1 Démocratie en santé : les illusions perdues Contribution au rapport de l’Insp

1 Démocratie en santé : les illusions perdues Contribution au rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (réalisé par Madame Huguette Mauss) sur le pilotage de la démocratie en santé au sein du Ministère des affaires sociales et de la santé Par Thomas Dietrich, responsable du secrétariat général de la Conférence nationale de santé (CNS) de mars 2015 à février 2016 Remis le 19 février 2016 – les propos tenus dans cette contribution n’engagent que son auteur 2 « Et avec quelle quantité d’illusions ai-je dû naître pour pouvoir en perdre une chaque jour ! » Emile Cioran Sommaire En guise d'introduction : courte dissertation sur les moulins à vent ............................................. 3 1. Conférence nationale de santé : impressions soleil levant ....................................................... 6 2. Indépendante comme un mandchou ....................................................................................... 8 3. Voltaire, reviens, ils sont devenus fous ! ................................................................................ 10 4. Débat public : le Munich de la vaccination ............................................................................ 14 5. Le dernier ordre mendiant .................................................................................................... 19 6. L’Institut pour la démocratie en santé (IPDS) : quand Robespierre rencontre Tartuffe ............ 24 En guise de conclusion : ce que j’emporte sans un pli, sans une tache ........................................ 27 3 En guise d'introduction : courte dissertation sur les moulins à vent Petit, je m’étais trouvé un frère d'encre et de papier en la personne de Don Quichotte. Devenu adulte, cela n’a guère changé. Je crois comme lui que la vie ne vaut la peine d’être vécue que si on la met au service des autres. Lui se battait pour la veuve et l’orphelin, pour faire de sa Dulcinée la reine de royaume lointains, moi, j'ai décidé de me mettre au service des citoyens. Cela aurait dû être en Afrique, au Tchad ou en République Centrafricaine : mon idéalisme forcené et mon indécrottable capacité à me faire des ennemis en ont décidé autrement. Voilà comment j'ai été amené à travailler pendant un an en tant que responsable du secrétariat général de la Conférence nationale de santé, plus grande instance de démocratie en santé de France. Quel rapport avec Don Quichotte, me direz-vous ? Certes, je ne me rendais pas au Ministère juché sur un bourrin et coiffé d'un saladier, redoutant une hospitalisation sans consentement à la demande de mon chef de service. Je n'avais pas non plus de Sancho Pança à mes côtés. Mais j'ai sans doute chargé autant de moulins à vents que l'hidalgo de la Manche et leurs grands bras chargés de toiles m'ont à chaque fois précipité dans la boue. En guise de moulins, j'ai cru à la mission qui m'a été confiée ; un peu trop peut-être. J'ai cru qu'il fallait donner à la CNS la place qui lui revient, au coeur de notre système de santé. J'ai cru qu'il convenait d'aider au développement de la démocratie en santé, ce concept « bizarre, un peu flou » mais « indispensable » (Libération, 7 juillet 20151) ; si indispensable que nos politiques l'ont imposée comme un des cinq piliers de la stratégie nationale de santé. En entrant au Ministère, je ne nageais donc pas à contre-courant. Il me semblait même que le cabinet et l'ensemble des directions d'administration centrale s'étaient données le mot : il fallait développer l'expression des usagers, de ceux qui jusqu'au début des années 2000 étaient restés des sans-voix, coincés au fond de leur lit d'hôpital ou cloués à leur chaise roulante, et leur permettre de participer à la co-construction des politiques publiques en santé. La CNS était le lieu idéal pour qu'émerge cette expression ; l'orientation d'alors des politiques publiques gonflaient ses voiles. Ne restait plus qu'à se laisser porter. 1 http://www.liberation.fr/societe/2015/07 /07 /la-democratie-sanitaire-un-concept-flou-mais- indispensable_1342773 4 Vous rirez sans doute de ma candeur. Les moulins n'étaient pas des géants, et ils ne m'ont pas envoyé vers les étoiles, mais bien dans la boue. Car la démocratie en santé n'est pas la reine de l'échiquier ; elle en est le fou. Et avec elle, tous ceux qui y croient ; ces bénévoles, usagers, professionnels de santé, élus, partenaires sociaux, qui donnent de leur temps et de leur énergie dans des instances nationales (CNS, CNCPH, CNRPA), territoriales (CRSA, Conférences de territoire) ou liées à un établissement de santé (CRUQPC, CVS) ; ceux-là même qui croient que la réflexion issue du terrain fera évoluer notre système de santé, alors qu'elle ne servira que de faire-valoir. S'il faut user d'une expression quelque peu triviale, j'emploierais celle de mascarade. J'en