DU GOÛT DE L'ARCHIVE AU SOUCI DU DOCUMENT Tiphaine Samoyault Armand Colin | Lit
DU GOÛT DE L'ARCHIVE AU SOUCI DU DOCUMENT Tiphaine Samoyault Armand Colin | Littérature 2012/2 - n°166 pages 3 à 6 ISSN 0047-4800 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-litterature-2012-2-page-3.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Samoyault Tiphaine, « Du goût de l'archive au souci du document », Littérature, 2012/2 n°166, p. 3-6. DOI : 10.3917/litt.166.0003 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Armand Colin. © Armand Colin. Tous droits réservés pour tous pays. 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Même si les deux termes sont parfois employés l’un pour l’autre, ils ne sont pas synonymes et préciser la réalité qu’ils recouvrent permet de comprendre certains enjeux de la recherche actuelle. L’archive a une acception plus restreinte que le document ; elle est un document auquel on a déjà conféré la qualité de la durée, dont on pressent l’utilité probable pour comprendre un petit pan de passé. Dans sa plus grande généralité, le document se donne pour sa part toujours au présent. Il est constitué de toutes les découpures du réel avant qu’elles ne soient triées, classées, éventuellement utilisées. Le chercheur, l’écrivain, l’archiviste sont devant les documents comme l’archéologue devant son chantier au premier jour de la fouille : les pierres, les débris, les tessons sont tous là au présent, sous le regard, dans leur état actuel. Ce n’est qu’en distinguant les différentes couches géolo- giques, en replaçant chaque fragment dans son ordre probable, en l’inter- prétant, qu’on lui donnera une signification et qu’on le reconduira à sa temporalité propre. Le paradoxe est alors que ce n’est qu’en niant les caractéristiques du document que l’on peut en faire un usage, c’est-à-dire en le classant, en le transformant et en le pérennisant ; soit en le faisant glisser dans le corps de l’archive, soit en le conduisant du côté du texte et en l’inscrivant dans la bibliothèque. Membre de plein exercice ni de l’archive ni de la bibliothèque, le document tend ainsi potentiellement vers l’une ou l’autre selon l’utilisation que l’on en fait et la transformation à laquelle on le soumet pour lui donner une durée. Défini de façon à la fois positive comme ce qui est là, ce qui est conservé, la masse des signes produite, et négative car donné sur le mode de l’accumulation à la fois incontrôlable et interminable, du signe encore vide et de présent pur, le document devient alors ce qui fait l’objet d’une pratique. Celle-ci appelle une pragmatique distinguant des usages et différentes modalités de sa convocation. Inscrit dans une temporalité changeante, le document porte une pensée de la mémoire, de la transmission et de la bibliothèque plus vague que l’archive mais dont l’intérêt spécifique est de conserver avec évidence le point de vue du présent. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 84.100.27.85 - 08/06/2014 22h01. © Armand Colin Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 84.100.27.85 - 08/06/2014 22h01. © Armand Colin ! USAGES DU DOCUMENT EN LITTÉRATURE 4 LITTÉRATURE N˚ 166 – JUIN 2012 Document et littérature : la tautologie n’est pas loin. La littérature peut être un document pour l’histoire de même qu’un document peut verser sans aménagement particulier dans la littérature, dans le cas de cer- tains témoignages par exemple. Mais on peut penser aussi le lien entre document et littérature comme une succession, la littérature procédant souvent de documents antérieurs (coupures de presse, lettres, notations, tout ce qu’Aragon appelle les « collages ») et en les moulant dans une forme. La souplesse, la labilité du terme de document sont certes ce qui rend la réflexion sur lui stimulante et nécessaire, mais sont aussi un frein pour la pensée qu’il faut entreprendre de desserrer. Si l’on admet que c’est l’augmentation toujours croissante du nombre de documents pro- duits et conservés qui a conduit peu à peu à la segmentation et à la parti- tion des savoirs tels que nous les connaissons aujourd’hui, chaque science se présentant ainsi comme science d’un type ou d’un autre de documents, il y aurait un ordre de documents pour chaque discipline et la corrélation revêtirait tous les caractères de l’évidence. Mais les documents ne sont pas la bibliothèque et ses corpus sont