy Jean-Michel. A la recherche du français populaire. In: Langage et société, n°31, 1985. pp. 7-38; doi : https://doi.org/10.3406/lsoc.1985.2014 https://www.persee.fr/doc/lsoc_0181-4095_1985_num_31_1_2014 Fichier pdf généré le 02/05/2018 Abstract Searching for "popular french" The notion of "popular French", commonly used even by some linguists, holds a certain sort of obviousness, but is it a relevant notion in linguistics ? Questions relating to that notion in fifteen recent linguistic texts raise the following problems of: data- gathering, variation spotting, defining the norm, articulation between social and stylistic variation, defining a variety, the building of a sociology, defining causality, consideration of the listener's competence, the integration of speech into a larger field of communicative behavior. Through these problems, it would appear that the notion of "popular French" is not one that has been scientifically founded, but it remains that it reflects in a somewhat confused manner a reality that is not very well known, possibly linked with "social dialects". The questions put forward allow us to spot the terms in order to carry out a deeper research into this subject. Résumé La notion de "français populaire", communément utilisée même chez des linguistes, a pour elle une sorte d'évidence, mais est-elle une notion linguistique pertinente ? Le questionnement d'une quinzaine de textes linguistiques récents à ce sujet soulève les problèmes suivants : l'établissement des données, le repérage de la variation, la définition de la norme, l'articulation entre variation sociale et variation stylistique, la définition d'une "varitété", la construction d'une sociologie, la recherche de causalité, la prise en compte de la compétence d'auditeur, et l'intégration du linguistique dans un domaine "langagier". A travers ces problèmes, il apparaît que la notion de "français populaire" n'est pas fondée scientifiquement, mais il reste qu'elle renvoie confusément à une réalité aujourd'hui mal connue, liée à d'éventuels "dialectes sociaux". Les questions soulevées permettent de dégager les termes d'une recherche plus approfondie sur ce sujet. L & S u9 31 - mars 1985 A LA RECHERCHE DU "FRANCAIS POPULAIRE" Jean-Michel ELOY Amiens 1 QUESTIONS 1.1 Cette recherche a pour origine une pratique professionnelle, celle d'un enseignant de français en collège, et les interrogations que suscite cette pratique . Le problème est très concret : quelle est cette langue que parlent nos élèves de ZUP ? N'est-elle que le lieu de toutes les "fautes" , sous produit dégradé ou imparfait de "La Langue Française" que le professeur doit "enseigner"? Labov écrivait en 1974 aux Etats-Unis :"L'un des pro- -blèmes principaux dans l'enseignement d'aujourd'hui tient à l'ignorance de l'enseignant envers la langue de l'élève aussi bien qu'à l'ignorance de l'élève envers la langue de l'enseignant ." Cette réflexion vaut-elle pour les conditions con- -crètes où nous vivons et travaillons ? (1) 1.2 Une notion du sens commun semble adéquate pour analy- -ser cette situation : il y aurait, à côté ou en face du "français correct", un "français populaire" vivant de sa vie propre, identifiable, traduisible, localisé dans des couches sociales définies, sinon précises, bref : une langue autre (2) , qu'on pourrait étudier, décrire, pour traiter avec elle à la - 8 - manière d'une langue étrangère ."Les ouvriers, ils parlent cru Ils pensent et ils parlent de la même façon. . .Pour moi, c'est un beau langage" . (Josyane, soudeuse, citée par Frémontier) . Cette notion du sens commun a pour elle une sorte d'é- -vidence : tout sujet francophone reconnaît le "français populaire" et le distingue du français correct ; en d'autres termes, il est évident que la compétence linguistique s'accom- -pagne (ou inclut) d'une compétence sociolinguistique , dans la langue maternelle tout au moins . Elle a aussi la rentabilité : cette compétence socio- -linguistique trouve à s'exercer souvent et avec des profits directs dans la vie en société, puisqu'elle est un des principaux éléments d'identification sociale et même de jugement sur l'interlocuteur . Surtout, elle est investie d'enjeux cruciaux : "popu- -laire" est l'étiquette qui qualifie le langage du locuteur peu instruit, peu éduqué , donc souvent peu fréquentable ou inférieur (par rapport à la "bonne société cultivée") ; cette étiquette sert aussi, dans notre démocratie fondée sur le suffrage universel, à donner à certains, qui en étalent quelques traits parmi les plus voyants, un brevet d'origines populaires . L'importance de ces enjeux est manifeste dans la passion des jugements de valeur portés sur le parler des uns et des autres, en particulier dans les institutions scolaires et à propos de la presse écrite et audio-visuelle . Mais est-ce ainsi que l'entendent les linguistes ? Cette notion de "français populaire" a-t-elle cours dans les ouvrages de linguistique, thèses, livres, articles de revues spécialisées ou non ? Dans quels contextes, au sein de quelles problématiques, avec quels sens ...La question est vaste, même si nous la saisissons ici d'une façon étroite . 