Sous la direc tion de BRUNO FULIGNI Petit dic tion naire des injures poli tique

Sous la direc tion de BRUNO FULIGNI Petit dic tion naire des injures poli tiques L’ÉDI TEUR © l’Édi teur, 2011. ISBN : 978-2-253-16856-0 – 1re publi ca tion LGF « Le meilleur remède contre les injures, c’est de les mépri ser. » Mateo ALEMÁN, Guzmán de Alfarache. Intro duc tion « Abject ani mal », écri vit Charles Maurras à pro - pos de Léon Blum, lequel répli qua par : « brute véreuse ». À ce jeu per vers, c’est le patron de l’Action fran çaise qui eut le der nier mot, en fai sant du lea der socia liste le mys té rieux « hircocerf de la dia lec tique hei mat los »… Pierre Gaxotte le trai tait plus suc cinc - te ment de « jument pales ti nienne », Léon Daudet de « lévrier hébreu », mais ses rivaux commu nistes n’étaient pas en reste : « hyène » et « rep tile répu - gnant » pour Maurice Thorez, « vipère lubrique » chez Pierre Sémard… Les tech niques de l’injure L’injure poli tique, par nature pro téi forme, c’est d’abord un étour dis sant bes tiaire. À la manière des carica turistes, les insul teurs pro cèdent volon tiers par animalisation, trou vant de faciles res sources dans la zoo lo gie, depuis le « per ro quet mélan co lique » (Louis- Napoléon Bonaparte par le géné ral Changarnier) jusqu’au « pauvre cha ton » (Valéry Giscard d’Estaing par Franz- Olivier Giesbert). Petit dic tion naire des injures poli tiques 10 Dans la même veine, notons : « cha cal » (le maré chal de Saint- Arnaud par Victor Hugo), « orni tho rynque » et « mono trème » (le socia liste Charles Rappoport par Léon Daudet), « orang- outang vicieux » (le radi - cal Albert Sarraut par Lucien Rebatet), « cro tale » (Raymond Poincaré par le commu niste Paul Vaillant- Couturier), « rep tile trots kiste » (Boris Souvarine par Pierre Sémard), « gueule de raie » (Jacques Duclos par l’ancien commu niste Marius Paquereaux), « rat pes teux » (le ministre de l’Inté rieur du 6 février 1934 Léon Frot par le polé miste Henri Béraud), « musa - raigne » (Charles Hernu par Félix Gaillard), « hydro - méduse » (Pierre Mendès France par le député de Constantine Amar Naroun), « grue cou ron née » (Maurice Schumann par André Figueras), « san glier mou » (le ministre de la Culture Maurice Druon par Maurice Clavel) ou encore « vieux crabe » (François Mitterrand par Alain Krivine)… Le même Mitterrand était plu tôt un « camé léon dia bo lique » pour René Fallet, le camé léon occu pant une place à part dans la zoo lo gie poli tique et par le men taire : à la fois reptilien et trans lu cide, chan geant de cou leur au gré des situa - tions, ce totem de l’oppor tu nisme a dési gné une foule d’hommes d’État depuis Talleyrand et Thiers. Toutes les formes de vie ani male n’ins pi rant pas spon ta né ment la même sym pa thie, il y a une échelle dans l’animalisation, une hié rar chie au bas de laquelle les polé mistes ravalent avec plai sir l’adver saire au rang de « ver mine », « pou », « clo porte » et autres petites bêtes dont la phy sio no mie molle et le carac tère ram - pant sug gèrent d’inavouables ten dances à la compro - mis sion cra pu leuse : « inver té bré » (Jacques Soustelle par Charles de Gaulle), « limace poli tique » (le radi - 11 Intro duc tion cal Maurice Faure par le commu niste É tienne Fajon), « mille- pattes » (le chan geant Edgar Faure par le gaul - liste Alexandre Sanguinetti), sans oublier l’immor tel « microbe dégé néré » du commu niste André Marty au Pré sident du Conseil Paul Reynaud. On atteint à l’insensé avec André Figueras décri vant Michel Debré comme une « sorte de sco lo pendre raté, de scor pion gei gnard, de coléo ptère sans cara pace »… Pour varier le bes tiaire, et parce qu’une injure peut être sur dé ter mi née, quelques cuistres de l’invec tive sont allés recher cher dans les ouvrages de paléon - to lo gie des noms de créa tures dis pa