ENTFREMDUNG / ALIÉNATION ENTFREMDUNG / ALIÉNATION dans la base lexicographique

ENTFREMDUNG / ALIÉNATION ENTFREMDUNG / ALIÉNATION dans la base lexicographique * ÉTYMOLOGIE / philology * ÉTUDE SÉMANTIQUE / definitions * COMMENTAIRE / Analysis * BIBLIOGRAPHIE / References CORRÉLATS / Links ETYMOLOGIE / etymology Entfremdung, subst. fém. allemand composé de ent-, préfixe particule inséparable de composition verbale marquant, ici, le passage d'un état à un autre +fremd, «étranger» + ung, terminaison nominale appliquée à un verbe pour indiquer une action ou la réalisation d'un phénomène. Entfremdung signifie donc littéralement «le fait ou le processus de devenir étranger», «le fait de rendre étranger», d'où «aliénation, désaffection» (cf. étrangisation «rendre étrange» qui sert à traduire le terme des formalistes russes ostranenie ou défamiliarisation). L'Entfremdung est une notion qui appartient à la tradition philosophique allemande; elle recouvre les principales acceptions du termes aliénation, subst. fém. en français, et alienation, subst. anglais (voir l'article ALIÉNATION). JMG ETUDE SEMANTIQUE / Definitions 1. Issu du droit économique, la notion d'aliénation (latin alienatio) signifie à l'origine «dessaisissement d'un bien par donation ou par vente». Dans le Contrat social, Jean-Jacques Rousseau l'utilise déjà dans un sens anthropologique: «Il est certain que tout ce que chacun aliène par le pacte social de ses facultés naturelles, de ses biens, de sa liberté, c'est seulement la partie de tout cela dont la possession importe à la société» (1ère version, chapitre 1, vi, Œuvres complètes, III, Paris 1964, p. 306). De la même façon Hegel utilise les termes Entäußerung et Entfremdung pour désigner le premier degré gnoséologique (nature et genèse) de la réification de l'idée dans la nature et dans l'histoire; seul le travail de l'esprit permettrait de le surmonter (Phänomenologie des Geistes). Ludwig Feuerbach reconnaît aussi dans Wesen des Christentums (1841) une étrangeté de l'esprit humain par rapport à lui-même qui se manifeste par la «construction» de Dieu. V. l'article ÉTRANGE; ÉTRANGETÉ. 2. Chez les marxistes, l'aliénation (Entfremdung) est la transformation des rapports hu- mains en rapports de choses (travail, marchandises et argent) d'où le terme de réification (ou chosification). Dans la pensée de Karl Marx, la position philosophique antérieure ne se trouve pas annulée par le nouveau concept: elle lui confère au contraire une base historique concrète. Le terme d'aliénation qui apparaît dans le Capital a d'abord été peu utilisé; il ne joue aucun rôle chez Lénine ni chez Gramsci. Mais sa découverte, dans les Manuscrits économiques et philosophiques de 1844 publiés en 1932 a suscité une longue discussion qui le fit entrer dans le répertoire de la critique culturelle et littéraire avec un sens identique à celui de réification ou de fétichisme en faisant le sujet principal de la littérature; celle-ci apparaît alors comme un moyen de lutte contre l'aliénation par sa capacité à la rendre sensible. Albert Camus qui n'utilise ni le terme, ni les termes voisins traite cependant du problème de l'aliénation dans ses œuvres théoriques et littéraires. Dans une perspective pessimiste, il la désigne, comme Sartre dans sa phase existentialiste, sous le vocable d'absurde. Au nom du Parti Communiste Français, Henri Lefèbvre, traducteur des Manuscrits économiques et philosophiques s'attaqua à la conception de l'aliénation développée chez Jean-Paul Sartre (L'être et le néant, et Critique de la raison dialectique); après son exclusion du PCF, il modifia cependant ses positions, se déclarant dépositaire de la dite «interprétation humaniste de Marx». Contrairement à l'école de Louis Althusser, il place la notion d'aliénation au centre des sciences sociales. Les idées d'aliénation et de désaliénation sont capitales dans les théories critiques relatives aux littératures de combat, littératures politiques, littératures révolutionnaires, littératures d'identité. 4. aliénation politique, linguistique, culturelle: 5. Le terme aliénation sert aussi en français à traduire le terme allemand de Bertolt Brecht Verfremdungeffekt, aussi rendu par effet d'étrangeté, distanciation. V. les articles ALIÉNATION, DISTANCIATION, ÉTRANGETÉ, ÉTRANGISATION. SK, JMG COMMENTAIRE / Analysis En 1922, Georg Lukàcs assimile l'aliénation à la Vergegenständlichung ou réification, encore sous l'influence de Hegel dans Geschichte und Klassenbewußtsein selon un idéal littéraire qui pourrait sembler abstrait et utopique. Dans le chapitre «Die Verdinglichung und das Bewußtsein des Proletariats», la conscience du prolétariat apparaît comme le sujet-objet unique, le levier philosophique qui doit surmonter historiquement l'aliénation. Dans la perspective de Karl Marx (qui avait pourtant nié le caractère "fétichiste" de la production de marchandises sous le régime "féodal"), Lukàcs rejoint plus tard Hegel dans son Esthétique où il généralise la notion du fétichisme: "daß - aus gesellschaftlich-geschichtlich jeweils verschiedenen Gründen - in den allgemeinen Vorstellungen selbstständig gewordene Gegenständlichkeiten gesetzt werden, die