1 L’autorité dissimulée – l’autorité manifeste. L’écriture de la violence chez

1 L’autorité dissimulée – l’autorité manifeste. L’écriture de la violence chez Yasmina Khadra. 2 À Jonas et Rebekka 3 Table des matières 1 Introduction 1.1 Préliminaires 1.2 Buts, méthode et disposition de l’étude 1.3 Recherches antérieures 1.4 Les Agneaux et Les Loups en résumé 2 Cadre théorique (L’autorité ; L’autorité de l’auteur ; L’autorité du discours narratif ; L’autorité du discours « réa- liste » ; L’intrusion des valeurs ; L’autorité du genre) 3 Contexte 3.1 Contexte historique. Le conflit algérien des années 1990 : une guerre à huis clos 3.2 Contexte littéraire : décrire (dire) un nouveau pays 3.2.1 Dire la crise algérienne : attitude des écrivains algériens face à l’horreur de la guerre 4 4 L’autorité dissimulée 4.1 L’autorité du témoin 4.2 L’autorité de l’intellectuel 4.3 L’autonomie du texte 4.3.1 L’autorité de l’Histoire 4.3.2 La lisibilité du texte 4.3.3 La motivation des actions des personnages 5 L’autorité manifeste 5.1 L’intrusion des valeurs dans Les Agneaux et Les Loups 5.1.1 La représentation de l’armée 5.1.2 La représentation des islamistes 5.2 Dire l’indicible 5.3 L’autorité du narrateur 5.3.1 Détermination autoritaire des personnages 5.3.2 Le vertige pronominal dans Les Loups 5.3.2.1 Nafa comme seul narrateur 5.3.2.2 L’intervention de la source narrative 5 6 La configuration animale de l’homme 6.1 La présence animale 6.2 La fonction de l’animal dans Les Agneaux et Les Loups 6.3 Rapprochements de l’homme et de l’animal 6.3.1 Des êtres non-libres 6.3.2 Le silence 6.3.3 La non-spécificité des humains 6.3.4 La métamorphose des personnages 6.4 L’irresponsabilité des personnages 6.5 La fonction morale de la catégorie de l’animal 6.5.1 L’animal comme symbole du négatif 6.5.2 Transgression du modèle de l’animal 7 Conclusion 6 1 Introduction 1.1 Préliminaires Dans le récit autobiographique L’Écrivain (2001), Yasmina Khadra1 raconte l’histoire captivante de son épanouissement littéraire au sein de l’armée algérienne. Déjà exposé à la monotonie et à la dureté du quotidien militaire à partir de l’âge de neuf ans, le jeune cadet se tourne vers les livres. Il reste 36 ans dans l’armée avant de la quitter en 2000 afin de poursuivre une carrière littéraire. Comme Khadra l’explique dans L’Écrivain, pendant toutes ses années militaires, la littérature représentait un refuge. Il affirme, à propos de ses modèles littéraires, qu’il lui était « très difficile de concevoir l’existence sans eux » (Khadra, 2001 : 186). Lentement se développe en lui l’envie d’écrire comme eux ; l’envie d’apporter aux autres ce que la lecture lui avait apporté. Il affirme avoir nourri l’ambition de devenir, comme ses écrivains préférés l’avaient été pour lui, « un phare bra- vant les opacités de l’égarement et de la dérive » (ibid.). Aujourd’hui, on peut constater que Yasmina Khadra est devenu un auteur à succès. Ses livres se vendent bien, il est traduit dans plus de 40 langues et il a gagné des prix littéraires d’une certaine impor- tance2. Pour de nombreux critiques, Khadra est effectivement deve- nu ce « phare » dont il rêvait. Ancrés dans les crises contemporaines ou récentes en Algérie, en Afghanistan, en Palestine et en Irak, ses livres lui ont valu la réputation en Occident d’expert du monde arabe et du terrorisme (cf. Karl Ågerup, L’Esthétique didactique de Yasmi- na Khadra, 2011 : 21). Pour nous, il n’y a rien de choquant dans l’idée de concevoir la lit- térature comme un instrument pour élucider, voire comprendre, le monde réel qui nous entoure. Nous adhérons aux idées de Paul Ri- cœur sur le pouvoir du langage métaphorique de proposer une re- description du monde qui permette de découvrir des valeurs, des zones de la vie que d’autres types de discours ne peuvent pas at- teindre (Ricœur, Du Texte à l’action, 1986 : 23-24), et à celles avan- ––––––––– 1 Yasmina Khadra est le pseudonyme de Mohammed Moulessehoul. 