Inégalités et discriminations Pour un usage critique et responsable de l’outil

Inégalités et discriminations Pour un usage critique et responsable de l’outil statistique Rapport du comité pour la mesure de la diversité et l’évaluation des discriminations (COMEDD) présidé par M. François HÉRAN présenté à M. Yazid SABEG, commissaire à la diversité et à l’égalité des chances Version du 3 février 2010 Avant-propos Le Comité pour la mesure de la diversité et l’évaluation des discriminations (COMEDD) a été installé le 23 mars 2009 par M. Yazid Sabeg, commissaire à la diversité et à l’égalité des chances. Présidé par M. François Héran, alors directeur de l’Institut national d’études démographiques et président de l’Association européenne des études de population, il comprend vingt-cinq personnalités compétentes dans les domaines les plus divers 1 : sciences sociales, statistique publique, magistrature, syndicalisme, mouvement associatif, journalisme, gestion des ressources humaines, administration du logement social, administration culturelle... Le comité compte parmi ses rangs le secrétaire général du CNIS, le commissaire de la CNIL en charge des enquêtes par sondage et des questions de diversité, ainsi que le vice-président du collège de la HALDE 2. Il a bénéficié de l’hospitalité du Centre d’analyse stratégique. Les missions confiées au comité font écho au triple vœu formulé par le président de la République dans son discours de Palaiseau du 17 décembre 2008 : doter la France d’« outils statistiques permettant de mesurer sa diversité », s’assurer que ces outils reposent sur des méthodes « objectives et incontestables » sans privilégier « une lecture ethnique de notre société », conduire ce travail « avec la communauté scientifique pour avancer dans le dialogue ». Dans sa lettre de mission 3 comme dans son allocution inaugurale, le commissaire à la diversité et à l’égalité des chances a invité le COMEDD à passer au crible les méthodes de mesure existantes en matière de discriminations liées aux origines, à identifier celles qui pourraient aider les administrations et les entreprises à mieux lutter contre ce type de discrimination, à tracer des pistes pour dessiner un cadre cohérent et sécurisé de collecte de données. Sans exclure une mise à jour de la législation, les propositions du COMEDD devaient naturellement s’inscrire dans le cadre constitutionnel existant. Le cap étant fixé, le comité a multiplié les consultations écrites, les auditions et les débats 4. Il a exploré en profondeur la littérature disponible. La liste finale des recom- mandations est l’aboutissement d’une procédure de révision collégiale. Conformément à l’usage, le commissaire à la diversité et à l’égalité des chances a souhaité que ce rapport fût public. Tous les acteurs ayant à cœur de lutter contre les 1 La composition du comité est fournie en annexe 2. 2 Voir liste des sigles en fin de document. 3 Annexe 1. 4 Liste des contributions et des personnalités auditionnées en annexe 3. 2 discriminations sont donc invités à s’en emparer : pouvoirs publics, partenaires sociaux, associations, société civile en général. Le présent rapport n’est pas un rapport administratif, au sens où il aurait été rédigé par des membres de l’administration à l’usage de leurs pairs 5. Issu de la volonté des autorités de recueillir le point de vue des scientifiques sur une question sensible et controversée, ce rapport a été rédigé essentiellement par des chercheurs. Ces derniers présentent une double caractéristique. Ils ont accumulé en personne une longue pratique des enquêtes statistiques qui leur a donné l’occasion de multiplier les échanges avec le CNIS, la CNIL et, plus récemment, la HALDE. Surtout, ces scienti- fiques ne se sont pas contentés de discuter entre eux ; ils ont siégé aux côtés d’experts et de praticiens qui étaient qualifiés dans un large éventail de domaines, en rapport direct avec le traitement ou le contrôle des données statistiques. Il s’ensuit une liberté dans le style d’écriture et dans la conduite du raisonnement qui échappe aux contraintes habituelles des rapports officiels, en même temps qu’une extrême attention apportée à la solidité de l’encadrement juridique et déonto- logique qui doit entourer une activité aussi sensible que la mesure de la diversité et des discriminations. Libres et responsables, telle a été en fin de compte la ligne de conduite que le président du comité et les rapporteurs se sont efforcés de tenir de bout en bout dans la rédaction de ce rapport. Séance après séance, le comité a acquis la conviction que nul ne pouvait trancher d’autorité, sur un mode unilatéral, une question aussi sensible que celle des statis- tiques sur les discriminations liées à l’origine. Car la solution n’est ni dans le tout ethnique ni dans l’ethnicité zéro. Toute la question est de définir les finalités, les circonstances et les garanties qui peuvent rendre utile et légitime telle ou telle donnée chiffrée. En définitive, le rapport rédigé par le président et les rapporteurs reflète l’état des débats sur un sujet particulièrement sensible ; il s’est nourri des participations de l’ensemble des membres du comité sans prétendre naturellement traduire leur accord unanime sur toutes les questions abordées. Les recommandations finales reprennent l’ensemble des propositions que les membres du comité ont considéré pouvoir être proposées aux débats des institutions auxquels ils appartiennent ou qu’ils représentent. 