Education et santé : approches philosophiques 1 Alexandre Klein Doctorant en ph
Education et santé : approches philosophiques 1 Alexandre Klein Doctorant en philosophie ACCORPS/ LHPS Archives H. Poincaré/ UMR 7117/ CNRS Chercheur Archives A. Binet Nancy Université - Université Nancy 2 Alexandre.Klein@univ-nancy2.fr Congrès international AREF 2007 (AECSE) Strasbourg – 28 août / 31 août 2007 Symposium Sciences de l’Education et santé Education et santé : approches philosophiques Résumé : Si tant est qu’une pédagogie de la guérison soit possible1, l’idée même d’une éducation à la santé reste problématique. En effet, la santé se voit divisée entre différentes représentations : à la fois concept philosophique et thème vulgaire2, elle se retrouve souvent déchirée dans les tentatives de dialogue entre les spécialistes et le public. Associée à la notion obscure de « bien-être » par l’OMS, la santé recouvre des paramètres statistiques, quantifiables mais aussi et surtout des données subjectives, ressenties et vécues. Comment dès lors envisager une éducation à la santé qui ne se contenterait pas uniquement de transmettre des normes biologiques et physiologiques chiffrées ? De quelles manières l’éducateur de santé peut-il intégrer à sa pratique les données toujours nouvelles, uniques et singulières de la subjectivité à laquelle il s’adresse ? Comment penser, si ce n’est dans le face à face individuel, une véritable éducation à la santé incluant la dimension subjective et particulière qui fait de cette dernière une notion toute personnelle ? Autrement dit, comment éduquer le public à la santé, sans enfermer les individus dans une notion de bien-être générale, commune, vague ? Comment introduire du particulier dans une pratique de l’ordre du général sans tomber dans les affres d’une biopolitique normative ? Des traités hippocratiques aux bandes-annonces télévisuelles qui accompagnent désormais nos spots publicitaires, nous décrirons le difficile dialogue entre théoriciens, praticiens et public de la santé. Nous tenterons ainsi de mettre en évidence les conditions de possibilités d’une éducation à la santé digne de la complexité de cette notion. Mots-clé : Education, santé, philosophie, sujet, modèles 1 Canguilhem, G., « Une pédagogie de la guérison est-elle possible ? », Nouvelle revue de psychanalyse, n°17, printemps 1978, p. 13-26 ; repris dans Canguilhem, G., Ecrits sur la médecine, Seuil, 2002, p. 69-99. 2 Canguilhem, G., « La santé : concept vulgaire et question philosophique », Conférence donnée à Strasbourg en mai 1988 à l’invitation du Pr Lucien Braun, publiée dans les Cahiers du séminaire de philosophie n°8 : la santé, Editions Centre de documentation en histoire de la philosophie, 1988, p. 119-133 ; repris dans Canguilhem, G., op.cit., p. 49-68. Education et santé : approches philosophiques 2 L’éducation comme la santé sont des notions qui font écho à la condition même de l’homme. Tandis que la santé donne sens aux moments de vie exempts de maladie, l’éducation découle directement de la perfectibilité essentielle de l’être humain. Dans une approche globale, telle qu’on la trouve par exemple dans la conception cosmique du monde de l’Antiquité grecque (période hellénistique), la santé et l’éducation s’entremêlent, confondent leurs champs d’action, au sein d’une pensée holistique de l’être humain. Ainsi, la santé contient l’éducation comme discipline de vie et moyen de progrès, comme outil d’épanouissement de l’individu ; et de même l’éducation, la paideia, intègre les questions de santé comme objet d’un apprentissage nécessaire pour devenir adulte-citoyen. Mais le mouvement de spécialisation, de catégorisation, de découpage disciplinaire et de dispersion épistémologique qui caractérise l’histoire occidentale des sciences et des savoirs, a séparé la santé et l’éducation, le médecin et l’éducateur, pour en affiner les descriptions, en préciser les contours, en définir les champs d’application. La santé et l’éducation relèvent désormais de deux tâches différentes, de deux professions distinctes, de deux corpus de savoirs différenciés, de deux sciences particulières. Cependant, cette division, scientifiquement et positivement féconde, montre aujourd’hui ses limites : les disciplines spécialisées sont confrontés à des questions aporétiques car essentiellement interdisciplinaires et globales. C’est principalement le cas pour les domaines touchant directement à l’être humain, ayant comme objet, sujet ou visée, l’homme. Dès lors, réarticuler la santé et l’éducation demande de repenser leurs interactions, à l’aune des progrès et changements dont ces notions ont fait l’objet. Les rapports de l’éducation et de la santé sont, à l’instar des rapports humains, parfois chaotiques mais toujours intimes. En effet, les deux termes renvoient avant tout, a priori, à des domaines de l’ordre du non-scientifique, de la contingence, du vécu du sujet, plus que de la certitude ou de l’objectivité. L’éducation existe dans les familles en dehors