Santé Éducation – Vol.29 – 2019 – Numéro spécial Congrès Santé Éducation 10 Les
Santé Éducation – Vol.29 – 2019 – Numéro spécial Congrès Santé Éducation 10 Les apports de la psychologie à l’éducation thérapeutique du patient Hommage à Anne Lacroix Christine Ferron * * Déléguée générale de la Fédération nationale d'éducation et de promotion de la santé (FNES), membre du Conseil scientifique de l'Afdet, Professeure affiliée à l'Ecole des hautes études en santé publique (EHESP), et Vice-présidente de la Société française de santé publique (SFSP) Si l’être humain n’était qu’une mécanique corporelle à entretenir comme un garagiste le ferait d’une automobile, l’éducation thérapeutique du patient n’aurait que faire de la psychologie. Etude et science de la psyché, la psychologie reconnaît à chaque personne sa valeur intrinsèque de sujet, et à ce titre, la considère dans la globalité et la complexité de son être. Pour cet être complexe, la santé n’est pas plus « la vie dans le silence des organes » [1] qu’un « état de complet bien-être physique, mental et social » [2]. C’est un ressenti propre à chacun qui s’éprouve et se définit à chaque instant, dans un processus permanent d’adaptation à un environnement matériel et humain en perpétuelle évolution. Cet effort permanent d’adaptation serait impossible et vain, en l’absence de raison de vivre. La quête de santé ne peut donc qu’aller de pair avec une quête de sens. C’est du conflit paradoxal entre la santé définie par les professionnels et ce que vit le sujet que se nourrit la relation d’aide, d’accompagnement et de soin, dans une perspective d’amélioration de la qualité de la vie telle que la personne elle-même la détermine. Le respect de la place centrale du sujet dans cette relation éducative se trouve au cœur de toutes les notions dont la psychologie nourrit l’éducation thérapeutique du patient, notions qui vont être développées ci-après. Mon intervention sur les apports de la psychologie à l’éducation thérapeutique du patient, dont le 1 2 contenu fournit l’essentiel du présent article, était motivée par le souhait de rendre un hommage ému et reconnaissant à Anne Lacroix, psychologue clinicienne, immense théoricienne et praticienne de l’éducation thérapeutique, récemment disparue. Ce sont ses lumineux éclairages qui constituent la trame de cet article. Je suis moi-même psychologue, formée à la psychologie clinique et pathologique, mais ayant un peu touché à la psychologie sociale et ouverte à la psychologie génétique1 grâce à mon travail de thèse. Mon engagement précoce en tant que psychologue dans la santé publique, l’éducation pour la santé, puis la promotion de la santé et l’éducation thérapeutique du patient, a été marqué par deux temps particulièrement forts que je souhaite brièvement évoquer en préambule. Tout d’abord la stupéfaction, le mot n’est pas trop fort, que j’ai ressentie à mon arrivée dans le champ de la santé publique, en découvrant ce qu’un autre psychologue appelait « la naïveté des idéologies et des discours » [3]. Ce psychologue, c’est Philippe Lecorps, alors enseignant chercheur à l’Ecole nationale de la santé publique de Rennes2. « Si l’on en croit la propagande sanitaire », disait Philippe Lecorps, « le fumeur ne peut que désirer arrêter de fumer, l'obèse ne peut que désirer maigrir, l'anorexique vouloir se remplumer, le sédentaire « Etude du psychisme dans sa formation et ses transformations » selon Henri Wallon, elle s’intéresse à la fois aux étapes de changement dans la vie des individus (de la petite enfance au grand âge, en rapport avec leurs environnements) et aux aléas de leur développement (maladie chronique ou situation de handicap par exemple). Aujourd’hui Ecole des hautes études en santé publique (EHESP) Santé Éducation – Vol.29 – 2019 – Numéro spécial Congrès Santé Éducation 11 vouloir faire du sport ». L’absence de prise en compte, dans le champ de la santé publique, des motivations inconscientes des conduites, auxquelles j’avais été biberonnée pendant toutes mes années de formation, m’a semblée proprement incroyable, tout comme la mise à l’écart de l’histoire passée et présente des personnes, ou de leurs conditions réelles d’existence. Il se trouve qu’à cette même période, j’ai eu la chance de faire un stage, puis d’obtenir mon premier poste de psychologue, dans un Centre de médecine préventive, celui de Vandœuvre-lès-Nancy, dont le directeur était à l’époque un professeur de santé publique passionné d’éducation pour la santé et grand découvreur de la promotion de la santé en France, Jean-Pierre Deschamps. Quelques années avant mon arrivée au CMP, Jean-Pierre Deschamps avait publié un article intitulé « Porter un regard nouveau sur l’éducation pour la santé » [4]. Ce regard, qui date de près de 35 ans maintenant, serait me semble-t-il toujours aussi « nouveau » aujourd’hui : « La finalité de l’éducation pour la santé est de donner à chaque citoyen l’aptitude