REGARDS CROISÉS D'UN ANTHROPOLOGUE ET D'UN SOCIOLOGUE SUR PAR-DELÀ NATURE ET CU

REGARDS CROISÉS D'UN ANTHROPOLOGUE ET D'UN SOCIOLOGUE SUR PAR-DELÀ NATURE ET CULTURE DE PHILIPPE DESCOLA Richard Pottier Éditions Technip & Ophrys | « Revue française de sociologie » 2007/4 Vol. 48 | pages 781 à 793 ISSN 0035-2969 ISBN 9782708011762 DOI 10.3917/rfs.484.0781 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-francaise-de-sociologie-1-2007-4-page-781.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Éditions Technip & Ophrys. © Éditions Technip & Ophrys. Tous droits réservés pour tous pays. 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Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) © Éditions Technip & Ophrys | Téléchargé le 16/07/2022 sur www.cairn.info (IP: 88.170.252.45) © Éditions Technip & Ophrys | Téléchargé le 16/07/2022 sur www.cairn.info (IP: 88.170.252.45) Regards croisés d’un anthropologue et d’un sociologue sur Par-delà nature et culture de Philippe Descola La parution en 2005 du livre de Philippe Descola, Par-delà nature et culture, a marqué un moment fort des sciences sociales. Celui que l’on présente comme l’héritier de Claude Lévi-Strauss traite dans cet ouvrage ambitieux et novateur des relations des humains à leur environnement naturel. Loin d’être universel, le partage nature/culture cher à l’Occident moderne n’y apparaît que comme l’une des cosmologies repérables caractérisant les rapports entre humains et non-humains. Cette « anthropologie de la nature » adresse de nombreuses questions aux sciences sociales et invite même à en repenser les fondements tant ces dernières ont été marquées par cette vision dualiste si singulière à l’échelle de la diversité des sociétés humaines. L’enjeu pour les sciences sociales est de taille. C’est pourquoi la Revue française de sociologie, cherchant à promouvoir un authentique dialogue entre les disci- plines, a demandé à un anthropologue, Richard Pottier, et à un sociologue, François Héran, d’ouvrir le débat en présentant leur point de vue à la lecture de Par-delà nature et culture. NOTE CRITIQUE Dépasser le naturalisme : pour un nouvel humanisme par Richard POTTIER Dans ce gros ouvrage, Philippe Descola (1) s’assigne un objectif des plus ambitieux, puisqu’il se propose de refonder l’anthropologie sur des bases nouvelles. Dès les origines de la discipline, explique-t-il, la définition de son objet a reposé sur une opposition entre nature et culture qui s’enracine elle-même dans une cosmologie particulière, dans une façon spécifique de 781 R. franç. sociol., 48-4, 2007, 781-793 (1) Philippe Descola, Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard (Bibliothèque des sciences humaines), 2005, 623 p. © Éditions Technip & Ophrys | Téléchargé le 16/07/2022 sur www.cairn.info (IP: 88.170.252.45) © Éditions Technip & Ophrys | Téléchargé le 16/07/2022 sur www.cairn.info (IP: 88.170.252.45) concevoir les relations entre humains et non-humains, qu’il appelle le natura- lisme. Or cette cosmologie, poursuit-il, n’est pas universelle. Elle est le produit, dans l’histoire de l’Occident, d’une double opération de « purifica- tion » : le dualisme grec a permis de concevoir l’autonomie de la nature, puis le créationnisme judéo-chrétien a débouché sur la notion de la transcendance de l’Homme, et c’est cette transformation de l’idée de nature qui a rendu ulté- rieurement possible l’avènement de la pensée scientifique. Ailleurs qu’en Occident, en revanche, l’opposition nature vs culture n’a jamais eu cours, et en Occident même d’autres manières de penser ont poursuivi une existence souterraine. Si l’anthropologie doit viser à l’universalité, il y a une question, dès lors, qu’il n’est plus possible d’esquiver : ne faut-il pas s’affranchir de l’opposition nature vs culture, ou encore, dans les termes de l’auteur, l’anthro- pologie de la culture ne doit-elle pas « se doubler d’une anthropologie de la nature » ? (p. 15). Méthode et hypothèses Pour dépasser ce qui fait « l’absolue singularité de la cosmologie moderne » (p. 130), il convient, au préalable, d’en rendre compte, ce qui implique, estime Descola, de la situer « comme un cas particulier au sein d’une grammaire générale des cosmologies » (p. 131), donc de la concevoir comme « l’une des expressions possibles de schèmes plus généraux gouver- nant l’objectivation du monde et d’autrui » (p. 13). On voit que, par choix de méthode, et fidèle en cela au structuralisme de son maître Claude Lévi-Strauss, Descola accorde d’emblée la priorité à une « analyse combinatoire des modes de relation entre les existants » (p. 13), car, argumente-t-il, « contre l’historicisme, et sa foi naïve dans l’explication par les causes antécédentes, il faut rappeler avec force que seule la connaissance de la structure