L’énigme du funiculaire Boileau – Narcejac Cette affaire m’a valu bien des migr

L’énigme du funiculaire Boileau – Narcejac Cette affaire m’a valu bien des migraines. Le crime fut commis dans le funiculaire de Montmartre à huit heures et demie du matin, au début de Mars. Je revois les lieux avec une netteté extraordinaire, sans doute parce qu’il faisait froid et que Paris était plongé dans un brouillard inhabituel. De la minuscule gare inférieure, on ne distinguait que confusément celle du haut, et les rails semblaient flotter dans le vide. J’interrogeai l’unique employé, qui donne les billets et ferme la porte de la cabine. Il l’avait forcément remarquée, puisqu’elle avait attendu pendant quelques minutes. - Il n’y a jamais grand monde jusqu’à dix ou onze heures, m’expliqua – t – il. Surtout pour monter. Quelques personnes qui viennent assister à la messe, au Sacré – cœur ou des touristes matinaux… - Avait – elle l’air agité, ou effrayé ? - Elle paraissait avoir froid. Elle battait un peu la semelle et semblait surtout très pressée de partir. - Et l’homme ? L’employé hésita. - Il est arrivé juste au moment où j’allais fermer la porte. Je n’ai guère eu le temps de regarder. Il portait un long imperméable noir et une casquette, ou peut être un béret. - Vous rappelez – vous les places qu’ils occupaient dans la cabine ? - Elle était assise à une extrémité ; lui est resté debout. - Combien de temps dure le voyage ? - Presque rien. Une minute. Un crime commis en moins d’une minute, voilà qui n’était pas banal. J’empruntai l’escalier, car le funiculaire avait été mis provisoirement hors service. Tout en montant, je me remémorai les premiers éléments de l’enquête qui m’avaient déjà été communiqués. La victime s’appelait Jacqueline Delvrière ; elle avait vingt – trois ans, habitat rue Lonchamp. Le commissaire de police l’avait trouvée à l’endroit même où elle était tombée, c’est à dire au fond de la cabine. Elle avait été étranglée avec son écharpe. Dans sa chute, son sac à main de crocodile de grand prix, s’était ouvert et avait répandu son contenu jusque sous la banquette : un porte – carte, un bâton de rouge, un poudrier, un paquet de Chesterfield, un briquet et un minuscule mouchoir de soie. Pas d’argent, ce qui semblait établir qu’on avait tué Jacqueline Delvrière pour la voler, car cette jeune femme, très élégante - elle portait un tailleur gris sortant de chez un grand couturier – ne se promenait certainement pas dans Paris sans avoir même un billet de mille francs (on comptait en francs légers , à l’époque). Mais ce qui était absolument inattendu, c’était la découverte dans la poche droite du tailleur gris, d’un petit pistolet automatique au chargeur garni. Mieux encore : il y avait une balle dans le canon et le cran d’arrêt était relevé. C’est ce détail qui m’avait immédiatement excité. Puisque Jacqueline Delvrière était armée elle aurait pu se défendre. Mais pourquoi cette jeune femme était – elle armée ? Elle craignait donc d’être attaquée ? Par qui ? Par le voyageur arrivé au dernier moment ? Pourtant, si elle l’avait connu, n’aurait – elle pas crié, essayé de sortir alerter l’employé ? Je chassai résolument ces questions importunes en arrivant au dernier palier. Le temps était là – haut, un peu plus clair. On devinait la masse blanche du Sacré – Cœur et il y avait du bleu, par échappées. L’employé était beaucoup plus excité que son collègue d’en bas et j’eus du mal à l’apaiser. - Voyons ! Voyons ! Est – ce que vous aperceviez la cabine montante ? - Non. Elle est brusquement sortie du brouillard et s’est arrêtée presque aussitôt. Les vitres étaient couvertes de buée et de gouttes d’eau. on ne voyait rien à l’intérieur. J’ai ouvert et un bonhomme est sorti, auquel je n’ai, bien entendu, prêté aucune attention. - Il était vêtu d’un imperméable noir, paraît – il ? - Peut – être !…Vous savez, il passe tant de monde, ici, dans une journée !