5 La rédaction a été assurée par le président du comité, assisté de deux rapporteurs : Mme Anne Debet, professeure de droit à l’Université de Paris-Est, ancien membre de la CNIL, ancienne présidente du groupe de travail chargé de préparer les recommandations de la CNIL sur les statistiques de la diversité ; M. Patrick Simon, responsable à l’INED de l’unité de recherche « Migrations internationales et minorités ». La coordination des contributions a été assurée par Mme Marine Boisson, chef du département Questions sociales au Centre d’analyse stratégique, assistée de Mme Julia Labarthe. 3 1. Introduction Dans sa livraison de novembre 2009, l’Eurobaromètre réalisé pour la Commission européenne le confirme : les habitants de l’Union européenne s’accordent à penser que les discriminations liées à l’origine ethnique sont extrêmement répandues. C’est aux Pays-Bas et en France que ce sentiment est le plus fréquent : quatre habitants sur cinq les placent devant toute autre forme de discrimination. En moins de dix ans, la sensibilisation aux discriminations s’est à ce point imposée que dans un autre sondage, commandé par la HALDE et l’Organisation internationale du travail, la quasi- totalité des agents de la fonction publique et des salariés du privé (99 % et 96 %) se prononcent en faveur de la lutte contre les discriminations dans le monde du travail. Cette conviction s’est forgée devant l’accumulation des faits : nombre d’études ont montré l’étendue des écarts de traitement selon l’origine, les témoignages de victimes de discriminations se sont multipliés dans les médias, les pouvoirs publics s’expriment régulièrement sur le sujet, les associations antiracistes et les syndicats ont engagé des actions concrètes souvent spectaculaires, comme les testings et les plaintes en justice. Les faits avérés sont si massifs qu’il n’est plus possible de nier l’évidence. Les discriminations minent la République au mépris de son idéal d’égalité et des lois qui les sanctionnent. Tous les domaines de la vie sociale sont touchés. Le monde du travail, d’abord, où la sélection par l’origine se révèle dans les testings mais aussi dans des risques de chômage doublés ou triplés qui accablent les immigrés d’origine maghrébine, africaine ou turque ainsi que leurs enfants, sans que ces écarts puissent s’expliquer uniquement par des facteurs sociaux. Le logement, ensuite, où la ségréga- tion sociale se double d’une ségrégation ethnique. Fait marquant, les filtrages discriminatoires se produisent dans le parc privé et dans le parc social. L’école n’est pas davantage épargnée, bien que les formes prises par les discriminations y soient plus difficilement identifiables. Ce sont enfin les services publics qui sont sur la sellette, à commencer par la police et ses relations avec les « jeunes des quartiers ». L’accumulation va bien au-delà de dysfonctionnements localisés ou de compor- tements ponctuels. Elle fait système. Accord sur le constat et sur la nécessité d’agir, certes, mais avec quelle stratégie et, surtout, quels moyens ? Ici, les avis divergent et surgissent les polémiques. Après le « trop d’ethnique dans la statistique » vient l’imbroglio de la discrimination positive. Les questions sémantiques polarisent les oppositions. Paralysée par les affrontements sur les moyens à mettre en œuvre pour la lutte contre les discriminations, l’action publique marque le pas et peine à s’engager sur une voie de progrès. Pourtant, les émeutes de novembre 2005 ont, semble-t-il, alerté les consciences et montré l’urgence d’une politique résolue, sinon volontariste. Il serait trop facile de renvoyer la respon- sabilité des atermoiements actuels aux protagonistes des controverses qui entourent la politique de lutte contre les discriminations ou la politique de promotion de la 4 diversité. Les raisons d’une certaine impuissance collective sont multiples et pro- fondes. Elles ne tiennent pas seulement à l’absence d’une ligne directrice claire et consensuelle, elles s’expliquent aussi par la difficulté à définir une politique cohé- rente d’égalité et à engager les moyens correspondants. Et au cœur des hésitations sur la politique à conduire pour réduire les discriminations se tient la question — bien mal nommée — des « statistiques ethniques ». Des uploads/s1/ inegalites-et-discriminations.pdf

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  • Publié le Jan 20, 2022
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