Le Maroc contemporain : un rêve d'occidentalisation ? C'est au bord de la Seine
Le Maroc contemporain : un rêve d'occidentalisation ? C'est au bord de la Seine, en plein cœur de Paris, que le Maroc contemporain a choisi de s'installer. Un clin d'œil au Maroc médiéval qui occupe les sous-sols du Louvre, à quelques pas de l'Institut du Monde Arabe. De la Rive droite à la Rive gauche, un grand bond en avant dans l'histoire de ce royaume d'Afrique du Nord nous est ainsi proposé. Au confluent de tous les peuples, les terres du Maroc ont toujours été un fief artistique très riche. Durant son histoire, le pays du Couchant a accueilli de nombreux peuples, et de nombreuses formes de croyances. Des Berbères venant de l'est, aux populations de l'Afrique subsaharienne, le Maroc était considéré comme « l'Occident le plus proche ». C'est ainsi qu'il fut un pied d'appui pour les troupes musulmanes lors de l'expansion de l'islam en Europe au VIIIème siècle. Dès lors, le pied-à-terre musulman que fut l'Andalousie, très influencée culturellement par le Maroc, fut le théâtre d'un renouveau artistique. De la littérature à l'artisanat, l'art andalou resplendissait à travers ce que les hommes de l'époque pensaient être le monde entier. Pour la majorité des historiens, cette période marque l'apogée de la splendeur culturelle musulmane. Une splendeur dans laquelle les artistes musulmans se sont probablement enfermés, tant la notion d'art islamique contemporain est creuse. Face à cette problématique, plusieurs initiatives ont été créées, que ce soit dans le domaine du cinéma ou dans les arts graphiques. C'est dans ce dernier aspect que se positionne une partie de la « Nayda », jeunesse marocaine en quête d'un renouveau culturel. Questionner le Maroc traditionnel Avant même de pénétrer les lieux, le visiteur est inexorablement confronté à l'opposition entre l'imposante structure en verre de l'Institut du Monde Arabe, et la tente sahraouie installée en son parvis. Voilà déjà quasiment un symbole de l'opposition entre le Maroc traditionnel et son homologue contemporain. L'un et l'autre peuvent-ils coexister au même endroit sans se marcher dessus ? Une question qui résonne tout au long de la visite. Il est clair que les plasticiens exposés en ces lieux n'ont pas pour but principal que de rompre totalement avec leur héritage culturel et religieux. Le Maroc musulman leur colle à la peau. L'abstraction est reine, par soucis -ou mauvaise compréhension- de la non- représentation de la figure humaine. Des thèmes comme le soufisme, bien qu'abordés succinctement, révèlent les contours d'un art ancré dans sa tradition. Les peintures lumineuses de Mohamed Mourabiti décrivent cette volonté de mettre à l'honneur le Maroc dans sa totalité, en réconciliant ses dimensions anciennes et contemporaines. Puisant son inspiration dans ses souvenirs d'enfance passée dans les souks de Marrakech, il parvient à exprimer un certain sentiment de plénitude mais aussi de remise en question. « Aujourd’hui le flot d’informations ne laisse plus de place à la libre pensée et à l’imaginaire » s'interroge-t-il. Pourtant, certaines œuvres laissent imaginer un renoncement total des codes traditionnels. C'est le cas notamment des plus jeunes, aisément les plus fougueux. Et fougueuses, telle que Nadia Bensallam. Dans une démarche revendicatrice, ils n'hésitent pas à choquer leurs cadets en mettant en scène différents éléments de la vie religieuse sous des aspects libertins. Ainsi ces derniers s'arrachent plusieurs libertés, comme celle d'écrire le nom d'Allah sur les seins d'une femme, ou encore dénuder une femme voilée. Pour Moulim El Aroussi, ancien directeur de l'école des Beaux-Arts de Casablanca, « un artiste doit avoir le courage de s'engager ». Des formes d'expression peut-être difficiles à avaler pour le Maroc traditionnel où la pudeur est le maître-mot. « Les jeunes sont très préoccupés par les transformations de la société. Ils se préoccupent beaucoup de la religion, du corps et de ses tabous ou de la politique. Les œuvres montrent que nous sommes dans une société traditionnelle qui mute et se heurte à la modernité » rajoute-il. Un art contemporain marocain est-il possible, ou est-ce un oxymore ? Le visiteur est ici pris de court face à l'effervescence de la société. La Nayda, le réveil de la jeunesse marocaine Au sortir de la seconde guerre mondiale, dans le fil des sixties, un courant de contre-culture voit le jour aux États-Unis. Développé par les enfants du baby- boom, il