Collection « en 100 questions » créée par François-Guillaume Lorrain © Éditions

Collection « en 100 questions » créée par François-Guillaume Lorrain © Éditions Tallandier, 2016 2, rue Rotrou – 75006 Paris www.tallandier.com EAN : 979-10-210-2087-0 Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo. Avant-propos Les quarante années durant lesquelles j’ai dirigé divers services de pharmacie dans les hôpitaux de Paris m’ont offert un fabuleux observatoire de la vie des médicaments. Elles m’ont aussi permis de mieux comprendre ce curieux rapport établi entre les partenaires du système de santé : les malades, souvent cantonnés à un rôle paradoxalement subalterne de témoins et non d’acteurs de la stratégie thérapeutique, les médecins qui « savent » mais s’occupent de mille choses – des diagnostics de leurs patients comme de recherche scientifique, seul moyen de reconnaissance auprès de leurs pairs, voire de leurs étudiants –, les pharmaciens, dont le rôle isolé est de préparer dans la sécurité un grand nombre de médicaments à la bonne dose, et au cœur de ce réseau, le médicament, objet très visible du progrès médical. Les Français consomment chaque année plus de trois milliards de boîtes de médicaments, soit cinquante boîtes par an, c’est-à-dire une boîte par semaine pour chaque Français ! Y aurait-il tant de malades ? La réalité est différente. Le médicament s’est introduit dans nos vies, tel un compagnon de route. Il ne s’adresse plus seulement à des malades mais aussi à des bien-portants. La vaccination a (au moins par le passé) donné aux individus le sentiment d’une citoyenneté sanitaire. La pilule a transformé les relations sociales en donnant aux femmes une place nouvelle dans le couple, la famille, l’entreprise, la société. Les psychotropes ont changé notre rapport à l’angoisse, à la déprime, au stress, au sommeil. Le Viagra a été abordé comme un nouvel eldorado pour les hommes au point que les femmes américaines viennent d’acquérir le droit d’avoir leur « Viagra féminin ». Le médicament a même eu l’orgueilleuse ambition de changer notre corps ou sa « représentation », en faisant repousser leurs cheveux aux chauves, combler les rides des personnes en âge d’en avoir, éclaircir la peau de ceux qui se trouvent trop noirs, ou au contraire, brunir la peau de ceux qui s’estiment trop blancs. Le médicament a même promis la minceur à ceux qui avaient trop d’appétit, la performance aux sportifs en baisse de régime, et, pourquoi pas, le bonheur aux mélancoliques… Le médicament est donc passé, en une génération, du statut d’objet scientifique à celui de sujet social. Il faut dire que si bien des maladies ont reculé face au médicament, tout autant de comportements ont singulièrement évolué avec son usage et parfois même son mésusage. Lorsqu’il est apparu, au début des années 1980, le sida était mortel en quelques mois. Une génération plus tard, grâce aux médicaments, il est devenu une maladie chronique laissant aux malades quasiment le même espoir de vie qu’aux « bien- portants ». Aujourd’hui on prend une gélule « préventive » avant d’avoir un comportement à risque ! Les maladies psychiatriques, avec l’essor des médicaments actifs sur les troubles du comportement, sont aujourd’hui largement maîtrisées, même si elles ne sont pas guéries. Du coup, les hôpitaux psychiatriques se sont vidés et certains ont même parfois mis la clé sous la porte. La découverte de l’insuline, il y a bientôt cent ans, complétée par un bel éventail de « comprimés » a bouleversé l’espérance de vie des diabétiques, mais à l’instar d’une épidémie, la croissance du nombre des malades dans le monde rend quasiment illusoire des progrès thérapeutiques mis à mal par un recul de la prévention, probablement lié à un mode de vie trahissant une société d’abondance mal organisée. Certes, les maladies infectieuses ont été jugulées grâce aux vaccins et aux antibiotiques. Mais, si les figures de Louis Pasteur et d’Alexandre Fleming apparaissent comme celles de prophètes dans le panthéon de l’humanité, les vaccins sont aujourd’hui contestés et les antibiotiques voient l’émergence de bactéries multirésistantes qui mettent en danger le concept même d’antibiothérapie. Le traitement des cancers a réalisé des progrès majeurs dans toutes ses localisations, et plus particulièrement dans le traitement des cancers digestifs, gynécologiques et de la prostate. Mais, s’il n’y avait pas de fumeurs et moins d’alcoolisme chronique, on épargnerait des dizaines de milliers de cancers évitables, en France. Les maladies rhumatismales avec leur inexorable dégradation fonctionnelle ont d’abord connu, avec la cortisone, un bouleversement majeur et voici que, soixante ans plus tard, une nouvelle génération de médicaments qu’on appelle les biothérapies renforce les chances de retour à une vie normale des patients atteints par les maladies inflammatoires des os et des articulations. Pour autant, le gain de dix-huit années d’espérance de vie depuis 