Conception de la couverture῀: Gianni Caccia Mise en pages῀: Bruno Lamoureux Epu
Conception de la couverture῀: Gianni Caccia Mise en pages῀: Bruno Lamoureux Epub῀: Claude Bergeron Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada Arseneault, Michel, 1958- Méfiez-vous des poètes ISBN 978-2-7621-3120-8 [édition imprimée] ISBN 978-2-7621-3325-7 [édition numérique pdf] ISBN 978-2-7621-3353-0 [édition numérique ePub] 1. Quesnel, Joseph, 1746-1809 - Romans, nouvelles, etc. I. Titre. PS8601.R75M43 2012 C843’.6 C2011-942805-9 PS9601.R75M43 2012 Dépôt légal῀: 1er trimestre 2012 Bibliothèque et Archives nationales du Québec © Groupe Fides inc., 2012 La maison d’édition reconnaît l’aide financière du Gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada pour ses activités d’édition et remercie de leur soutien financier le Conseil des Arts du Canada et la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC). La maison d’édition bénéficie du Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres du Gouvernement du Québec, géré par la SODEC. IMPRIMÉ AU CANADA EN MARS 2012 Pour Carmen Barro González nous ne serons plus jamais des hommes si nos yeux se vident de leur mémoire GASTON MIRON Bruxelles, le 24 octobre 2037 Madame Maude Abel 10197, boulevard Jean-Charest Montréal (Québec) H2T K5M CANADA Madame Abel, En tant que président de History™ (région Europe), j’ai l’honneur de vous faire parvenir ces documents papier que nos équipes de numérisation des fonds d’archives européens ont trouvés sur le site d’Aix-en-Provence, en France. Ces notes éparses, rédigées vers 2005, n’ont aucune raison d’y être conservées. Nous avons, dans un premier temps, signalé leur existence à la direction des Archives nationales de France, qui n’a pas souhaité engager de poursuites contre leur auteur. À chacun de ces treize « dossiers », (introduits, nous ne savons comment, subrepticement sur notre site d’Aix), cette personne avait agrafé un document du XVIIIe siècle. Ces derniers ont tous été restitués. Comme les récits vous concernent au premier chef, nous avons jugé bon de vous les transmettre. Vous constaterez à leur lecture qu’ils contiennent des renseignements concernant votre vie personnelle. Soyez assurée que History™ a tout mis en œuvre pour protéger le respect de votre privauté. Je vous prie d’agréer, Madame Abel, l’expression de mes sentiments sincères et vous prie d’excuser les fautes de français que vous pourriez trouver dans cette lettre. Elles sont dues à la traduction automatique. Dunia Kim History™ Région Europe 1020 Bruxelles Union européenne Dossier J Les Archives nationales du Canada, à l’ombre de la Cour suprême, m’ont toujours fait l’effet d’une prison. À l’époque où j’y allais plus souvent, j’avais le sentiment de rendre visite à des prisonniers, de tenir compagnie à des documents coupables d’être trop vieux. Dans la salle de lecture, le parloir qui leur permettait d’échapper brièvement à leur cellule, à leur solitude, je déchiffrais des écritures anciennes, je scrutais des lettres, j’inspectais des testaments. Lorsque je m’accordais une pause, j’observais la rivière des Outaouais par la fenêtre. Depuis le XVIIIe siècle, le mien, si j’ose dire, ce cours d’eau s’était métamorphosé. De petites villes s’étaient accrochées à ses rives. L’une d’elles, Ottawa, avait même été proclamée capitale. Mais l’Outaouais restait inchangé. Son courant, cette échappée vers le fleuve Saint-Laurent et, au- delà, vers l’Atlantique, était immuable. Ses eaux lisses et opaques, en réalité sournoises et violentes, avaient dû intriguer l’homme à qui j’ai consacré ma carrière. Pour remonter cette rivière à bord d’un canot, cet Européen avait recruté des anciens Canadiens pour avironner de l’aube à la tombée de la nuit. Dans de rares moments de rêverie, je les imaginais pieds nus dans le maître canot, les épaules boursouflées, le corps décharné, tantôt à genoux, tantôt assis, leurs vêtements dégageant une forte odeur de fumée, encens offert au fil de l’eau. Je tentais de discerner leurs traits. Leurs visages, probablement rougis, sûrement vérolés, étaient-ils beaux ou effrayants ? Je ne m’abandonnais jamais très longtemps à ces chimères, et je me replongeais dans la lecture, sachant bien que pour trouver, je devais chercher, beaucoup chercher. Je ne m’y étais astreint pendant des décennies. J’avais parfois l’impression d’être moi-même une curiosité historique. J’avais franchi le cap de la cinquantaine. Je serais bientôt vieux, mais je me sentais moins bousculé par le passage du temps que par l’effritement des valeurs, un mot un peu galvaudé dont je dois ici donner la définition. Valeurs : ce que je crois important. À Ottawa, dans les dîners en ville, je n’ose plus dire