d’un phénomène permet de s’interroger de façon pertinente sur ses origines » (pp. 13-14). L’hypothèse générale sur laquelle repose la suite de son analyse, c’est qu’il existe « un petit nombre de schèmes pratiques intériorisés, synthétisant les propriétés objectives de toute relation possible avec les humains et les non- humains » (p. 139). En ayant soin de se démarquer sur ce point des spécula- tions de Lévi-Strauss relatives à l’existence d’un « inconscient structural », Descola précise que, dans son esprit, « tous les schèmes dont l’humanité dispose pour spécifier ses rapports à elle-même et au monde existent sous la forme de prédispositions, pour partie innées, pour partie issues des propriétés mêmes de la vie commune, c’est-à-dire des différentes manières pratiques d’assurer l’intégration du moi et d’autrui dans un environnement donné » (p. 162). Parmi les schèmes pratiques ainsi définis, il distingue des « schèmes spécialisés », qui correspondent peu ou prou à la notion d’habitus telle que Pierre Bourdieu l’a conceptualisée, et des « schèmes intégrateurs » que notre 782 Revue française de sociologie © Éditions Technip & Ophrys | Téléchargé le 16/07/2022 sur www.cairn.info (IP: 88.170.252.45) © Éditions Technip & Ophrys | Téléchargé le 16/07/2022 sur www.cairn.info (IP: 88.170.252.45) auteur définit « comme des structures cognitives génératrices d’inférences, dotées d’un haut degré d’abstraction, distribués avec régularité au sein de collectivités à la dimension variable, et qui assurent la compatibilité entre des familles de schèmes spécialisés tout en permettant d’en engendrer de nouveaux par induction » (p. 153). Ces « schèmes intégrateurs des pratiques » peuvent eux-mêmes, explique-t-il, « être ramenés à deux modalités fonda- mentales de structuration de l’expérience individuelle », qui sont l’identifica- tion et la relation (p. 163). Or, leur compréhension est, affirme-t-il, « cruciale pour l’anthropologie, puisque tout laisse à penser que c’est leur fonction médiatrice qui, pour une large part, contribue à donner à chacun de nous le sentiment d’avoir en commun avec d’autres individus une même culture et une même cosmologie » (p. 153). C’est donc à une analyse minutieuse, appuyée sur une documentation ethnographique abondante, de ces deux types de schèmes que l’essentiel de l’ouvrage va être consacré. Les modes d’identification Descola définit l’identification comme « la capacité à appréhender et à répartir certaines des continuités et discontinuités qui sont offertes à notre emprise par l’observation et la pratique de notre environnement » (p. 168). Du fait que « tout humain se perçoit comme une unité mixte d’intériorité et de physicalité » (p. 169), ces continuités et discontinuités se situent sur deux plans : celui des « caractéristiques internes à l’être » et celui de sa « forme extérieure » (ibid.). En combinant ces deux critères (ressemblance vs diffé- rence et intériorité vs physicalité), Descola distingue quatre cas de figure possibles, qui correspondent à « quatre grands types d’ontologie, c’est-à-dire de systèmes de propriétés des existants » (p. 176), qu’il désigne à l’aide de concepts qui, excepté le dernier, sont très classiques en anthropologie, mais auxquels il donne un sens nouveau : l’animisme, le totémisme, le naturalisme et l’analogisme. – L’animisme postule que tous les existants (les humains et les animaux, mais aussi les esprits et parfois les plantes) possèdent la même intériorité, mais se particularisent par des physicalités différentes. Le choix du terme « animisme » (du latin anima) se justifie par l’étymologie, car l’âme est « l’hypostase concrète et quasi universelle » de la subjectivité (p. 389). Dans l’ontologie animique, l’intériorité attribuée aux non-humains est évidemment pensée sur le modèle de l’intériorité humaine ; l’animisme est donc anthropo- génique. De même, les relations entre humains et non-humains sont pensées sur le modèle des relations entre humains. En conséquence, les espèces animales sont assimilées à des peuples, à des « espèces sociales » (p. 342) qui possèdent leur propre langage et les mêmes caractéristiques que les peuples humains : « des chefs, des chamanes, des rituels, des habitations, des techni- ques », etc., (ibid.) On rencontre en outre fréquemment l’idée que les animaux (et aussi les esprits) se voient eux-mêmes comme des humains (pp. 196-197), ou sont susceptibles, dans certaines circonstances, d’apparaître 783 Richard Pottier © Éditions Technip & Ophrys | Téléchargé le 16/07/2022 sur www.cairn.info (IP: 88.170.252.45) © Éditions Technip & Ophrys | Téléchargé le 16/07/2022 sur www.cairn.info (IP: 88.170.252.45) aux uploads/Societe et culture/ par-dela-nature-et-culture.pdf

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