2 Khadra a reçu, entre autres, le prix des libraires et le prix Tropiques pour L’Attentat (2005). Il a reçu le prix France Télévisions 2008 pour Ce que le jour doit à la nuit (2008) qui est aussi élu Meilleur livre de l’année 2008 par la rédaction du magazine Lire. 7 cées par Jacques Dubois dans Les Romanciers du réel (2000) selon lesquelles le roman, justement par ses capacités d’invention, est ca- pable de proposer « la grille la plus opératoire et la plus perspicace de déchiffrement de la société » (Dubois, 2000 : 12). Aussi, ce qui nous frappe chez Yasmina Khadra n’est pas en soi sa volonté de devenir un « phare » éclairant les zones sombres du monde actuel, mais que cet auteur semble prétendre détenir la vérité, indirectement à travers ses écrits et plus directement lorsqu’il com- mente ses textes. Pour nous, la valeur de la littérature réside dans sa capacité à inciter le lecteur à s’engager dans le texte en lui donnant le sentiment qu’il y a plusieurs entrées possibles dans l’univers litté- raire, plusieurs manières de l’interpréter. Nous adhérons au point de vue de Roland Barthes lorsqu’il dit dans S/Z (1970) que « l’enjeu du travail littéraire (…), c’est de faire du lecteur, non plus un consom- mateur, mais un producteur du texte » (Barthes, 1970 : 10). Or, Yasmina Khadra a tendance à s’octroyer l’autorité d’un père parlant à son fils. Cette impression se dégage d’un grand nombre d’interviews avec l’auteur, par exemple dans celle accordée à Faycal Met aoui du quotidien algérien El Watan : Les gens qui ont attaqué mon livre ne l’ont pas lu. Ils ont été com- plexés par sa beauté (…) et ceux qui n’ont pas lu le livre devraient se taire plutôt que de chahuter un livre extraordinaire. Certains ont dit que ce livre est le plus important livre du monde. (El Watan, le 5 novembre 2006 ; l’interview porte sur le roman L’Attentat publié en 2005) Un tel énoncé a de quoi rendre mal à l’aise le lecteur qui croyait que la littérature était le domaine de la liberté : liberté d’interpréter et li- berté de ne pas aimer (sans être agressé par l’auteur ou quiconque ayant un avis contraire). Or, en même temps, ce mélange d’assurance et d’agressivité éveille notre intérêt. Qui est cet écrivain qui s’autorise, comme il l’affirme dans la préface au premier tome de ses œuvres complètes, à prendre le lecteur par la main ? (Khadra, 2011 : 7)3. Par quelles stratégies textuelles tente-t-il de persuader le ––––––––– 3 Ce n’est pas la première fois que Yasmina Khadra s’est servi d’une telle formule. Comme il le confie au journaliste Hacène K. : « À travers mes livres, je prends l’Occidental par la main et je l’emmène au commencement du malentendu » (Le Jour d’Algérie, 4 novembre 2006). Khadra, d’ailleurs, est 8 lecteur de le suivre, de se laisser prendre par la main ? Sans aborder de front la question théorique complexe de la lecture, nous suggére- rons certaines implications de ces stratégies pour la position du lec- teur. En focalisant notre étude sur les deux romans Les Agneaux du Sei- gneur (1998) et À quoi rêvent les loups (1999)4 de Yasmina Khadra, nous avons choisi de mettre au centre de ce travail la thématique de la guerre civile algérienne. Suivant le conflit du début à la fin, ces deux textes racontent les transformations qui firent de l’Algérie la scène d’effroyables massacres perpétrés sur la population civile. C’est le cas pour la grande majorité des œuvres publiées par les écrivains algériens au cours des années 1990 : elles sont, d’une ma- nière ou d’une autre, enracinées dans le contexte socio-politique de l’Algérie. L’horreur de la guerre était partout présente et les écri- vains ne pouvaient guère s’abstenir de l’aborder (Mertz- Baumgartner, 2003 : 94). Commentant la guerre civile algérienne, le journaliste et écrivain Anouar Benmalek évoque le besoin de témoi- gner des événements en déclarant que « [d]evant l’incompréhensible, les gens ont un besoin vital de comprendre – si- non ils deviennent fous » (Benmalek, 2003 : 25). À l’instar de Ben- malek, de nombreux écrivains algériens soulignent la nécessité d’écrire dans l’urgence sur ce qui se passe dans leur pays. Des écri- vains comme Assia Djebar, Abdelkader Djemaï, Slimane Benaïssa et Sadek Aïssat ainsi que des journalistes de la presse indépendante algérienne ont affirmé qu’ils se sentaient obligés de témoigner de leur expérience plus ou moins directe de la tragédie algérienne (Bonn & Boualit, 1999a : 27-30 ; Confluences Méditerranée, 1998, No. 25 : 21-55). Face à la barbarie des événements, la littérature algérienne est con- frontée à la question de sa raison d’être. Que permet-elle de com- prendre ? Que permet-elle de voir ? On note chez plusieurs écrivains algériens une sorte d’hésitation. Les textes sont hantés par un senti- ment d’impuissance quant à la manière d’exprimer la violence guer- absolument conscient du fait que ses lecteurs sont pour la plupart des Occidentaux : « mes lecteurs se recrutent à 90 % en dehors du monde arabo-musulman » (interview accordée à Yacine Alim d’El Watan, 11 juin 2006). 4 Par la suite, nous écrirons Les Agneaux et Les Loups lorsque nous référons à ces deux textes. 9 rière. Chez uploads/s1/ full-text-03.pdf

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  • Publié le Nov 05, 2021
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