Catherine certitude 1 Patrick Modiano Catherine Certitude Patrick Modiano Catherine Certitude dessins par Jean-Jacques Sempé A New York il neige aujourd'hui et je regarde par la fenêtre de mon appartement de la e rue l'immeuble d'en face o? se trouve l'éc

Patrick Modiano Catherine Certitude Patrick Modiano Catherine Certitude dessins par Jean-Jacques Sempé A New York il neige aujourd'hui et je regarde par la fenêtre de mon appartement de la e rue l'immeuble d'en face o? se trouve l'école de danse que je dirige Derrière la baie vitrée les élèves en justaucorps ont cessé leurs pointes et leurs entrechats Ma ?lle qui travaille avec moi comme assistante leur montre pour les détendre un pas sur une musique de jazz Tout à l'heure j'irai les rejoindre Il y a parmi ces élèves une petite ?lle qui porte des lunettes Elles les a posées sur une chaise avant de commencer le cours comme je le faisais au même ? ge chez Madame Disma? lova On ne danse pas avec des lunettes je me souviens qu'à l'époque de Madame Disma? lova je m'exerçais pendant la journée à ne plus porter mes lunettes Les contours des gens et des choses perdaient leur acuité tout devenait ou les sons eux-mêmes étaient de plus en plus étou ?és Le monde quand je le voyais sans lunettes n'avait plus d'aspérités il était aussi doux et aussi duveteux qu'un gros oreiller contre lequel j'appuyais ma joue et je ?nissais par m'endormir A quoi rêves-tu Catherine me demandait papa Tu devrais mettre tes lunettes Je lui obéissais et tout retrouvait sa dureté et sa précision coutumières Avec mes lunettes je voyais le monde tel qu'il est Je ne pouvais plus rêver Ici a New York j'ai fait partie d'une troupe de ballets pendant quelques années Ensuite j'ai dirigé avec ma mère un cours de danse Puis elle a pris sa retraite et j'ai continué sans elle C'est maintenant avec ma ?lle que je travaille Mon père lui aussi devrait prendre sa retraite mais il ne peut s'y résoudre Sa retraite de quoi au juste Je n'ai jamais su quel est exactement le métier de papa Lui et maman sont installés maintenant dans un petit appartement de Greenwich Village En somme rien à dire sur nous Des New-Yorkais comme tant d'autres La seule chose un peu étrange c'est ceci avant notre départ pour l'Amérique j'ai vécu mon enfance à Paris dans le Xe arrondissement Voilà presque trente ans de cela Nous habitions au-dessus d'une sorte de magasin dont papa baissait chaque soir à sept heures le rideau de fer Cela ressemblait au local des gares de province o? l'on consigne et o? l'on expédie les bagages Il y avait toujours des caisses et des paquets empilés les uns sur les autres Et une balance dont le vaste plateau au ras du sol était fait pour supporter des poids importants puisque son cadran indiquait jusqu'à trois cents kilos Je n'ai jamais rien vu sur le plateau de cette balance Sauf papa Aux rares moments o? Monsieur Casterade son associé était absent papa se tenait immobile et silencieux au milieu du plateau de la balance les mains dans les poches le visage incliné Il ?xait d'un regard pensif le cadran de la balance

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