instables, comme l’est devenue sa matérialité à l’ère de l’information numérique. C’est pourquoi l’interroga- tion sur l’usage du document en littérature est au contraire foncièrement interdisciplinaire, faisant se rencontrer l’étude des faits et l’étude des fic- tions, l’histoire et la littérature. Le document est alors l’espace même de la frontière, ce lieu liminal de la culture faisant se croiser les regards et les méthodes et déplaçant constamment les contrats de lecture. Il arrive que la recherche en littérature réfléchisse de manière singu- lière et quasi simultanée les tendances de la création, qu’elle les accom- pagne. Mais ce retour critique implique aussi une distance, la constitution d’outils adaptés (définitions, classements, hypothèses), la conscience de tenir un discours propre. À une époque où les jeux avec la fiction autant que le soupçon porté sur cette dernière ont fait du document ou du docu- mentaire une forme-sens, il est frappant de voir se regrouper un certain nombre de chercheurs (et parmi eux beaucoup de jeunes chercheurs) autour de cette question. Une dynamique collective s’est mise en place qui non seulement assure son actualité au discours sur le document et ses usages mais donne aussi un sens aux œuvres contemporaines, contribue aussi parfois à les susciter. Ce dossier préparé par Camille Bloomfield, qui a achevé une thèse sur les archives de l’Oulipo (L’Oulipo, histoire et sociologie d’un groupe monde), et Marie-Jeanne Zenetti qui a soutenu son doctorat sur les « Factographies », pratiques et réception des formes litté- raires de l’enregistrement du réel, en propose un fort témoignage. En ayant suivi la genèse du numéro et réfléchi aux raisons qui ont conduit à sa réalisation, je proposerais quelques hypothèses pouvant expliquer au moins partiellement l’actualité de cette question dans le champ des études littéraires. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 84.100.27.85 - 08/06/2014 22h01. © Armand Colin Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 84.100.27.85 - 08/06/2014 22h01. © Armand Colin AVANT-PROPOS. DU GOÛT DE L’ARCHIVE AU SOUCI DU DOCUMENT ! 5 LITTÉRATURE N˚ 166 – JUIN 2012 Comment et pourquoi le souci du document a-t-il remplacé en partie le goût de l’archive si clairement mis en évidence par Arlette Farge naguère ? Il y va d’un rapport au temps et la première hypothèse est inférée d’un glissement observable d’un âge de la mémoire à un moment de la reprise, du souvenir en avant, de la récupération productive. Le pré- sent est valorisé, non contre l’histoire mais dans un dialogue avec celle-ci. La préoccupation du contemporain s’assortit d’une façon renouvelée de travailler la mémoire. Cela s’explique en partie par la disparition des témoins directs des événements qui ont provoqué les déchirures majeures du XXe siècle et qui ont modelé pour longtemps l’épistémologie des sciences humaines. Une transformation nécessaire de l’« ère du témoin », pour reprendre l’expression d’Annette Wieviorka, implique une culture différente de l’archive. Le document intervient alors comme ouverture du discours. Non qu’il faille déplorer comme certains ont pu le faire une plé- thore de mémoire – et on sait que tant sur la Première Guerre mondiale, que sur la Shoah et sur les guerres de décolonisation, il reste du travail à faire et quantité de faits à éclairer –, mais il est important d’apprendre à lire les documents avec le regard du médiateur indirect, de celui qui n’a pas vu mais qui tente de se donner les moyens de lire et de dire. User du document, ce n’est pas seulement le classer ou l’interpréter, c’est se laisser conduire par son absence de tri et de signification immédiate, son obscurité et sa promesse. Le document étant toujours au présent, il est à l’image de la confusion qui caractérise le présent. Il rend nécessaire une politique de la lecture et c’est celle-ci qui peut vivifier et renouveler le rapport à l’archive comme à la bibliothèque. La tension de la fiction con- temporaine vers le fait divers ou la « vie » (biographies de personnes par un côté célèbres ou inconnues) en est le signe. Une deuxième hypothèse concernant la promotion actuelle du docu- ment uploads/s1/ du-gou-t-de-l-x27-archive-au-souci-du-document.pdf
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- Publié le Jul 10, 2021
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