à participer au débat sur sa santé et sa qualité de vie et les déterminants de celle-ci, sur les mesures prises pour assurer sa santé et son bien-être, sur les politiques locales ou institutionnelles de santé », enfin, « lui permettre d’être l’acteur de la démocratie sanitaire ». « L’objectif de l’éducation pour la santé n’est pas de parler au public de sa santé, mais de lui donner l’aptitude à parler de sa santé et des éléments qui la contraignent ou la favorisent, des choix à faire, des décisions à prendre, de l’autonomie et de la justice sociale ». Citation dans laquelle il est très aisé de remplacer « éducation pour la santé » par « éducation thérapeutique » et « public » par « patient » … L’autre choc de ma jeune carrière de psychologue en promotion de la santé, a été l’émergence des mouvements de patients. Entrée en santé publique au plus fort de l’épidémie de sida, j’ai d’abord été le témoin des errements de la prévention de cette maladie. J’ai aussi assisté à l’arrivée puissante des associations de patients et de leurs proches, scandalisés par la morgue des « sachants » (qu’ils appelaient, à juste titre à l’époque, les « sachants- rien ») et par leur propre éviction des lieux de pouvoir et de décision. Plus de 30 ans après, beaucoup reste encore à faire dans ce domaine, mais je leur dois, à ces patients, la compréhension profonde des enjeux d’un rééquilibrage des pouvoirs à des fins de réduction des inégalités sociales et de santé. Mon intervention sur les apports de la psychologie à l’ETP va forcément être source de frustrations, au regard de la multiplicité des sous-disciplines de la psychologie. La réalité, c’est que chacune de ces sous- disciplines a développé des théories, des concepts, des modèles, des pratiques, utiles ou en tout cas utilisables par les acteurs de l’éducation thérapeutique. Comptant sur votre compréhension et votre indulgence, je ne citerai que quelques-uns de ces apports dans un premier temps, faisant le choix de consacrer l’essentiel de mon propos, dans un second temps, à la psychologie clinique et aux remarquables contributions d’Anne Lacroix. Dans ce vaste champ de la psychologie, quels sont donc les apports qui se détachent particulièrement d’une première analyse ? • La psychologie humaniste, fondée par Carl Rogers et Abraham Maslow, ancrée dans une conception de l'être humain marquée par les notions de respect de la personne, de responsabilité, de liberté, d'authenticité, d'expérience, de rencontre ou relation existentielle et d’alliance thérapeutique, a introduit le postulat de l'autodétermination, sans lequel nous ne pourrions pas travailler en éducation thérapeutique aujourd’hui. • La psychologie cognitive, dont l’un des principaux concepteurs fut Jean Piaget, étudie les grandes fonctions psychologiques de l'être humain que sont la mémoire, le langage, l'intelligence, le raisonnement, la résolution de problèmes, la perception ou l'attention – toutes fonctions évidemment sollicitées chez les patients dans nos pratiques éducatives. • La psychologie de l’éducation, fondée aux Etats-Unis par Thorndike, Judd ou Stanley Hall, nous accompagne tous les jours, avec ses travaux sur le développement, l'évaluation et l'application des théories de l'apprentissage et de l'enseignement, l’élaboration de programmes, stratégies et techniques mobilisés dans les activités et processus éducatifs. • La psychologie sociale, avec ses travaux sur la dynamique des groupes restreints, lancés aux Etats Unis par des chercheurs comme Kurt Lewin et repris en France par Serge Moscovici ou Didier Anzieu, ou Santé Éducation – Vol.29 – 2019 – Numéro spécial Congrès Santé Éducation 12 ses études sur les effets de la persuasion et de la propagande, tout comme les expériences plus controversées de Stanley Milgram sur l'obéissance à l'autorité, nous ont également donné matière à réfléchir et à agir. • Plus récemment, la psychologie de la santé, importée en France par Marilou Bruchon-Schweitzer, nous invite à prendre en considération les notions de lieu du contrôle (interne ou externe), de stress perçu, de soutien social, de coping, de littératie en santé… pour mieux comprendre les comportements de santé des patients. • Enfin, la psychologie communautaire qui s'intéresse au développement social, à la justice sociale, à la santé des territoires et de leurs habitants, mobilise les concepts de conscientisation et d’empowerment, et développe des pratiques de promotion de la santé mentale. Toutes ces sous-disciplines de la psychologie, sans aucune prétention d’exhaustivité évidemment, alimentent nos réflexions et nos pratiques. Notons cependant que les approches moins uploads/Sante/ les-apports-de-la-psychologie-lducation-thrapeutique-du-patient-hommage-anne-lacroix.pdf
Documents similaires










-
29
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Jul 24, 2022
- Catégorie Health / Santé
- Langue French
- Taille du fichier 0.2404MB