prône un mode de vie aux antipodes des valeurs traditionnelles et de la société de consommation. Ce courant se développe sous plusieurs aspects et devient l'épicentre d'un mouvement culturel majeur, et surtout d'une évolution des mœurs de la société. Refus de l'autorité, liberté sexuelle et pacifisme sont les mot-clefs du mouvement hippie. Au même moment à plusieurs milliers de kilomètres, le régime de Mohamed V tombe subitement. Son fils Hassan II prend alors la relève. Ses premières décisions à la tête du royaume sont très mal perçues et les émeutes et vagues de répression font basculer le pays en état d'urgence jusqu'en 1970. Là naissent les difficultés pour la jeunesse marocaine. De cette période de régime autoritaire et de crainte des intellectuels éclot un véritable essor intellectuel. C'est dans la contrainte que naît la créativité. À commencer par la revue Souffles, initiée par Abdellatif Laâbi. Pour les chroniques de l'époque, et notamment des titres comme La Quinzaine littéraire ou encore Les Nouvelles littéraires, la revue Souffles fut « un carrefour de création et de réflexion pour les nouvelles générations marocaines avides de libérer leur pays ». Si cette publication trimestrielle a été suspendue par les autorités marocaines en 1971 après seulement six années de service, son impact retentit dans de nombreux pays d'Afrique et du Tiers-Monde. Elle fut ainsi le symbole d'un renouveau culturel et d'une nouvelle façon de penser le Maroc. Quelques décennies plus tard, la plupart des grandes villes telles que Rabat, Casablanca, Marrakech et T anger sont toutes pourvues de nombreux musées. De même, les écoles d'art et festivals en constante augmentation assurent au pays une certaine vitalité sur le plan culturel. De quoi rivaliser avec le reste du monde, à l'heure où la culture est affaire d'état. L'Occident, un eldorado fantasmé Lorsque les peintres orientalistes peignaient le monde arabo-musulman au XIXème siècle, ils laissaient s'échapper une certaine fascination pour cet univers du « sacré ». Parfois même une certaine fascination pour ces femmes habituellement voilées qu'ils prenaient plaisir à dénuder au travers de leurs œuvres. Ces artistes, français et belges pour la plupart, répondant au nom de Gérôme, Delacroix ou Dinet, ont ainsi construit un pont entre Orient et Occident. Une passerelle qui, nourrie de clichés propres à la vision occidentale de l'Orient, fut le vecteur d'une vision idéalisée d'un monde pourtant voisin. Pour preuve, le mouvement orientaliste disparaît au milieu du XXème siècle, à l'apogée du rapprochement démographique entre le Maghreb et l'Europe, lorsque les Occidentaux découvrent véritablement qui sont leurs homologues d'outremer. Un sentiment comparable se prononce lors de la visite de ce Maroc contemporain qui nous est proposé à l'Institut du Monde Arabe. Ces artistes n'essaient-ils pas involontairement de se conformer à une vision occidentale de l'art ? Pour exemple, les principales musiques développées par la Nayda sont le rap, le rock et le jazz. Des registres typiquement occidentaux qui témoignent d'un certain conformisme culturel. T ous ces genres musicaux ont une histoire qui leur est propre. Pourquoi le Maroc ne serait-il pas le fief d'un nouveau genre musical à part entière ? S'il est une évidence pour les habitants d'une terre de migration, l'impact que peuvent avoir les brassages de population sur une société fonctionne dans les deux sens. Là où l'homme passe, il laisse inévitablement des traces. Aujourd'hui le Maroc est un fief touristique. Son objectif est de plaire, et principalement aux Occidentaux. Chaque année pas moins de dix millions de voyageurs y posent leurs bagages, dont une majorité de Français. De nombreuses stations balnéaires y ont été aménagées, quitte à modifier les centres historiques de certaines villes. C'est l'un des objectifs du Plan Azur initié par le gouvernement qui vise à construire un équivalent de la Côte d'Azur française le long du littoral marocain. Le touriste, avide de nouveaux paysages, serait-il un colon comme les autres ? « Dans certaines villes ils ont supprimé à l'appel à la prière pour ne pas choquer les touristes » racontent les gardiens de l'exposition, tous d'origine marocaine. Sale temps pour les muezzins. Arnaud Sommie uploads/Societe et culture/ le-maroc-contemporain-a-l-x27-institut-du-monde-arabe.pdf
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- Publié le Sep 12, 2022
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