Vers l’ethnolinguistique Jeanine Fribourg To cite this version: Jeanine Fribour

Vers l’ethnolinguistique Jeanine Fribourg To cite this version: Jeanine Fribourg. Vers l’ethnolinguistique. La Linguistique, PUF, 1978, Vol. 14-. fasc. 2, pp.103-116. <hal-00468109> HAL Id: hal-00468109 https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00468109 Submitted on 30 Mar 2010 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destin´ ee au d´ epˆ ot et ` a la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publi´ es ou non, ´ emanant des ´ etablissements d’enseignement et de recherche fran¸ cais ou ´ etrangers, des laboratoires publics ou priv´ es. MUSlllNGUe NOTES ET DISCUSSIONS Vers l'ethnolinguistique Jeanine FRIBOURG INTRODUCTION On parle, depuis une trentaine d'années, de linguistique anthropologique, de sociolinguistique, d'ethnolinguistique, etc. II n'est pas dans notre propos de délimiter le champ de ce que recouvre chaque terme - tâche qui serait sans doute très ardue - mais nous nous proposons simplement d'esquisser un aperçu historique de l'ethnolinguistique, cette science qui prend forme de nos jours, et dont l'objet est d'examiner les rapports existants entre la langue d'une part, et la société et la culture d'autre part. Jusqu'à présent, la langue était étudiée comme le voulait Saussure,« en elle-même et pour elle-même », même si les linguistes n'ignoraient dans l'étude de la communication linguistique ni les éléments paralinguistiques (intonation, gestes, etc.) ni le contexte socioculturel. De kur côté, sociologues et ethnologues, tout en reconnaissant l'importance du fait social qu'est la langue d'une société, ne replaçaient pas ce fait social dans ses rapports avec l'ensemble des faits sociaux, considérant la langue comme du domaine exclusif des linguistes. Actuellement, une nouvelle branche des sciences de l'Homme, l'ethnolin- guistique, prend naissance. Mais cette science n'a pas, pour reprendre une expression de Georges Mounin, « éclaté comme un coup de tonnerre dans un ciel serein »1. Depuis plus d'un siècle, ethnologues, sociologues et linguistes ont vu l'importance des rapports qui existent entre langue et culture. A travers toutes les idées qu'ils ont émises, on s'est rendu compte que: r O La langue était un lieu privilégié pour saisir une grande partie des aspects socioculturels, qu'elle était en quelque sorte, comme le dira Sapir,« le guidè symbolique de la culture ». Puisque le langage est un système de signes qui renvoient à des concepts, par le langage on peut saisir ces concepts ct l'univers qu'ils expriment et qui est propre à chaque groupe (je dis volontairement « groupe» et non « société» car je pense qu'il exis te des sous-cul tures corres- pondant aux différents groupes qui constituent une société). 1. Georges MOUNIN, Clefs pour la linguistique, Paris, Seghers, 1976, p. 25, à propos de la linguistique. La Linguistiqu(, voL ! 4-. fase. '2/1978 hal-00468109 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00468109/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00468109_v1 '1 1 • . i Jeanine Fribourg 20 L'étude de l'acte de communication devait souvent, pour plus de rigueur scientifique, être entreprise « en situation» et non « hors situation ». Ce serait «l'étude du langage dans le contexte de l'anthropologie», comme le dit Hymes2, celle de l'acte de communication clans ses relations avec les faits sociaux. Il y aurait ainsi, me semble-t-i l, en ethnolinguistique deux attitudes selon que l'on cherche à saisir la culture ;'l travers le langage, ou que l'on veut étudier le message linguistique dans son contexte culturel. Ces deux attitudes peuvent s'expliquer par les idées émises par quelques ethnologues, sociologues et lin- guistes, à partir de la fin du XIXe si~cle et jusque il y a une trentaine d'années, idées que je vais essayer de relever. Cet aperçu historique (qui bien évidemment ne prétend pas être exhaustif) devrait nous permettre de comprendre pourquoi actuellement aussi bien des ethnologues que des linguistes se réclament de l'ethnolinguistique pour peu qu'ils adoptent l'une ou l'autre des deux attitudes, et pourquoi l'ethnolinguistique a tant de difficultés à se définir. 1 - LA LANGUE MOYEN D'APPROCHE A LA FOIS THÉORIQUE ET PRATIQUE POUR SAISIR L'ORGANISATION SOCIO-CULTURELLE D'UNE SOCIÉTÉ Dès la fin du XIXe siècle3, ethnologues, sociologues et linguistes tant français qu'anglo-saxons4 ont senti d'une part que la culture d'un peuple se reflétait dans sa langue, et d'autre part que tout ethnologue devait, pour mieux com- prendre la culture d'une société, connaître la langue du groupe étudié. D'où deux points de vue: l'un, théorique, qui se rapporte à des idées générales sur le langage, l'autre qui a trait à de~ considérations pratiques. A) Point de vue théorique La langue a été vue soit comme conception du monde (ce qu'on appellera plus tard « vision du monde»), soi t comme révélatrice du mode de vie d'une société et de ses valeurs culturelles, soit comme révélatrice de la structure sociale et des changements survenus au sein de la société, soit enfin comme une structure linguistique en corrélation avec les structures de la société. 