Bruno Pierre. La raison psychotique Article paru dans la revue n°3 "PSYCHANALYS

Bruno Pierre. La raison psychotique Article paru dans la revue n°3 "PSYCHANALYSE" Mon grand-père disait : “Il ne faut pas être un mouton”… et tout le monde a suivi. Un analysant Le vouloir-vivre explose sans remords l’éternité durant il n’y a pas de mort force nous est de nous y plier il y a de temps à autre le oui oui nous le voulons ainsi nous ne pouvons pas choisir le rien absolu. Ivan Blatny I L’objet de cet article est de reprendre l’examen de la psychose, c’est-à-dire d’une des trois formes, avec la névrose et la perversion, « qui assujettit 1 ». Assujettir n’est pas subjectiver, verbe dont la sémantique indiquerait plutôt le chemin qu’un sujet doit faire pour se libérer, par le symptôme, de l’immuabilité du fantasme (et non de se libérer du symptôme par un fantasme… thérapeutique). Assujettir désigne la constitution d’un sujet syncopé à cause du contrechamp de l’inconscient (conséquence de ce que l’habitat langagier préexiste au parlêtre). Ce contrechamp est définitivement inaccessible, à cette réserve décisive près que, une fois cernée la raison de cet irrémédiable, il est permis au sujet de choisir son symptôme pour boussole. « Raison psychotique » pourrait passer pour un oxymore, ou au contraire un pléonasme. Ce n’est à aucun de ces tropes que je veux en plier l’emploi. Raison est à entendre dans son sens, dernier à ce jour, c’est-à-dire kantien, qui ne concerne pas l’agencement, bien ou mal formé, de l’intellect, mais désigne l’instance constituée par l’articulation et la mise en valeur des antinomies. Chez Kant, ces antinomies, que chacun d’entre nous s’efforce avec un succès certain de maintenir dans l’oubli, sont figées dans un espace nouménal où les représentations incompatibles sont renvoyées indéfiniment dos à dos. Une issue est pourtant envisageable, au niveau de la quatrième antinomie que je tiens à part : le monde implique/n’implique pas un être absolument nécessaire, qui en soit la cause 2. Sous cet habit des Lumières, on reconnaîtra sans peine la question freudienne du transfert, simplement à la reformuler : existe-t-il un être nécessaire dont le savoir soit ma cause ? De la réponse oui ou non dépend un athéisme qui ne soit pas un retour à la magie ou une fuite en avant dans l’occultisme. Reste à savoir, si l’on veut entrer dans le temps psychanalytique, quel est cet être nécessaire. Ce n’est ni Dieu, ni aucun sujet, mais le symptôme. Grâce à ce sésame, l’expérience analytique (la cure) autorise une réponse à cette antinomie, par-delà l’incompatibilité insoluble des représentations abstraites. Pour qui balbutie le lacanien, il devinera vraisemblablement que cette dialectique de la raison n’est autre que « l’extériorisation de l’objet a ». C’est ainsi qu’on lira le démontage du fantasme, qui consiste, par un retournement, à extraire cet objet, rebelle à toute représentation. Dans la névrose ou la perversion, cet objet a, cette perle dans l’huître dont l’ouverture laisserait espérer le miroitement nacré d’un trésor, si l’huître pouvait parler, n’est originairement qu’un corps étranger qui ressemble étrangement au petit caillou dont le petit Hans aurait tant voulu qu’il le blesse. La perle, en psychanalyse, est un père, un père réel, qui, sans intention particulière, condense la résistance du vivant contre cette virtualisation irrésistible qu’impose d’habiter le langage. Sans doute, certains pères, comme celui de Hans que je viens d’évoquer, auraient voulu, et voudront encore, réduire a Page 1 of 21 26/04/2009 http://www.apjl.org/spip.php?page=imp&id_article=220 quia ce vivant parce qu’ils s’imaginent que le vivant s’oppose à la loi. Ça produira une phobie, rien de plus, et le vivant trouvera à travers elle le moyen de se manifester, dans la souplesse du serpent, la fragilité de l’araignée, la vigueur d’une mâchoire canine… ou l’élasticité de l’espace. Mais le problème est que, pour que l’action du père réel opère, il faut que ce père ait payé son écot au langage, c’est-à-dire qu’il accepte que son nom l’inscrive, comme père, dans une loi dont on peut dire a minima qu’elle interdit la confusion des générations. Quand ce n’est pas le cas, l’assujettissement a lieu sans le Nom-du-Père. C’est la psychose. Il est bien possible que, en 2005, l’expression « Nom-du-Père » vaille aussi cher, ou presque, sur le marché Internet 3 des mots que « complexe d’OEdipe », avec le risque d’usure, voire de déchirure qui menace tout billet ayant trop circulé. Serait-ce le cas de la forclusion du Nom-du-Père ? Faut-il tenir pour seule monnaie désormais en vigueur le symptôme et dévaloriser le Nom-du-Père comme superfétatoire ? Le problème à résoudre est bien celui-ci : peut-on articuler forclusion du