7 En Afrique, la famille ci la croisée des chemins I L’Afrique a ceci de singul

7 En Afrique, la famille ci la croisée des chemins I L’Afrique a ceci de singulier (entendons l’Afrique au sud du Sahara) qu’elle apparaît aussi bien sous les traits d’un univers typiquement < < sous-développé > > ou, pour reprendre une expression à la mode, en < ( mal de développement )>, que sous ceux beaucoup plus attrayants, et à bien des égards exotiques, d’un continent dépositaire de fabuleux < ( trésors > > ; trésors qui sont susceptibles de nous faire mieux comprendre l’évolution de l’humanité et les multiples manières d’organiser la vie en soci&é, d’inventer règles et systèmes symboliques pour en perpétuer la cohésion. Les découvertes récentes des paléontologues désignent en effet l’Afrique comme le berceau de l’humanité, ou plutôt comme un lieu particulièrement favorable à une mise en place des étapes de l’hominisation. De leur côté les ethnologues observent ou recomposent une g3mme très étendue de formes sociales, de la bande de chasseurs-cueilleurs aux Etats dits < ( traditionnels ) ) (expression qui marque simplement uqe distinction entre ces Etats qui se sont formés avant la colonisation et les actuels < ( Etats-nations )>) en passant par toute une série de sociétés, sans appareil de pouvoir séparé et centralisé, structurées suivant des critères de sexe, d’âge, de statut, sur la base de groupes de parenté et de relations d’alliance. De ce point de vue, l’Afrique constitue un < ( terrain D tout à fait privilégié pour l’anthropologie en général. Elle peut y satisfaire sa vocation comparatiste, c’est-à-dire confronter les systèmes sociaux et politiques entre eux, afin d’en dégager les invariants et d’éventuelles lois sociologiques ; mais elle peut égaiement s’interroger sur l’origine, la genèse des institutions sociales, par exemple rechercher les conditions et circonstances historiques qui ont déterminé l’émergerice de telle institution familiale ou de telle forme étatique. 301 La préparation des beignets en famille, au Mali. Ces deux images d’une Afrique tour à tour pauvre dans le domaine économique et riche dans l’ordre du culturel n’ont, semble-t-il, rien de contradictoire. Le sous- développement n’est-il pas l’envers prétendument négatif d’?ne réalité africaine qui a su, malgré les colonisations européennes et la création d’Etats-nations, préserver ses références et ses modes de vif: traditionnels ? Ce qui force l’.intérêt an,thropologique, et indirectement ce qui justifie le regard exotique de l’occident vis-à-vis de ce continent, ne devient-il pas aux yeux des développeurs - terme sous lequel sont désignés les agents du développement à tous les niveaux - et, dans une certaine mesure, à ceux d’hommes politiques africains des freins au changement, des obstacles socioculturels ? Les, échecs répétés en matière de développement rural, les difficultés qu’éprouvent les Etats à se légitimer et à se stabiliser ne proviennent- ils pas d’archaïsmes toujours en vigueur, de particularismes qui ne succombent toujours pas aux injonctions universalistes de l’économie et de la politique ? Autant de questions qui suscitent aujourd’hui un dilemme et amènent certains à repenser les manières de développer l’Afrique noire, à contester les pjatiques qui visent à déstructurer les sociétés africaines pour mieux les soumettre aux impératifs de l’économie marchande et de la productivité. I1 est vrai que de telles révisions, qui se traduisent par une valorisation du local et des traditions, adviennent à un moment de crise où l’occident s’interroge sur son propre destin, où l’idée de progrès dont il fut à la fois le promoteur et l’incarnation subit les assauts du doute et du scepticisme. L’Afrique devient ainsi beaucoup plus proche, et en une sorte de morale de l’histoire, l’occident, après l’avoir soumise et colonisée, se pose à son tour des questions d’identité ; il découvre ses traditions, valorise les spécificités culturelles et IocaIes, et d’aucuns suggèrent pour lui-même des remèdes, en matière économique et sociale, qui sont similaires aux solutions alternatives proposées en Afrique et plus généralement dms !e tiers monde. 2 P u TEMPS DES ADMINISTRATEURS, TEMPS DES ETHNOLOGUES Dans ce champ de discours et de représentations relatifià l’Afrique, où se croisent tout à la fois des intérêts intellectuels et scientifiques, des enjeux économiques et idéologiques, des problèmes de développement, la famille occupe une place tout à fait privilégiée. Tout d’abord, en tant qu’objet de connaissance, l’institution familiale, sous ses formes les plus variées, a absorbé une part très importante des recherches africanistes. L’ethnologie française et surtout l’anthropologie anglaise ont en effet reconnu en elle l’un de ces < ( trésors ) > que l’Afrique apporte au savoir universel. Dans un ouvrage célèbre, paru en 1950, sous le titre African Systems of Kinship and Marriage, A.R. Radcliffe-Brown (trad. franç., 1953) écrivait à son propos : < ( Pour la compréhension d’un aspect quelconque de la vie sociale d’une population africaine, aspect économique, politique ou +religieux, il est essentiel de posséder une connaissance approfondie de son organisation familiale et matrimoniale (...) )>, puis plus loin : < ( On doit donc espérer que le présent ouvrage sera lu non seulement par les ethnologues, mais aussi par quelques-uns de ceux qui ont la charge d’élaborer ou d’exécuter la politique d’administration coloniale sur le continent africain. > > I Ces propositions en forme de programme sont intéressantes à divers titres ; au premier chef, pour comprendre l’Afrique, c’est-à-dire atteindre véritablement son intimité, il ne suffit pas de s’attacher aux trois registres qui, suivant notre propre tradition occidentale, découpent toute réalité sociale en économique, politique et religieux, registres où s’y épuisent fonctions et déterminations ; il faut encore viser leur substrat commun, soit l’organisation familiale et matrimoniale, qui les informe tous et permet à chacun d’être en relation avec les deux autres. Ainsi est clairement énoncé par Radcliffe-Brown le rôle fondamental que doit jouer l’étude de la famille et plus généralement de la parenté dans l’analyse des sociétés africaines ; rôle que l’on peut qualifier avec Maurice Godelier de < ( plurifonctionnel ) > (1973) puisqu’elle est constitutive de l’ordre des choses et se métamorphose aussi bien en structures économiques qu’en systèmes religieux. Mais Radcliffe-Brown dit davantage : il précise sa position en ajoutant qu’une telle approche des sociétés africaines ne s’adresse pas seulement à ses collègues, à la communauté scientifique, mais aussi à ses compatriotes qui sont censés les administrer ; à le suivre, les autorités coloniales anglaises auraient tout à gagner à s’intéresser aux sysièmes familiaux, car de leur connaissance, de leur prise en compte dépend sans doute une administration mieux adaptée et plus harmonieuse de ces sociétés. L’objet de connaissance devient donc, au moins virtuellement, objet pratique. Ainsi, sous la plume de l’un des plus grands anthropologues britanniques, se laisse découvrir une manière de penser l’Afrique tout à fait décisive. Comprendre les sociétés africaines requiert d’en viser le cœur, à savoir les institutions familiales, rendre compte des variations socioculturelles consiste prioritairement à étudier les Procédures symboliques et pratiques qui sous-tendent ces institutions et permettent du même coup d’identifier et de classer chaque société, chaque groupe ethnique : dire par exemple d’une population qu’elle est patrilinéaire revient à formuler une proposition essentielle, en l’occurrence à lui reconnaître une propriété qui la définit comme sujet à part entière. . 303 Aurres mondes : fair colonial er fair narional Convenons de prendre la mesure d’un tel mode d’identification. Première observation, par sa généralité même, il légitime assez bien l’usage d’une notion qui est fréquemment appliquée à l’Afrique noire, à savoir celle de société traditionnelle. Au-delà des configurations particulières, des spécificités ethniques, l’Afrique se laisse aisément désigner par ce vocable puisqu’aussi bien les systèmes familiaux, quels qu’ils soient, constituent les cadres privilégiés de l’énonciation et de la transmission des traditions. En d’autres termes, si l’Afrique se présente comme un continent qui évolue lentement, où persistent, en maints endroits, des modes de vie et de pensée traditionnels, c’est qu’au cœur des sociétés les systèmes familiaux, avec ce qu’ils impliquent comme droits, obligations et représentations, continuent, semble-t-il, P baliser et à contrôler les destins individuels et collectifs.,A contrario, la modernité dont on peut repérer aujourd’hui les signes manifestes (Etats-nations, urbanisation, nouvelles stratifications sociales, etc.) ne saurait véritablement dévaluer qu’en examinant de près 1’ évolution des institutions familiales. Tout semble effectivement s’y jouer, comme si, du diagnostic que l’on peut porter sur cette évolution, on était en position de conclure à des profonds changements sociaux en Afrique noire, ou à l’inverse au poids encore dominant des structures traditionnelles. Si bien que les signes de modernité ne sont peut-être qu’apparents, qu’en dépit des transformations visibles ou repérables les logiques anciennes peuvent toujours les accompagner, les codes familiaux y trouver de nouveaux champs d’extension. Cette question a occupé une place centrale dans les recherches africanistes qui se sont développées à partir des années 60, c’est-à-dire dans la mouvance de la décolonisation. En France tout particulièrement, et. inspirées par le sociologue G. Balandier (1955) [qui s’est nettement démarqué dans les années 50 d’une ethnologie trop encline à ne voir de l’Afrique noire qu’une collection de sociétés traditionnelles et à oublier qu’elle avait été conquise et soumise par l’Europe, que les colonisations avaient créé des situations nouvelles portedses de transformations sociales], ces recherches ont précisément mis en évidence les uploads/Societe et culture/ dozon-en-afrique-la-famille-a-la-croisee-des-chemins.pdf

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