1 0 La langue conception du monde, organisatrice de l'univers de chaque société Dans l'école française, le premier à avoir souligné l'importance du langage entre les faits culturels est Durkheim. Dans sa revue L'Année sociologique (qu'il fonda en I8g8), et dans son œuvre principale en matière d'ethnologie, Lesformes élémentaires de la vie religieuse 5 , Durkheim expose ses idées sur les rapports entre la langue et la culture du peuple qui la parle. On y trouve déjà la fameuse idée reformulée plus tard et connue comme « hypothèse Sapir-Whorf», que le voca- bulaire d'une langue reflète la vie sociale et culturelle d'une société.« Le système 2. Hvr-Œs, Language in Culture and Society, New York, Ed. Harper, 1966, General Introduction, p. XXIII. 3. Il faudrait citer pour mémoire HUMIJOLDT (1767-1835) qui est considéré à juste titre comme le pionnier de l'ethnolinguistique. 4. Nous laissons volontairement de côté J'école allemande avec Trier, etc., dont, faute de connaître l'allemand, nous n'avons pas une approche directe. 5. DURKHEIM, Lesfonnesélémenlaires de la vie religieuse, Paris, P.U.F., 1960, p. GI8 et sq. hal-00468109 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00468109/fr/ oai:hal.archives-ouvertes.fr:hal-00468109_v1 Vers ['ethnolinguistique 1°5 de concepts avec lequel nous pensons dans la vie courante est celui qu'exprime le vocabulaire de notre langue» (p. 62 1). Et plus loin« ces concepts sont des représentations collectives qui correspondent à la manière dont cet être spécial qu'est la société pense les choses de son expérience propre ». Autrement dit, « chaque civilisation a son système organisé de concepts qui la caractérise» (p. 622). Même si certains concepts n'ont pas le même sens selon les individus qui les emploient, il n'en reste pas moins qu'il existe,« au-dessus des représen- tations privées; un monde de notions types d'après lesquelles un individu règle ses idées. Ces idées, nous les tenons du langage, c'est-à-dire de l'expérience commune ». Et Durkheim insiste sur le fait que« le monde» qu'exprime le lan- gage « est celui que se représente la société ». Bien que désirant me limiter à montrer. que tant sociologues et ethnologues que linguistes ont vu que la langue était un lieu privilégié poUr saisir la culture, il me paraît utile de faire quelques réserves sur ces idées de Durkheim (et de Mauss), reprises dans l'hypothèse Sapir-Whorf, car il semblerait que l'on déduise de la langue la société et sa culture. Or une société peut changer et la langue rester pratiquement intacté, une même langue peut être utilisée par deux sociétés culturellement diffé- rentes 7 , etc. D'autre part, c'est oublier que mots et concepts n'ont pas une signi- fication unique, mais plusieurs significations selon les contextes situationnels, selon les effets de sens voulus par un individu, selon les facteurs socio-écono- miques ou socioculturels qui modifient la langur: et entretiennent des rapports dialectiques avec elle. Les partisans de la langue« miroir de la société» semblent avoir laissé de côté le gros problème du conditionnement du linguistique par le social (ex. ; la langue de l'Ancien Régime qui était·considérée comme la plus correcte, donc imitée, a cessé de l'être après la Révolution et a cédé sa place à la langue d'une autre classe sociale considérée comme vulgaire). Ces réserves faites, les études faites par Durkheim en collaboration avec Mauss sur des sociétés dites primitives ont montré :' comment la conception du monde (ce que plus tard onappellera« vision du monde») se traduit dans l'orga- nisation sociale' et du même coup dans la langue (par ex. des modalités de la langue commeles articles diffèrent selon le clan auquel appartiennent les indi- vidus ou les objets) ; comment les catégories de la pensée comme le temps, l'espace, la notion de personne, etc., ne sont pas innées, mais socialisées et diffèrent selon les cultures (par ex., en ce qui concerne la notion de personne, Mauss8 donne:.des exemples allant de l'idée multiple du« moi »comme chez les Indiens kwakiutl du nord-ouest de l'Amérique à la non-personne comme chez les esclaves des Romains; en ce qui concerne le temps, il peut être conçu comme hétérogène et qualitatif et chez certains peuples la durée n'a rien du continuum homogène que' nous nous représentons), etc. A la même' époque que Mauss, Ferdinand de Saussure, uploads/Societe et culture/ vers-l-ethnolinguistique-pdf.pdf

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