Nom-du- Père avec cette habilitation du symptôme qui, nommant le symbolique et créant sa dé-mesure (on le vérifie dans l’art contemporain, de Manzoni à Nauman, etc. 4), paraît bien vouloir se substituer, génériquement, à la capacité de nomination attribuée initialement au père. Autrement dit, quelle est la conséquence de la deuxième époque de l’enseignement de Lacan, qui débute avec le séminaire sur Joyce, en 1975, sur la place de la fonction phallique dans la structure ? Là encore, ce n’est que par la prise en compte du transfert et de sa résolution qu’on pourra conclure, et non par des considérations idéologico-historiques qui ont leur intérêt, mais ne peuvent aboutir en dehors de la praxis théorique analytique 5. Création et mise à plat d’une controverse C’est bien entendu dans son article de 1958 « Question préliminaire à tout traitement possible de la psychose » que Lacan avance la thèse de la forclusion du Nom-du- Père en tant qu’elle fait échec à la métaphore paternelle et à la production de la signification phallique. Cependant, il faut bien peser le titre pour garder la juste perspective de l’article : « question préliminaire ». Celle-ci s’avère être la question du transfert. En quoi donc le transfert est-il modifié par la forclusion du Nom-du-Père ? On ne peut pas dire que Lacan réponde à cette question, sinon par quelques menus indices. On pourrait ainsi opposer l’article presque contemporain sur « La direction de la cure », dans lequel Lacan élabore et expose une doctrine concernant le maniement du transfert dans la cure des névrosés, et cet article sur Schreber organisé, peut-on dire, autour d’un blanc concernant la direction de la cure dans la psychose. Cette remarque mérite d’être prolongée du constat que, si Lacan a encouragé ses élèves à « ne pas reculer devant la psychose », il n’a jamais donné le texte qui comblerait le dit « blanc ». Sans doute l’introduction de la « suppléance » dans le séminaire Le sinthome, en 1975, a-t-elle servi de viatique, et quelquefois de bréviaire, à de nombreux analystes lacaniens pour s’orienter dans les cures avec des psychotiques et pour en dessiner l’issue possible, mais, outre l’inflation assez incontrôlée qui a passablement amodié cette innovation théorique capitale, son « application » n’a guère été en mesure de transformer la « question préliminaire » en réponse conclusive. Pour un bon usage de ce concept, il aurait fallu en maintenir la fraîcheur et la contingence. Pour revenir maintenant à la forclusion du Nom-du-Père, je ne m’attacherai à en faire ni la genèse épistémique, ni l’évolution 6. Puisque je veux la mettre à l’épreuve, sachant que, dans Le sinthome, Lacan dit que le Nom-du-Père est quelque chose d’assez léger, j’aurai seulement à montrer que sa lecture doit être dialectique et rétroactive, c’est-à-dire partir du tout dernier enseignement de Lacan d’une part et préserver d’autre part ce qu’on pourrait appeler sa nature quantique, à savoir que la dite forclusion est en tout cas imprédictible à partir de ses conditions dans l’Autre. Pour prévenir tout malentendu, elle n’est à confondre ni avec ce que Lacan a appelé forclusion de la castration, ni avec ce que d’aucun a appelé forclusion généralisée, ni avec ce que Lacan nomme la forclusion du sens par le réel et qui est ce à quoi nous devons consentir pour que quelque bout de réel nous reste préhensible. Définissons d’abord la forclusion comme ce mécanisme qui fait barrage à l’entrée d’un signifiant Page 2 of 21 26/04/2009 http://www.apjl.org/spip.php?page=imp&id_article=220 dans le champ du symbolisable. Ce signifiant étant le Nom-du- Père, quelle substance donner à ce signifiant ? La question n’a jamais laissé Lacan tranquille. Le père est celui qui nomme, mais qui ne saurait être nommé, sinon par lui-même, puisqu’il est « le père du nom ». Or, il ne saurait non plus se nommer lui même, parce que cela contredirait la logique qui impose qu’un signifiant ne peut se représenter lui-même, sauf si une distinction stricte démarque nomination et représentation. C’est la solution de Lacan : le Nom-du-Père est un semblant, c’est-à-dire qu’il produit au coeur de l’espace représentatif un « sens blanc », soit un vide non représentatif (la dénomination principielle chez Lacan est celle du « signifiant asémantique ») qui, en marquant la limite de la représentation, en permet le jeu. On sait par ailleurs que, dans RSI notamment, Lacan s’interroge sur les divers plans de nomination, réservant à l’inhibition d’être nomination de l’imaginaire, à l’angoisse d’être nomination du réel et uploads/Sante/ bruno-raisonpsychotique.pdf

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  • Publié le Oct 13, 2022
  • Catégorie Health / Santé
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