54 La femme et la danse dans la société grecque traditionnelle et contemporaine

54 La femme et la danse dans la société grecque traditionnelle et contemporaine Filippou Filippos, Mavrides George, Rokka Stella, Harahoussou Ivoni, Harahoussou Theodossia Université Démocrite de Thrace, Département de l’éducation physique et des Sciences du sport, Komotini, Grèce Résumé Le but de cette recherche est d'étudier la présence féminine dans la danse, aussi bien dans la société grecque traditionnelle que moderne, afin de noter les changements survenus dans la danse des femmes grecques modernes. Dans ce but, nous avons consulté la bibliographie relative au thème traité, et nous nous sommes appuyés sur un entretien avec des interlocuteurs représentant trois générations différentes, ainsi que sur l'observation participative sur le terrain des occasions de danser dans nos jours. Enfin on peut noter: a) La place de la femme dans la danse traditionnelle grecque ainsi que sa manière de danser reflètent sa position dans la société grecque traditionnelle. b) Pour les femmes, la danse n'était pas une simple question de divertissement, de plaisir et de joie mais des règles d’un comportement, des obligations et un contrôle social. c) La danse de la femme grecque moderne dépend des données sociales actuelles. La danse, en dépit des changements de la société grecque depuis les années 1950 et jusqu'à nos jours, tient toujours une place importante tant dans la vie quotidienne que dans les occasions de fêtes des Grecs. La danse demeure la composante principale de plusieurs fêtes (Carnaval, Noël, Pâques), rites de passage (fiançailles, noces) et réunions officielles et officieuses. Au cours des diverses occasions de danser, nommés par Cowan (1990) entant que «faits 55 dansés», les individus se projettent, se mettent en avant à travers des pratiques festives et ils se laissent évaluer par les autres. Le but de cet article est d'étudier la présence féminine dans la danse, aussi bien dans la société grecque traditionnelle que moderne, afin de tirer des conclusions sur les changements qui seraient survenus dans la danse des femmes grecques modernes. Et ce, car la danse est le reflet de symboles éloquents de catégories idéologiques portant sur la classe sociale, le sexe, l'appartenance ethnique. La danse nous fournit un outil méthodologique efficace notamment lorsque nous avons affaire à des problèmes de recherche bien particuliers, tels les stéréotypes sur les sexes. Mais celle-ci intègre également des concepts riches en significations qui ne peuvent se limiter à leur expression verbale. On pourrait avancer que la participation des femmes aux traditions rituelles laisse apparaître leur mode d'expression dans une société patriarcale (Arderener 1978, Spiliotopoulou 1992). 1. Méthodologie de la recherche Pour réaliser cette étude, nous avons consulté la littérature relative au thème traité, et nous nous sommes appuyés sur un entretien avec des acteurs représentant trois générations différentes, ainsi que sur une observation participative sur le terrain à l'occasion de séance de danse. Dans la société traditionnelle grecque, la danse constitue un élément essentiel du comportement social. De nombreuses occasions de danser sont offertes tout au long de l’année durant lesquelles les membres de la communauté sont littéralement «contraints» de danser. Parmi ces occasions, nous citons la fête locale, les fêtes religieuses, les mariages et les réunions de famille. La communauté grecque constitue une référence de l’acte dansé et ses membres partagent le même espace, les mêmes traditions, les mêmes institutions, les mêmes us et coutumes. La communauté ne se limite pas dans ses étroites frontières géographiques et administratives mais se réfère également à ce sentiment d’appartenance commune. (Nitsiakos 1991). Chaque 56 communauté a sa propre identité constituée par l’habitation (architecture, décor), le costume, le parler local, la nourriture, la musique, le chant et enfin, la danse. C’est à travers cette identité qu’elle se différencie des autres communautés. En tant qu’événement social, la danse concerne toutes les parties d’une communauté, danseurs ou non-danseurs, en mettant en évidence les valeurs fondamentales et la structure du groupe. La participation des membres de la communauté dépasse le cadre de l’individualité et acquiert une dimension sociale. Eveillant l’émoi, la danse, symbole d’intégration sociale de l’individu et de cohésion du groupe, dissimule ainsi les contrastes qui existent entre les membres de la communauté et reproduit la réalité sociale. Le « chorostassi1 », principalement la place du village, devient le théâtre où se reflètent la structure de la société, ses valeurs et ses croyances (Raftis 1985). C’est là que s’étalent les contradictions et que s’atténuent les conflits entre les sexes, les riches et les