1 Art et totalitarisme : L’art dans l’Allemagne nazie Clés Les Territoires de l
1 Art et totalitarisme : L’art dans l’Allemagne nazie Clés Les Territoires de la Mémoire asbl, 2014 Boulevard de la Sauvenière 33-35 4000 Liège accueil@territoires-memoire.be www.territoires-memoire.be Coordination éditoriale : Julien Paulus (service Études et Éditions) Auteurs : Gaëlle Henrard et Julien Paulus (service Études et Éditions) Mise en page : Erik Lamy , Arnaud Leblanc, Nicolas Collignon (service Communication) Éditrice responsable : Dominique Dauby, présidente Dépôt légal : D/2014/9464/3 Retrouvez les dossiers thématiques des Territoires de la Mémoire asbl sur www.territoires-memoire.be/dossiersthematiques Art et totalitarisme : L’art dans l’Allemagne nazie Table des matières Art et totalitarisme : L’art dans l’Allemagne nazie 3 Introduction 7 Le mythe de l’« Homme nouveau » 8 L’art nazi : la beauté sans sensualité 10 • L’esthétique nazie : une esthétique de la respectabilité 11 L’art dit « dégénéré » : la nervosité médicalisée 13 • L’exposition de l’art dit « dégénéré » (Entartete Kunst) 14 • Exposition sur la musique dégénérée (Entartete Musik) 15 • La destruction des œuvres dites « dégénérées » 15 • La vente de Lucerne 15 « Conclusion vers aujourd’hui » 18 Bibliographie 19 6 7 Introduction « L’art demeure l’un des rares domaines où l’indi- vidu peut théoriquement donner sa pleine dimension, quelles que soient l’époque, l’histoire ou la géographie. Par lui restent des traces en lutte à armes égales avec le temps, sinon avec ce qui dure en de lointaines pous- sées, dans les sous-sols où se préparent les vitalités à venir. Or tous les régimes, tous les pouvoirs politiques savent ce lieu stratégique et veulent le confiner, maîtri- ser, limiter, contenir, voire le contrôler radicalement 1. » S ’interroger sur les relations qu’entretenaient certains ré- gimes totalitaires du XXe siècle avec le monde artistique revient en somme à se pencher sur un cas relativement précis de la longue histoire des rapports particuliers qui ont toujours existé entre l’art et le pouvoir. Pratiques artistiques et pouvoir politique ont toujours été étroitement liés. En effet, l’art, en tant que tentative personnelle de représentation ou de traduction du réel, court toujours le risque d’entrer en concur- rence – voire en contradiction – avec la vision du monde véhi- culée par le pouvoir en place. D’où la nécessité pour un pouvoir idéologique fort de contrôler ce moyen d’expression, notam- ment par une série de garde-fous destinés à baliser étroitement les schémas de pensée autorisés. Que l’on songe seulement à la censure romaine, l’Inquisition médiévale, l’Académie française de Richelieu ou celle des Beaux-Arts de Louis XIV, et l’on s’aper- cevra que l’Histoire fourmille d’exemples de récupération, de contrôle ou d’épuration de l’expression artistique par le poli- tique. La problématique n’est pas neuve. Dès lors, pourquoi s’intéres- ser plus particulièrement à une séquence de l’Histoire ? Sans doute parce que des régimes politiques tels que les régimes nazi, fasciste et communiste, pour ne citer qu’eux, constituent des exemples de systèmes qui poussèrent à son paroxysme la logique de mise sous tutelle des arts au profit d’une idéologie toute puissante. Ainsi, comme l’explique Lionel Richard à pro- pos du nazisme . 1 ONFRAY, Michel, Politique du rebelle, Paris, Le Livre de Poche, 2008, p. 235. « Évidemment, bien avant que ne soit consti- tuée une doctrine fasciste, des gouvernements très divers ont soutenu et préconisé un art officiel. Mais, en Occident, jamais l’ensemble des arts n’avaient été appelés avec autant d’ardeur à illustrer une politique, et jamais la propagande n’avait autant servi à glorifier certaines formes artistiques particulières. Il n’existe pas de meilleur exemple d’une “culture” qui ait été à la fois (…) l’instrument et l’expression du pouvoir politique 2. » Cette utilisation de la culture comme instrument et expression du pouvoir politique s’exprima, sous le Troisième Reich, selon un double mouvement : d’une part, la constitution d’une « culture » nationale, officielle, pure, et d’autre part, le rejet de toute une série de courants artistiques jugés « décadents », « dangereux », « anti-allemands ». L’art, selon les critères et les terminologies na- zis, se voyait désormais défini en deux catégories bien distinctes et irréductibles : l’art « nazi » et l’art « dégénéré ». Le présent dossier se propose d’aborder successivement l’une et l’autre de ces approches nazies de l’expression artistique, égales tant par leur absurdité que par leur violence sous-ja- cente. Il est une tentative de décrire le contrôle, la tutelle impla- cable exercés sur les créateurs artistiques, qu’ils soient peintres, sculpteurs, musiciens, compositeurs, cinéastes ou écrivains. Parce qu’ils se revendiquaient porteurs d’une nouvelle vision du monde, parce qu’ils appelaient de leurs vœux une « régéné- ration » de l’Homme, les régimes totalitaires du XXe siècle – en tête desquels nous placerons l’Allemagne nazie – comprirent immédiatement la nécessité d’« éduquer » – ou de « réédu- quer » – les masses afin, d’une part, de s’en assurer le contrôle et surtout, d’autre part, d’atteindre l’objectif idéologique de création d’un « homme nouveau ». 