rues, ajou tant ainsi à la bes tia lité sup po sée de leur cible l’idée d’un stade dépassé de l’évo lu tion : « diplo do cus » (Albert Sarraut par Lucien Rebatet), « plé sio saure » (le député catho lique Louis Marin par Rebatet encore), « meusosaure » (Raymond Poincaré, par le men taire de la Meuse, vu par Clemenceau), « igua no don » (Jacques Doriot, chef du PPF, par Marcel Bucard, chef des Fran cistes) ou encore l’amu sant « mam mouth futé » que Le Canard enchaîné du 9 sep tembre 1977 vou lait voir en Raymond Barre. Quand elle n’ani ma lise pas, l’insulte corporalise ou réi fi e : elle trans forme l’indi vidu détesté en une pièce ana to mique – un « ventre », un « pied » – ou une chose inani mée, comme la « girouette » ou le « bon net de coton ». En réi fi ant, l’insul teur rend l’adver saire déri soire et le dépouille de son huma nité. S’il pré fère corporaliser, il le tron çonne sym bo li que ment, le dépèce, à moins qu’il se donne licence de sug gé rer des par ti cu la ri tés ou ano ma lies sexuelles, le grand clas sique consis tant à mas cu li ni ser les femmes et à fémi ni ser les hommes : Petit dic tion naire des injures poli tiques 12 « Made moi selle Jean Jaurès était une fi lle très mûre quand elle chan gea de parti », écrit Maurras, trente ans avant que son dis ciple Léon Daudet se déchaîne contre « la fi fi lle Blum » et « la petite Ghetto ». L’injure sca to lo gique tient à la fois de la corporali- sation et de la réi fi ca tion, puisqu’elle ren voie le sujet à un sous- produit de l’orga nisme. Par sa rus ti cité, elle est peu pri sée et demeure extrê me ment rare, sauf chez Léon Daudet qui cultive la verve rabe lai - sienne : Alexandre Millerand est un « Alexandre de fosse d’aisance », Aristide Briand un « excré ment », le ministre de l’Inté rieur Léon Frot, « Cacatilina »… Quant au radi cal Alfred Naquet, père de la loi sur le divorce, il fait de lui une « arai gnée de W.-C. », combi nant l’animalisation au thème sca to lo gique. Seul le polé miste d’extrême droite François Brigneau ira aussi loin, en trai tant le ministre gaul liste Christian Fouchet de « caca à pattes ». Autre motif de dégoût, moral celui- là : le thème de la tra hi son, de la dupli cité, du double jeu et des menées sour noises à la solde de l’étran ger : quand on n’ani ma lise ni ne corporalise, il faut au moins dépré - cier les mobiles, les idéaux, les croyances de l’indi - vidu visé, leur don ner une maté ria lité en leur prê tant un carac tère vénal et sti pen dié. Clemenceau est pour Léon Daudet un « baronet des gui chets de Londres », le commu niste Jacques Duclos est pour Doriot un « agent du Guépéou », le député juif Pierre Masse devient inévi ta ble ment un « agent d’Israël » chez Lucien Rebatet. En outre, l’injure soi gnée est sou vent cumu la - tive : Mitterrand vu par Jean Cau est « franc comme un der rière de mule », ce qui consti tue à la fois une 13 Intro duc tion animalisation, une corporalisation à conno ta tion sca - to lo gique et une dépré cia tion morale… Dans le registre dépré cia tif, la tech nique de base consiste à rap pro cher deux notions oppo sées. Selon Jacques Perret, le socia liste Guy Mol let se résume en un « Jaurès cor rigé par Félix Potin ». On obtient le même effet par un cer tain usage du complé ment de nom : « le Don Juan des lava bos » (le ministre Paul- Boncour par Léon Daudet), « l’Apol lon des abat - toirs » (André Malraux, volon taire en Espagne, par le jour na liste d’extrême droite Sicard). Enfi n, l’animalisation ou la réifi cation peut être sug - gé rée par une défor ma tion du patro nyme, comme si le nom de famille lui- même déter mi nait une des ti née infa mante : « Durafour cré ma toire », « uploads/s1/ injures-fra-1er-chap.pdf

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  • Publié le Sep 02, 2022
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