1945 a conduit à accroître spectaculairement le nombre de personnes atteintes par le handicap, moteur, mental, sensoriel, etc. Ce livre répond aux questions que le lecteur se pose non seulement dans le domaine de la recherche thérapeutique, mais aussi dans tous les domaines du bon usage des médicaments. Comment lire son ordonnance ? Comprendre le mode d’action des médicaments ? Leurs risques ? Je propose des réponses, j’analyse les faits, les événements, parfois médiatisés, parfois méconnus et je scrute les progrès, les vrais comme les faux. Au moyen de nombreux exemples, je décortique la réalité parfois cachée derrière des messages d’exagération ou de confusion, au sujet de telle découverte ou tel nouveau scandale. Mon objectif : être concret et compréhensible du plus grand nombre. Le médicament n’est ni ange ni démon, mais il se trouve souvent au cœur de l’actualité et, par conséquent, des préoccupations des Français. C’est pourquoi il est important de décrypter le sens des découvertes, qu’elles concernent de vieux médicaments ou des innovations récentes : un essai thérapeutique s’est avéré mortel – Sommes-nous des cobayes ? Le paracétamol serait dangereux pour le cœur – Pourquoi ne s’en est-on pas aperçu plus tôt ? On déplore la surconsommation d’antibiotiques – Les médecins sont-ils complices ? On a des doutes sur l’efficacité d’un vaccin – Les agences sanitaires sont-elles complaisantes ? Des ministres qui s’interrogent sur les bonnes décisions à prendre en matière de « police sanitaire » ? – L ’industrie pharmaceutique est-elle donc toute-puissante ? A-t-on vraiment tiré les leçons des récents scandales sanitaires ? Si le lecteur est en attente de réponse à toutes ces questions, il doit avoir conscience que toute réponse (scientifique) ne peut être que provisoire. C’est le prix du progrès et de la brièveté des certitudes. L’évaluation du travail accompli par les recherches dans les domaines de la chimie, de la médecine, de la biologie, de la pharmacie depuis deux siècles, donne, à certains égards, un sentiment partagé entre de réelles avancées et des progrès inachevés ou de fragiles réussites. Nous devons être exigeants avec nos médicaments en leur demandant sécurité et efficacité même si cette attente est parfois déçue. Avec ces cent questions sur les médicaments, aucune question (importante) n’est oubliée ou escamotée. Si le doute est permis, les questions sont posées. Les ambiguïtés sont levées et les réponses proposées ne donnent de place qu’à l’objectivité. Je m’engage à répondre en toute indépendance. Je n’ai aucun lien d’intérêt avec l’industrie pharmaceutique. Je m’exprime librement, sans contrainte, et en pesant la responsabilité qui m’incombe en donnant mon point de vue. Le monde occidental ne peut offrir à ses citoyens un accès aux médicaments performants et efficaces qu’au prix d’investissements si lourds qu’ils seront peut-être, à l’avenir, de moins en moins accessibles. Le médicament devient donc, par la force des choses, un objet économique et politique qui nécessite une évaluation rigoureuse et indépendante que je qualifie volontiers de citoyenne. Le médicament a beaucoup fait parler de lui ces dernières années, pas toujours pour la bonne cause. Je souhaite donc remettre les choses à leur (vraie) place et tenter de répondre sans tabou aux questions qui se posent avec clairvoyance et sans compromis. HISTOIRE ET SOCIOLOGIE DU MÉDICAMENT 1 Quelles sont les grandes étapes de la découverte des médicaments ? Pendant plus de deux mille ans, la tradition médicale hippocratique mettait en avant le déséquilibre des « humeurs » pour expliquer les maladies. Ça n’a guère favorisé la recherche de médicaments. On a soigné, pendant des siècles, avec les plantes, d’abord entières, puis en distinguant les parties utiles, en préparant des extraits ou des teintures et en combinant nombre de préparations pour en faire des compositions parfois complexes comme la thériaque, héritée de la tradition gréco-latine, et qui renfermait jusqu’au XIXe siècle plusieurs dizaines d’ingrédients probablement peu actifs 1. Au Moyen Âge, cette tradition fut complétée par les apports du monde arabe qui introduisit de nouvelles formes pharmaceutiques comme les collyres, ou des opérations innovantes comme la distillation. Les outils de la préparation pharmaceutique se mirent alors en place : mortiers, vases, balances, alambics devenus autant d’éléments de « l’art pharmaceutique ». Il fallut attendre les développements de la chimie pour observer la transformation scientifique de la pharmacie et entrevoir des remèdes efficaces 2. D’abord grâce à la chimie extractive consistant à utiliser certains solvants comme l’alcool pour extraire les principes actifs uploads/Sante/ les-medicaments-en-100-questions-francois-chast.pdf

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  • Publié le Sep 15, 2022
  • Catégorie Health / Santé
  • Langue French
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