1.3 La notion de "français populaire" (désormais F. P.), par les problèmes qu'elle soulève (et non par sa validité), apparaît d'une certaine manière centrale dans la linguistique - 9 - sociale ou sociolinguistique . Une première définition nous permettra de dégager quelques-unes des difficultés de cette notion . Le F. P. serait la variété de langue parlée par les couches ou classes populaires . - Quelle délimitation donner aux "classes populaires"? Est-ce une communauté, un ensemble de groupes ? Quelle est l'unité de ces groupes entre eux et avec le reste de la communauté linguistique (éventuelle)? Y a-t-il stratification ou antagonismes ? - Quel est le statut de la "variété de langue" par rapport à la langue ? (3) Est-ce une langue différente ? Est-ce un sous-système, un "dialecte"? Est-ce une collection hétéroclite de traits distinctifs, classants ? - En admettant, a priori, que le F. P. soit un objet linguistique légitime, comment le situer par rapport au français officiel ? Le F. P. est-il une variété dégradée, ou "avancée", ou divergente, ou conservatrice ? - Si l'on peut parler de "dialectes sociaux", forment-ils un continuum (4) le long d'une échelle sociale ou socio-culturelle des locuteurs ? Y a-t-il une multipli- -cité de dialectes sociaux stratifiés, ou au contraire n'y a-t-il que deux termes dans cette co-variance, une "langue populaire" et une "langue of f icielle" (ou correcte, ou standard)? 1.4 Nous ne prétendons pas, bien sûr, apporter des ré- -ponses , ni même faire état de toutes les réponses apportées par les linguistes à toutes ces questions . L'objet de cette étude est de rechercher, dans quelques textes, sous quelle forme, dans quels termes, se pose la question de l'existence d'un F. P. pour les linguistes . Cette notion circule-t-elle , est-elle utilisée, évitée, cri- -tiquée, précisée ? Y a-t-il des champs où elle se trouve et d'autres d'où elle a été éliminée ? En bref, est-ce aujourd'hui une notion pertinente ? - 10 - II faudrait, pour traquer cette notion de façon ex- -haustive, une étude bien plus importante que celle-ci . A quels critères répond le choix de textes que nous avons examines ? Situons-le dans le temps . Les implications sociales de la linguistique étaient singulièrement occultées depuis Saussure par l'orientation qui vouait les linguistes à l'étude de la langue plutôt que de la parole . Cette orientation se prolonge avec vigueur , en particulier dans la grammaire generative . Certes, quelques uns n'ont pas manqué de se préoccuper de cette question "so- -ciolinguistique" avant la lettre : Bauche, Bruneau-Brunot, Frei, Bally, Marcel Cohen et même Martinet, pour ne citer que des linguistes francophones travaillant essentiellement sur la langue française . Mais un regain d'intérêt apparaît dans les années soixante sous les influences conjuguées de sociologues français (Bourdieu et Passeron) , de sociologues anglais (Bern- -stein) , d'ethnologues (Gumperz) , de sociolinguistes (Labov) . Nous avons été amené à ne sélectionner, à deux exceptions près, que des textes de la dernière décennie, afin de nous rapprocher des débats actuels . (5) 1.5 Nous avons étudié une quinzaine de textes, et l'on s'étonnera peut-être de ce petit nombre . C'est que le cen- -trage sur la notion de F. P. est restrictif, pour deux raisons : - bien que le F. P. soit "au coeur" du pro- -blême des "dialectes sociaux", ce n'est pas la seule notion centrale, bien sûr, et la sociolinguistique , ce n'est pas que l'étude de la différenciation sociale du langage en termes de classes sociales . - surtout, la sociolinguistique est une discipline d'origine récente, ou, si l'on préfère, un déve- -loppement récent de la linguistique . C'est pourquoi de nombreux textes importants ont pour propos de définir l'objet, les concepts, les méthodes de la sociolinguistique, d'autres - 11 - travaux souvent moins fondateurs devant faire travailler ces concepts sur le concret afin de les vérifier et de les affi- -ner, et c'est plutôt dans ceux-là qu'est posée la question qui nous intéresse . La période récente en effet est encore pour l'essentiel marquée par une lutte pour établir la légi- -timité de la sociolinguistique comme science ou discipline autonome, ou comme uploads/Science et Technologie/e-loy-a-la-recherche-du-franc-ais-populaire.pdf

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