pauvres, les autochtones et les étrangers. La place que les danseurs sont appelés à prendre dans le cercle selon la cérémonie, dépend souvent du sexe, de l’âge, du statut social et familial du danseur. La place toutefois que celui-ci va choisir dans le cercle, sa manière de danser et de s’exprimer tout comme la durée de la danse sont souvent prétexte à la discrimination, à la concurrence, aux rivalités et aux disputes entre danseurs (Loutzaki 1992). Dans la plupart des régions de la Grèce traditionnelle, le chorostassi était un lieu pour hommes. De nombreux anthropologues ont étudié la dichotomie entre le domaine publique (masculin) et le domaine domestique (féminin) de la vie rurale en Grèce (Dubisch 1986 ; Loizos et Papataxiarxis 1991). La femme est surveillée chaque fois qu'elle apparaît en public, lors d'une fête ou au chorostassi. On constate par contre la dominance des femmes lors des cérémonies traditionnelles dansées qui sont associées au cadre familial, comme la cérémonie de mariage ou la préparation d'un repas pour le kourbani2. Dans plusieurs régions de Grèce (Macédoine, Thrace, Thessalie, Epire), il était inadmissible de voir des femmes et des hommes danser côte à côte. Les femmes dansaient dans un cercle à part, formé exclusivement par elles (Macédoine, Epire) ou dans un cercle unique dans lequel les hommes 57 précédaient et les femmes suivaient (Thrace). Dans ce cas, le dernier homme et la première femme devaient avoir un certain âge ou bien être de la même famille et se tenir par un mouchoir. Dans certaines régions, il était permis aux hommes et aux femmes d'être dans le même cercle mais ces dernières devaient être obligatoirement accompagnées des hommes de leur famille (Zagori-Epire, Karpathos, Florina, Volissos à Chios). Dans ce cas, la femme pouvait tenir la première place dans le cercle (Lazarou 2002), uniquement si elle était accompagnée par l'homme. Le code éthique interdisait aux jeunes filles de participer aux cérémonies dansées en public. A Zagori et chez les Arvanites en Attique, lorsqu’une jeune fille dansait pour la première fois, elle déclarait de cette façon qu'elle était prête à se marier et que sa famille acceptait tout arrangement (Liapis 1987 ; Spiliotopoulou 1992; Dimas 1999). La famille préparait d'ailleurs avec une attention particulière la robe que la jeune fille allait porter et sur laquelle elle affichait tous les bijoux qui lui seraient donnés en dot. On constate que la robe et les parures jouaient le rôle d'indices du statut social de la femme. Dans ces groupes ethniques, les femmes provenant des couches sociales les moins aisées ne pouvaient prendre part aux danses publiques. Par contre, dans d'autres régions (Macédoine, Thrace), toutes les femmes participaient aux danses publiques, probablement car la stratification sociale du village était assez homogène (Dimitropoulos 1987 ; Filippou 1993 ; Lazarou 2002). Cependant, l'état civil (mariée – célibataire) d'une femme est le facteur qui déterminera si elle peut danser en public. A Karpathos (Kritsioti 1987) et à Aridéa (Filippou 1993), les femmes mariées ne dansent pas puisque comme elles le disent, «nous, nous sommes mariées, alors nous ne pouvons pas danser puisque nous avons des filles en âge d'être mariées ». A cause du contrôle public auquel étaient soumises les femmes et du code de conduite imposé par la société traditionnelle, elles ne pouvaient participer à toutes les occasions de danser. Ce sont les femmes pourtant qui ont une place dominante dans les traditions de mariage et qui apparaissent dans le foyer de la mariée. A Zagori (Spiliotopoulou 1992), à Florina (Lazarou 2002) et à 58 Aridéa (Filippou 1993), certaines femmes âgées dansent alors que d'autres pétrissent la pâte pour préparer le pain pour le mariage. Pendant que l'on habille la jeune mariée, ses jeunes amies (bratimisses3) dansent en son honneur puisqu’elle a encore le même statut social qu'elles. Etant donné le caractère du mariage dans les régions précitées, la futur épouse était obligée de danser avec tous les hommes de la famille de son futur époux avant que son beau-père ne l'introduise à la maison. Par contre, à Kastoria, à Kozani et à Edessa (Macédoine), les femmes ne participaient aux cérémonies de Noël et du Nouvel An (24/12-5/1, Dodekaimero) car les hommes proféraient des injures. A Volissos, à Chios (Genti 2002), les femmes n'avaient pas le droit d'aller à la foire et moins encore de danser, si elles n'y étaient pas conviées par leur époux ou par un parent proche. Le plus important toutefois, c'est la façon de danser des femmes. Elles n'avaient pas le droit de se mettre en valeur à travers la danse. Elles devaient danser la tête baissée, ayant une position du corps contrôlée, comme elles le faisaient d'ailleurs dans uploads/Societe et culture/ la-femme-et-la-danse.pdf

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