de toutes références scientifiques, et de même les règles d’hygiène, les maximes communes de santé interviennent dans la vie de l’individu avant tout rapport à un corpus, des concepts, des techniques de la science. Outre le double point de vue, du sens commun et de la science, sous lequel ces notions sont appréhendées, la plurivocité des termes, ainsi que les différentes possibilités de leurs combinaisons, ne favorisent pas la clarté des problématiques engagées. Etablir des critères de définition ou mettre en évidence des axes de compréhension posent donc, souvent, problèmes, à l’image d’un sculpteur qui tenterait de créer une forme dans de l’argile mou. Conscient de ces problèmes, nous tenterons ici de clarifier les enjeux de problématisation inhérents à l’articulation de l’éducation et de la santé, pour mettre à jour les conditions de possibilités de leur réunion. Education et santé : approches philosophiques 3 1. La santé : paradigme, modèles et approches La problématique de la santé se développe, aujourd’hui, selon trois axes (rétablissement, maintien, amélioration) et deux niveaux (individuel, collectif). Toujours considérée comme une certaine forme d’équilibre, paradigme hérité de la médecine hippocratique qui a vu naître et a donc déterminé la rationalité médicale toujours à l’œuvre dans l’Occident moderne, la santé a néanmoins, au cours de des 25 derniers siècles, connue nombres d’approches, de considérations diverses, de redéfinition constante et de réactualisation. Bien que repensée à l’aune de chaque théorie médicale, de chaque nouvelle doctrine, elle n’a cependant fait l’objet que de peu de déplacements de modèles. Le premier de ces modèles, fondateur, est celui de l’absence de maladie : la santé est un processus et un état caractérisée par l’absence de maladie, indépendamment de la caractérisation de ces notions. Ainsi de l’homéostasie humorale et environnementale des hippocratiques, au silence des organes du chirurgien René Leriche, la santé se déploie son champ autour, à la frontière de celui de la maladie. Un second modèle s’est développé avec la modernité : ne détruisant pas le premier modèle, il vient le compléter, l’enrichir et donc le déplacer. Ce second modèle, magnifié par la définition de la santé donnée par l’OMS, ajoute à la simple absence de maladie, la notion de bien-être. La santé est désormais « un état complet de bien être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ». Plus qualitatif et subjectif, ce nouveau modèle étend le champ d’application de la notion de santé en faisant participer le sujet de cette santé à sa définition, là où elle était une notion issue du savoir médical. La santé devient le résultat d’une interaction entre les différents acteurs de la médecine, reposant sur la conception de l’individu comme atome premier de la société, unité complexe première du vivant conscient, libre car autonome, ainsi apparue au siècle des Lumières. Enfin, sur la base de ce second modèle, un troisième cadre de considération de la santé a progressivement vu le jour à la fin du 20ième siècle autour de l’idée d’amélioration. Si la santé s’évalue à l’aune du bien-être du sujet, elle peut, loin du cadre rigide de la science médicale, des mesures et des normes, être perfectionnée, améliorée. Elle devient un état de bien-être absolu, de réalisation complète de la vie individuelle, proche d’une forme de sérénité, d’ataraxie, d’absence de troubles ou de gênes, associée à une mise en action, à un développement complet, abouti de l’ensemble des potentialités humaines. C’est dans ce cadre que sont apparues les notions utopiques de santé parfaite ou de santé globale qui ont le défaut de fixer en un état stable, de perfection, ce qui reste essentiellement mouvement, processus, contingence. En effet, même si les modèles se sont complétés sans s’annuler, la transmission de proche en proche a terriblement éloigné le dernier modèle de la simple absence Education et santé : approches philosophiques 4 de maladie, tendant à nier l’essentiel processus qu’est la santé. Bien que définie comme un équilibre, la santé n’en est pas pour autant figée ou « figeable » : l’homme vit dans un monde en mouvement constant : l’équilibre de la santé est donc constamment à ajuster, à redéfinir, en fonction des changements internes et externes qui rythment la vie de l’homme. Le paradoxe est le suivant : les dérives utopiques, idéologiques voire eugénistes qui touchent actuellement la santé demandent activement une éducation pour éviter que la santé ne se perde dans les rêves individuels et les désirs sociaux, mais, à la fois, le fossé qu’elles ont creusées entre les différentes représentations (individuelles, sociales, scientifiques et vécues) de la santé rend infiniment plus difficile la constitution d’une éducation de uploads/Sante/ 2007-klein-education-sante.pdf
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- Publié le Dec 20, 2022
- Catégorie Health / Santé
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