weder an sich, noch in bezug auf die Menschen wirklich solche sind" (Bd I, 700). Le fétichisme est, chez Lukàcs, le risque permanent de toute production de conscience contre lequel l'art peut et doit lutter au moyen de la mimèsis. La catharsis opposée à la réification rend possible la fonction humaine et universelle de l'art: «die Rolle eines Regulators, eines Arztes gewisser Krankheiten des Fortschritts...» (Bd I, 814). Le fondement théorique de l'École de Francfort part de la théorie de la réification d'après les premiers écrits de Lukàcs. Pour Adorno également, la fonction principale de l'art est de lutter contre l'aliénation universelle. Le sujet de ce processus n'est pas l'expression artistique faite au nom du prolétariat, mais l'expression de l'art lui-même. Seul par sa révolte hérétique, contre tout ce qui existe, contre l'immobilité, l'art acquiert une fonction humaniste. Il en résulte comme chez Lukàcs, une revendication de la maîtrise de la forme, du modelage total, indépendante du quotidien, bref une revendication de l'autonomie de l'art. Seule la révolte importe. La dialectique négative est l'unique conscience conséquente de la non-identité. Chaque approche de tout ce qui existe déjà au quotidien mène à une situation où l'art n'arrive pas à lutter contre l'aliénation, mais en devient au contraire la victime. Ainsi Lukàcs et Adorno refusent des genres littéraires comme le montage et le reportage, puisqu'ils ne reflètent que ce qui existe. Tous deux manifestent le même rejet de toute formes de culture de masse. Chez Adorno, ce refus se nourrit de la conviction que l'émancipation, c'est-à-dire la volonté de surmonter l'aliénation, n'est pas possible par la répétition des formes déjà utilisées, c'est-à-dire par un style préfiguré par d'autres artistes. Dans leur travail célèbre sur l'industrie culturelle, Horkheimer et Adorno disent que la véritable œuvre d'art doit s'exposer au risque de l'échec. C'est l'œuvre d'art médiocre qui cherche toujours l'imitation des œuvres précédentes. L'industrie culturelle produit l'imitation absolue. Elle n'est que style et son secret est l'obéissance à la hiérarchie sociale (p. 117). On note une différence entre Lukàcs et Adorno à propos du concept de mimèsis. Tandis que pour Lukàcs, comme projection d'une contre-image, la mimèsis apparaît comme la condition de la levée de l'aliénation, Adorno en revanche n'accepte qu'une «impulsion mimétique»: «Kunst ist so wenig Abbild wie Erkenntnis eines Gegenständlichen... Vielmehr greift Kunst gestisch nach der Realität, um in der Berührung mit ihr zurückzuzucken.» (Ästhetik, p. 425). En conséquence Lukàcs s'oppose aussi aux formes de la modernité, tandis que l'école de Francfort considère l'expérimentation sur des formes comme la condition nécessaire à l'œuvre d'art qui échappe de la sphère de l'aliénation. L'École de Francfort reprend le concept d'aliénation de Marx fondé sur les catégories économiques pour son analyse du rapport entre l'art et le marché de l'art dans les temps modernes. La commercialisation de l'art a pris dans les temps modernes des proportions gigantesques. Par son adaptation à ce qui existe, l'art perd toute attitude non-conformiste et retombe lui-même dans le cercle vicieux de l'aliénation. Au fur et à mesure que l'art devient une marchandise pour les masses, il constitue une entreprise guidée par le profit, ne visant à rien d'autre qu'à satisfaire les besoins existants. Adorno appelle ce processus Entkunstung, («Prismen», Ges. Schriften, Bd. 10/1). Herbert Marcuse écrit dans le même sens: «C'est une bonne chose que la plupart des gens puissent disposer des arts simplement en tournant le bouton d'un appareil ou en pénétrant dans un drugstore. Mais à travers cette diffusion, les arts deviennent les rouages d'une machine culturelle qui remodèle leur contenu. La distanciation artistique (en allemand: künstlerische Entfremdung s'estompe en même temps que les autres modes de négation devant le processus irréversible de la rationalité technologique.» (L'Homme unidimensionel, p. 98). Horkheimer et Adorno disent que les besoins de millions d'hommes nécessitent des techniques de reproduction standardisées, mais pas que le pouvoir technique se confond avec le pouvoir social. La rationalité technique implique aujourd'hui la rationalité de la «domination» d'où le caractère coercitif de la société aliénée (Kulturindustrie, p. 109). L'œuvre d'art qui s'adapte complètement aux «besoins» des masses, les trompe en refusant la nouveauté (p. 142). Inspiré par l'Ecole de Francfort et par la Critique de l'économie politique de Marx, l'Allemand de l'Ouest Wolfgang Fritz Haug a proposé en 1971 une méthode de la Critique de l'esthétique de la marchandise. Il part du fait que la production n'a pas pour but de fabriquer des valeurs utilitaires, mais de provoquer l'achat (p. 16). Avec l'augmentation de la production de masse, l'aspect esthétique de la marchandise est dissocié, c'est-à-dire aliénée, de la valeur utilitaire qui gagne en l'importance. Le résultat en est le fétichisme: «Was nur uploads/Societe et culture/ alienation-entfremdung-f.pdf

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