AVANT-PROPOS Les grands espaces du nord du continent américain suscitent des im

AVANT-PROPOS Les grands espaces du nord du continent américain suscitent des images qui sont de plus en plus familières à chacun d’entre nous. Mais, comme il arrive bien souvent, les attentes du public ne rejoignent pas les exigences du chercheur. Nous en avons une nouvelle fois l’illustration dans les articles de Véronique Antomarchi et de Yannick Meunier. Les tours-opérateurs vendent un « produit » qui repose largement sur les stéréotypes occidentaux, éloignés de la vision qu’ont les Inuit de leur propre territoire. Mais, à l’opposé, le vécu de terrain de l’anthropologue n’est guère directement accessible au visiteur de musée, si on ne lui propose qu’une expérience sensorielle dépourvue, en l’occurrence, de tout repère. De rêve de Grand Nord il en est aussi question dans la traque de l’eccéité existentialiste que mène l’un des personnages du roman de Louis Hamelin qu’analyse Sylvie Vignes. Là aussi, l’être au monde est une expérience personnelle, largement incommunicable. Aspirations et revendications peuvent cependant être mis en scène et c’est le mode de la représentation théâtrale qu’a choisi Tomson Highway pour exprimer la réalité du peuple cri, comme nous le montre Cécile Fouache. Ce rôle de porte-parole d’une communauté est également assumé par les écrivains migrants et Carmen Mata Barreiro illustre son propos par une comparaison entre le regard qu’ils portent, d’un côté sur les quartiers et espaces périurbains de Montréal, de l’autre sur les cités de banlieue en France. Si l’espace canadien qui s’étend vers le nord confine à l’infini et se dissout dans les glaces de la banquise, il est nettement limité au sud par le grand voisin étatsunien, face auquel l’identité canadienne doit sans cesse être réaffirmée. Le domaine de l’art, avec toutes ses implications financières, et en particulier le cinéma, n’échappe pas à cette contrainte. Nathalie Dupont nous guide dans cette étrange dialectique qui permet au Canada, du fait de sa proximité, de tirer de l’absorption par le géant hollywoodien qui menace son industrie cinématographique quelques avantages, par exemple à travers l’organisation de festivals reconnus ou l’accueil de productions délocalisées. Soulignons, à ce propos, la différence d’attitude des acteurs anglophones et des artistes francophones, que nous retrouvons dans l’article de Pierre-Alexandre Beylier qui expose la singularité de Céline Dion par rapport aux chanteuses populaires canadiennes anglophones. S’il est malaisé de distinguer ce que peut être une identité musicale canadienne – ou autre, sans doute –, la spécificité linguistique semble jouer curieusement dans ce cas, d’un point de vue externe, un rôle privilégié de marqueur de l’identité canadienne. La langue anglaise et la proximité avec les États-Unis ne sont probablement pas non plus étrangères au peu d’attrait pour le Canada manifesté par les chercheurs français s’intéressant à la common law. Lorsque l’obstacle linguistique est surmonté, l’intérêt se porte davantage sur les États-Unis, selon Pierre Langeron qui trace le bilan des publications ayant trait au Canada dans le domaine du droit public. Pour clore cette brève présentation, relevons, avec Raphaël Eppreh- Butet, le rôle de ce grand pays démocratique qui « ne s’est jamais considéré comme le centre du monde » (LANGERON, p. 119) dans le processus de décolonisation du Sud-Ouest africain. L’attitude du Canada vis-à-vis de l’Afrique du Sud fut, en effet, exemplaire, ce qui montre, s’il en est besoin, son originalité face à certaines positions étatsuniennes. Patrice BRASSEUR SOMMAIRE Véronique ANTOMARCHI, L’imaginaire du Grand Nord, à la source du tourisme polaire ...................................................................................................... 7 Yannick MEUNIER, Le monde polaire mis en scène au musée du quai Branly ... 19 Sylvie VIGNES, Explorations et inventions de mondes dans Betsi Larousse de Louis Hamelin ................................................................................................. 29 Cécile FOUACHE, First Nations Issues in Tomson Highway’s Drama ................ 43 Carmen MATA BARREIRO, L’imaginaire urbain des écrivains migrants au Québec et en France : leur apport à la lecture de la ville ..................................... 57 Nathalie DUPONT, Les relations cinématographiques Canada-USA : Une continuité dont le Canada peut maintenant tirer profit ................................. 75 Pierre-Alexandre BEYLIER, L’identité canadienne dans la chanson populaire des années 1990 .................................................................................................... 95 Pierre LANGERON, La recherche sur le Canada en droit public ........................ 111 Raphaël EPPREH-BUTET, L’attitude des États-Unis d’Amérique et du Canada face à la décolonisation de la Namibie ............................................................... 121 COMPTES RENDUS ........................................................................................... 