que je suis historien. D’un air médusé et soucieux, on m’observe comme un artéfact, un silex inutile quoique tranchant. Mes commensaux ne se résolvent pas à me poser la seule question qui les intéresse vraiment : combien gagne un historien ? Ces enfants bien élevés se contentent de me demander d’où je suis originaire, moi qui suis encore trahi par mon accent étranger. Je suis né dans le quatorzième arrondissement de Paris. Dans les salons, mon récit s’arrête là. À vous, que je sais curieux et intelligent puisque vous avez trouvé ce dossier « J », je peux préciser que je suis né en 1949. Vous devinez que j’ai eu vingt ans à une époque où la soif de savoir était grande : la vérité, comme les cheveux longs, nous rendrait libres. Les jeunes Français (du moins ceux de mon entourage, à l’université) tenaient à comprendre ce qui s’était vraiment passé dans leur pays pendant la Deuxième Guerre mondiale. La collaboration avec les Allemands, les grands enjeux, les petites trahisons... Ils tenaient à savoir. Car ils soupçonnaient que leurs parents leur cachaient des choses — pas moi, toutefois, puisque mon père m’avait tout raconté. Mes parents n’étaient pas parisiens mais bretons. Ils quittèrent la Bretagne, sa pauvreté surtout, juste avant la guerre. En arrivant à Paris, ces jeunes mariés trouvèrent une chambre de bonne derrière la gare Montparnasse. Cette minuscule pièce donnait sur les voies, leur incessant brouhaha. Le loyer était dérisoire, le salaire de ma mère, brodeuse dans une maison de couture, aussi. Mon père, longtemps sans emploi, vaguait à de vagues affaires. Mes parents eurent un premier enfant, en 1946, un garçonnet mort au berceau pour des raisons que je n’ai jamais élucidées. Je vins au monde trois ans plus tard et reçus le même prénom que lui, Michel. Puisqu’un autre garçon allait suivre, j’étais à la fois puîné et aîné. Le paradoxe amusait le gamin que j’étais. Dans la cour d’école, il m’arrivait de le servir à mes camarades sous forme d’énigme : je ne suis pas le premier, mais je suis le plus grand… Dire que mon frère aîné était mort ne me gênait pas. Je savais bien que, chez les plus petits, ces révélations réveillaient des peurs. Oui, la mort frappait aussi les enfants pendant leur sommeil. À l’école, chacun se faisait respecter comme il le pouvait. Puisque j’étais de petite taille, je disais la vérité. En grandissant, je compris que la vérité, il ne fallait pas toujours la crier sur les toits. Mon père me raconta comment ses parents lui avaient envoyé du beurre et du fromage de Bretagne. Un oncle cheminot assurait la livraison. Je ne devais le répéter à personne, surtout pas à mon jeune frère, Hervé, encore trop petit pour aider à l’épicerie. Mon père avait du bagout et de l’entregent. Ce n’est pas par hasard que les voisins et clients l’appelaient plus facilement « Richard » que « monsieur Gallais ». Au début de la guerre, bien avant l’ouverture de sa première épicerie, il s’était hasardé à proposer du beurre à des voisins, même si le marché noir était sévèrement puni. Il ne leur demandait pas d’argent en échange. Il s’agissait moins de trafic que de troc, disait-il, soudain disert sur cet échange de bons procédés. Pour éviter les ennuis, il avait jugé bon de fournir des Allemands en fromage. C’est à cette étape-là que son récit, ou ma compréhension de son récit, s’embrouillait. Quelque chose n’allait pas, mais j’avais treize ans, peu de poil au menton, et j’étais disposé à croire mon père. Je savais qu’il était capable de mentir. À l’épicerie, où je le retrouvais tous les jours après avoir fait mes devoirs, je l’avais déjà entendu débiter des balivernes aux clients, et pas seulement sur le degré de fraîcheur des œufs. Mais il ne m’avait jamais menti à moi. Lorsqu’il me promettait une gifle, il me la donnait. Heureusement, cela n’arrivait pas souvent. J’avais appris à me soumettre à son autorité. J’étais sage. Je nous revois, mon père et moi, dans la pénombre de l’arrière-boutique qui sentait le carton. Le magasin venait de fermer. Je passais le balai. Il me regardait faire, espérant la faute. Ce soir-là, je m’attendais à essuyer ses reproches habituels. Mais, il prit un ton doucereux, celui qui annonce la confidence. Il ne me parla pas une énième fois de Gallais, l’épicerie fine dont j’hériterais un jour. Il me parla de la Maison des étudiants canadiens. Ce seul nom piqua ma curiosité. Le Canada, terre lointaine, dégageait encore un parfum de mystère et d’exotisme. Je ne fis aucune remarque. Il m’avait souvent dit que mes questions étaient malvenues. Au magasin, uploads/s1/ hthro-lshaar.pdf
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- Publié le Dec 06, 2022
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