…J’ai cru qu’il était seul. J’ai jeté un coup d’œil dans la cabine ; c’est le règlement. Vous n’imaginez pas tous les objets oubliés que l’on récolte. Une fois, on a même trouvé un chimpanzé ! …Bref, j’ai vu le corps. - L’homme avait eu le temps de disparaître ? - Rendez – vous compte. En deux enjambées, on est dehors. J’ai donc vu le corps et, tout de suite, j’ai compris qu’il y avait du vilain…Si cette femme s’était simplement trouvée mal, l’homme nous aurait avertis non ? Il n’aurait pas filé. A tout hasard, j’ai demandé aux voyageurs qui attendaient sur le quai, pour descendre, s’il n’y avait pas parmi eux un médecin. Ils étaient sept : trois séminaristes un soldat, une dame et deux messieurs. Justement, l’un des deux a levé la main. Il a dit : « Je ne suis pas médecin, mais je pourrai peut-être quand même donner les premiers soins. » Alors, je l’ai fait entrer et on a regardé. « J’ai bien peur qu’il ne soit trop tard », m’a encore dit le monsieur. Comme les autres se pressaient à la porte, je les ai priés de se reculer. Il a fallu se gendarmer ; c’est formidable, ils voulaient tous voir. Un des séminaristes criait : « S’il y a quelqu’un en danger de mort, il a le droit d’avoir un prêtre ! » J’ai dû monter la garde. D’ailleurs, la malheureuse était bien morte. Alors, j’ai appelé Police – secours. Je posai encore quelques questions, par acquit de conscience ; quand je redescendis, je ne savais rien de plus que ce qui figurait déjà dans le premier rapport. Je l’avais dans ma poche, j’y jetai un coup d’œil. Jacquline Delvrière était la fille d’un bijoutier du Faubourg Saint – Honoré. Son mari, directeur des services commerciaux d’une grande firme automobile, était actuellement en Allemagne, où on essayait de la joindre. De ce côté, il n’y avait qu’à attendre. Je me rendis rue de Lonchamp, au domicile des Delvrière. La bonne était d’origine espagnole et me comprit assez mal. Elle réussit, cependant, à me faire entendre que sa maîtresse sortait beaucoup, qu’il y avait toujours des invités et que le service était lourd. Oui, le ménage semblait uni…oui, Delvrière était souvent absent… Je n’ai pas coutume d’accorder aux propos des gens de maison une grande importance. Ils m’aident surtout à situer mes personnages. Cette fois, je l’avoue, je n’y voyais pas clair. Pourquoi Jacqueline Delvrière était – elle au pied de la Butte à huit heures et demie du matin ? C’est l’heure où une femme du monde commence à se réveiller. La bonne m’apprit que sa maîtresse, la veille, s’était couchée tard. Il y avait trois amis à diner, des familiers : M et Mme Lainé et un autre monsieur, dont elle ignorait le nom, mais qui venait souvent. M Lainé était docteur. Je notai ces détails parce qu’il ne faut rien négliger, mais j’avais l’impression qu’ils m ‘éloignaient de la piste de l’homme à l’imperméable. A moins que… Peut-être cet homme était – il un ami de Jacqueline Delvrière ? Peut - être avaient – ils rendez-vous dans ce funiculaire dont le trajet est si bref qu’on n’a pas le temps de tenir une conversation ? Et puis, il y avait eu vol à n’en pas douter. La bonne me confirma ce point : oui, madame avait toujours un peu d’argent sur elle, quelques milliers de francs. Et s’il s’agissait d’un vol simulé ? L’homme avait pu voler les billets pour donner le change, pour faire croire à un crime crapuleux. D’ailleurs, ce long imperméable noir, cette casquette, tout m’incitait à penser que l’inconnu s’était composé une silhouette. Plus je ruminais cette affaire et plus je sentais qu’il y avait un mystère, dans la vie de Jacqueline Delvrière. Je regagnai mon bureau et là, coup de théâtre. L’identité judiciaire avait relevé des empreintes sur le poudrier et ces empreintes figuraient aux fichiers de la police. Elles appartenaient à un certain André Bertoux, deux fois condamné pour vol et sorti récemment de prison. Aussitôt, j’organisai des recherches et commençai à étudier le dossier de Bertoux. Un dossier relativement léger . Un pauvre type, ce Bertoux ! L’histoire classique : parents sans autorité et toujours absents, le gosse qui poussa au hasard, les mauvaises fréquentations et, pour finir, deux petits cambriolages maladroits réalisés pour un profit minime. Bref, le malandrin sans envergure. Tout au moins jusque – là. Car il n’y avait pas d’autre coupable possible. Mais avait-il voulu tuer ? N’était – il pas plus plausible d’admettre qu’il avait seulement voulu réduire sa victime à l’impuissance ? Et puis, perdant son sang – froid, sentant que la cabine allait bientôt s’arrêter, il avait serré, fort, trop fort…Ensuite, il avait fouillé dans le sac, d’où ses empreintes…Une telle maladresse lui ressemblait. Je ne devais pas être loin de la vérité. Mais comment expliquer le revolver dans la poche du tailleur gris ? Je rendis visite au docteur Lainé, uploads/Voyage/ funiculaire 1 .pdf

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  • Publié le Sep 19, 2021
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