2 RICHARD, Lionel, Le nazisme et la culture, Bruxelles, Complexe, 2006, p. 19. 8 Le mythe de l’« Homme nouveau » « Transformer un peuple en nation présuppose la création d’un milieu social sain, plateforme nécessaire pour l’éducation de l’individu. Seul, celui qui aura ap- pris, dans sa famille et à l’école, à apprécier la grandeur intellectuelle, économique et surtout politique de son pays, pourra ressentir – et ressentira – l’orgueil de lui appartenir. On ne combat que pour ce que l’on aime; on n’aime que ce qu’on estime ; et pour estimer, il faut au moins connaître3. » C ette citation, extraite de Mein Kampf, illustre ce qu’était le combat politique d’Hitler. Dès leur accession au pouvoir en 1933, les nazis n’eurent de cesse que soit édifiée une société nouvelle, fondée sur la race et épurée de ses éléments « corrupteurs ». Pour Hitler et ses thuriféraires, tout devait concourir à l’avènement d’une communauté raciale du peuple (Volksgemeinschaft), unie selon les principes du sang et du sol (Blut und Boden), et vis-à-vis de laquelle le sentiment d’apparte- nance devait primer sur toute considération individuelle. L’art était perçu par les nazis comme un moyen efficace d’atteindre cet objectif : exalter les valeurs devant susciter l’adhésion sans réserve du peuple à la Volksgemeinschaft. Mais, chronologiquement, le régime nazi n’est que le troisième, au cours du XXe siècle, à se former sur la prétention de régéné- rer l’homme et la société, par la force si nécessaire. Seize ans auparavant, en février 1917, la Russie tsariste était balayée par une révolution qui, après quelques mois, vit le parti bolche- vique s’emparer du pouvoir et transformer radicalement le pays en même temps qu’il allait bouleverser l’Histoire. Cinq ans plus tard, en Italie, Mussolini, chef des milices fascistes, est nommé président du Conseil par le roi Victor-Emmanuel III suite à sa menace de faire marcher ses partisans sur Rome. En l’espace de quelques années, deux régimes, antagonistes politiquement mais qui partageaient une même volonté de révolution natio- nale et sociale, voyaient le jour en Europe. Issus des ruines d’un continent brisé par la Première Guerre mondiale, fascisme et communisme se retrouvaient dans une même volonté révolu- tionnaire d’en finir avec une société qu’ils estimaient « en fail- lite ». En effet, bien que le terme de « révolution » soit davantage as- socié au communisme soviétique qu’au fascisme italien, il serait erroné de ne voir dans le mouvement mussolinien qu’une vo- lonté de restauration d’un ordre ancien, traditionnel et conser- vateur et l’amputer ainsi d’une dimension révolutionnaire qu’il portait bel et bien à travers le concept de l’« Italien nouveau » : « Le mythe de l’“Italien nouveau”, dimension natio- nale du mythe de l’homme nouveau, occupe une place essentielle dans la culture de Mussolini et celle du fas- cisme. Il s’inscrit dans une longue et solide tradition de l’histoire de l’Italie contemporaine. (…) Ce mythe, 3 HITLER, Adolf, Mon combat, Paris, Nouvelles Editions Latines, 1934, p.42. y compris en se référant à la romanité, n’eut rien de traditionaliste. Au contraire, le mythe de l’Italien nou- veau doit être associé à ce que j’ai appelé le mythe de la “conquête de la modernité” : celui-ci, soit l’aspiration de la nation italienne à rejoindre les nations les plus avan- cées, joua un rôle important dans tous les mouvements culturels et politiques de contestation de l’Italie libérale et bourgeoise 4. » Dans cette perspective, le fascisme apparaît comme un mou- vement davantage tourné vers l’avenir que figé dans le passé. Bien sûr, il s’agit de relativiser : les tendances conservatrices de l’Italie mussolinienne ne font aucun doute, même s’il s’agit de les nuancer. Il était question – théoriquement, du moins – de « renaissance », « régénération » et de « modernité » : l’Italien du XXe siècle devait devenir un « homme nouveau » dont les phalanges fascistes constituaient l’avant-garde. Quant à la Russie communiste, le projet révolutionnaire de transformation radicale de la société était sa raison d’être dès 1917. La révolution était le programme même des bolche- viques et la construction d’une société idéale l’objectif : « Pour la première fois dans l’Histoire, uploads/s1/ dossiers-art-et-totalitarisme.pdf
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- Publié le Jul 08, 2022
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