suis désormais convaincu : la démocratie en santé n'est qu'une vaste mascarade montée par les hommes et les femmes politiques pour faire croire à une certaine horizontalité de la décision publique en santé - alors qu'elle n'a jamais été aussi verticale. Et tout ceci au détriment des citoyens, dont on utilise les deniers pour mettre sur pied des instances consultatives qui, comble du cynisme, ne doivent à aucun prix remplir le rôle qui leur a été assigné par la loi. Désarçonné, conscient que les amples moulinets de ma lance ne jetteront personne d'autre à terre que moi-même, j'ai donc décidé de signer ma reddition en quittant mon poste. Ce fut pour moi un déchirement ; la CNS est une instance pour laquelle j'ai profondément aimé travailler et dont je suis intimement persuadé de l'utilité. J'avais ambitionné pour elle une place de plus en plus importante au sein de l'appareil décisionnel public, car j'estimais que la parole de ses membres étaient une véritable valeur ajoutée pour des fonctionnaires trop souvent cantonnées à leurs bureaux du VIIème arrondissement de Paris ; la parole des « vrais gens » au secours des technocrates, en quelque sorte. Ne reste donc plus qu'à remonter, clopin-clopant, sur Rossinante. Toutefois, avant de m'en aller vers de nouveaux horizons (sahariens) où j'aurais peut-être plus de latitude pour changer le monde, il me reste encore à frapper ma lance contre mon saladier et à faire le plus de bruit possible. Non par vengeance, non par dépit, ni même pour épater une femme dont je serais tombé fou amoureux (allez, je l'avoue - un peu quand même !). Je le fais car je sais que cela est juste ; car je sais que les lignes que je vais coucher sur le papier ne sont pas uniquement le sentiment d'un homme seul et un peu exalté, mais bien le constat lucide de dizaines et de 5 dizaines de personnes, membres d'instances consultatives, fonctionnaires, que j'ai eu la chance de croiser tout au long de cette année. « Je serai donc la bouche des malheurs qui n'ont point de bouche », comme l'écrivait Aimé Césaire. Alors, au nom du message que je vais délivrer, je vous prierai de pardonner mon style peu administratif, mes envolées lyriques et mes effets de manche d'écrivain. Je vous remercierai d'excuser mes références un tant-soit-peu trop enflammées pour des inspecteurs habitués à l'aridité des articles du code de santé publique. Ne jugez pas trop sévèrement mon idéalisme et mon exigence d'absolu ; n'en tirez pas de conclusions trop hâtives, ne serait-ce que parce que tout ce que je révèle dans cette contribution est exact et peut être étayé par des faits précis. Enfin, avant de céder la place à une démonstration à la rigueur toute aristotélicienne, permettez-moi de filer la métaphore jusqu'au bout et une dernière fois, de me précipiter tête baissée vers un moulin, sans doute le plus imposant de tous. Parce que la démocratie en santé vaut bien ce dernier baroud d'honneur. 6 1. Conférence nationale de santé : impressions soleil levant Avril 2015. C'était hier et pourtant, cela me paraît déjà si lointain. La CNS venait d'être installée pour une nouvelle mandature de trois ans2, jusqu'en 2018. Bernadette Devictor (représentante de la Conférence régionale de la santé et de l'autonomie Rhône-Alpes) avait été réélue présidente, les membres étaient enthousiastes à l'idée de contribuer, en influençant tant les parlementaires que le ministère, au projet de loi de modernisation de notre système de santé (PLMSS). Porté par ce souffle nouveau, j'avais rédigé un article pour le DGS Infos, tentant d'expliquer sur un ton peu orthodoxe mais néanmoins fidèle à la réalité ce qu'était la CNS. Il faut vous préciser ici que le DGS Infos est la feuille de chou officielle de la Direction générale de la santé, ennuyeuse au possible lorsqu'elle ne se transforme pas en panégyrique louant la politique ministérielle. D'ailleurs, mon article n'avait pas dû remplir la jauge de médiocrité nécessaire pour pouvoir être publié. Le DGS, se sentant soudain pousser une vocation de censeur soviétique, prit son stylo et, du grand trait rouge de la bêtise et du mépris, barra mon article en ajoutant la mention : « Pas assez administratif. A refaire. ». Cette contribution à votre rapport IGAS sera donc l'occasion de réparer ce que je considère assez égoïstement comme un tort. Non pas que je souhaiterais me venger de cette censure, mais je pense que cet article reflète bien ce que devrait être, dans l'idéal posé par la loi de 20043, la CNS. Le voici : « La Conférence nationale de santé, combien de divisions ? 2 http://www.cns.social-sante.gouv.fr/assemblee-pleniere-d-installation-du-09-04-15.html 3 uploads/Sante/ democratie-en-sante-les-illusions-perdues.pdf

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  • Publié le Aoû 20, 2022
  • Catégorie Health / Santé
  • Langue French
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