133 ÉTUDES CANADIENNES/CANADIAN STUDIES EST PUBLIEE GRACE A L’AIDE DU MINISTERE DES AFFAIRES ETRANGERES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL DU CANADA (MAECI) Études canadiennes/Canadian Studies, n° 67, 2009 L’IMAGINAIRE DU GRAND NORD, A LA SOURCE DU TOURISME POLAIRE Véronique ANTOMARCHI CERLOM-INALCO Le produit touristique polaire alimente des rêves et des clichés qui contredisent la vision que les Inuit ont de leur territoire. Cet article a pour but d’analyser les fondements de cet imaginaire et de montrer de quelle manière les différentes représentations occidentales ne correspondent pas à la réalité vécue par les Inuit. Polar tourism offers dreams and stereotypes that contradict the Inuit vision of their territory. This paper analyzes the roots of these representations and explains in which sense such occidental views don’t reflect the reality lived by the Inuit. Le phénomène touristique, bien souvent et facilement décrié, oppose généralement le touriste au voyageur. Jean-Didier Urbain (1991) montre ainsi que le touriste, regardé avec mépris, serait « l’idiot du voyage », contrairement au voyageur considéré et respecté. Selon l’équipe de géographes « Mobilités, Itinéraires, Territoires » (MIT 2002) : Le tourisme est un système d’acteurs, de pratiques et de lieux qui a pour objectif de permettre aux individus de se déplacer pour leur récréation hors de leur lieu de vie habituel, en allant habiter temporairement dans d’autres lieux. Ce déplacement spatio-temporel recouvre une géographie du désir dans laquelle le regard du peintre puis du photographe ont joué un rôle de premier plan. L’espace touristique se définit en premier lieu par l’image. En effet, les images sont le support essentiel de la promotion des produits touristiques, mais pas seulement. L’importance des transports et des récits de voyage contribue également au renouvellement des pratiques touristiques. Le tourisme apparaît pendant la révolution industrielle et l’essor de l’urbanisation. Il peut être associé à un courant artistique, le romantisme, qui redonne une place importante aux émotions et à la contemplation de la nature. C’est la ville qui devient odieuse, que l’on cherche à fuir alors que, dans le même temps, montagnes et mers, qui auparavant suscitaient l’effroi, deviennent attractives. Par la suite, la conquête des droits sociaux avec la progression régulière des congés payés a permis l’augmentation de la durée du temps libre et les progrès technologiques ont favorisé la massification et la mondialisation du tourisme à partir des années 1950. En ce qui concerne les régions polaires, les premiers Véronique ANTOMARCHI 8 Études canadiennes/Canadian Studies, n° 67, 2009 voyages touristiques débutent dans l’Arctique au cours de la seconde moitié du 19e siècle et cent ans plus tard, en 1958, dans l’Antarctique. Les paysages du Grand Nord ont la particularité d’offrir à la fois des visions de neige et de glace mais aussi des paysages littoraux. Ils apparaissent comme des mondes lointains, parmi les derniers à s’ouvrir à de nouvelles formes d’exploitation touristique. Les brochures jouent un rôle essentiel dans la publicité des produits touristiques. Elles font naître, confirment ou renforcent le désir de voyage par des images qui véhiculent certains stéréotypes et clichés et alimentent le rêve arctique vendu sur catalogue. L’objet de ce texte est de s’interroger sur les fondements de cet imaginaire et sur la façon dont les tour-opérateurs vendent ces destinations. Or, cette imagerie touristique, de manière complexe, va à l’encontre de la perception inuit du territoire arctique même si elle peut parfois être utilisée comme marqueur identitaire. Le Grand Nord, source d’un puissant imaginaire La constitution de l’exotisme se nourrit d’un très grand foisonnement de mots et d’images. Nous pouvons, à titre indicatif, évoquer les récits de voyage et d’exploration, les témoignages ethnographiques, les peintures, les gravures, productions artistiques, photographies et films comme Nanouk l’Eskimo, documentaire culte de Flaherty (1922), reportages, articles, romans, littérature jeunesse, comme Apoutsiak le petit flocon de Paul-Émile Victor, publié en 1946, collections de vignettes de chocolat, de timbres, cours de géographie, guides touristiques… Le Grand Nord apparaît comme le « dernier des ailleurs », l’ultime frontière dans un monde déjà bien balisé. Une triple quête anime le touriste polaire : une quête spirituelle, une quête que je qualifie d’originelle et enfin une quête sociale. Le Grand Nord alimente depuis toujours et notamment depuis l’Hyperborée antique, des visions de paysages vierges, purs, immenses qui mettent en avant la grandeur de l’univers et placent l’homme occidental dans une quête spirituelle. Cette blancheur serait en effet synonyme de pureté : c’est ainsi que le regard occidental a souvent réduit l’Arctique à une seule dimension, la blancheur et notamment celle de la banquise (ANTOMARCHI 2008 : 359). Les représentations de paysages du Nord à la fois magnifiques et terrifiants, marqués par l’isolement, le froid, la menace de mort se fixent dès le 19e siècle avec l’irruption de la notion de « sublime » qui recouvre trois aspects À LA SOURCE DU TOURISME POLAIRE Études canadiennes/Canadian Studies, n° 67, 2009 9 essentiels : l’esthétique, le spirituel et le scientifique dans uploads/Voyage/ avant-propos 2 .pdf

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  • Publié le Nov 13, 2022
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