Droit Déontologie & Soin 16 (2016) 168–174 Disponible en ligne sur www.scienced
Droit Déontologie & Soin 16 (2016) 168–174 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com ScienceDirect Jurisprudence Suicide d’un détenu : la France encore condamnée par la CEDH Chems-eddine Hafiz 122, avenue des Champs-Elysées, 75008 Paris, France Disponible sur Internet le 16 mai 2016 Résumé Alors que le risque suicidaire était connu chez un jeune détenu qui venait d’arriver en prison, celui-ci n’a pas pu consulter un médecin, contrairement à ce qu’affirmait l’administration. La France est donc condamnée pour atteinte à la vie par la CEDH (CEDH, Isenc c. France, 4 février 2016, no 58828/13), ce qui pose le problème du fonctionnement de la prison et de l’approche décalée des juridictions franc ¸aises. © 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits r´ eserv´ es. 1. Introduction La France à nouveau condamné par la Cour européenne des droits de l’homme à propos du suicide d’un détenu. . ., et ce dans des conditions qui posent de sérieux problèmes1. Ce jeune détenu, qui arrivait pour la première fois en prison, avait été signalé comme étant dans un état fragile par le juge d’instruction, évoquant le risque suicidaire et le lieutenant chargé du premier entretien des arrivants, avait fait des observations du même type. Or, aucune mesure n’avait été prise et en particulier, le détenu n’avait fait l’objet d’aucune visite médicale ni par l’unité de Adresse e-mail : c.hafiz@astreepartners.com 1 Chems-eddine HAFIZ, Suspension de peine pour raison médicale : La France condamnée par la CEDH pour l’insuffisance des mesures d’adaptation, DDS 2015, no 2 ; Thierry NAJMAN, Quand l’hospitalisation en psychiatrie devient-elle une privation de liberté ? DDS 2015, no 2. Jurisprudence : L’arrêt du Conseil d’État du 17 décembre 2008, selon lequel : « eu égard à la vulnérabilité des détenus et à leur situation d’entière dépendance vis-à-vis de l’administration, il appartient tout particulièrement à celle-ci, et notamment au garde des sceaux, ministre de la Justice et aux directeurs des établissements pénitentiaires, en leur qualité de chefs de service, de prendre les mesures propres à protéger leur vie » (CE, 17 décembre 2008, Observatoire international des prisons, no 305594). Détenus majeurs : Conseil d’État, 31 mars 2008, No 291342 ; Cour administrative d’appel de Marseille, 6 mars 2006, No 04MA01337 ; Détenus mineurs : Conseil d’État, 9 juillet 2007, No 281205 ; Cour administrative d’appel de Nancy, 17 mars 2005, No 00NC00415. http://dx.doi.org/10.1016/j.ddes.2016.04.003 1629-6583/© 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits r´ eserv´ es. C.-e. Hafiz / Droit Déontologie & Soin 16 (2016) 168–174 169 consultation et de soins ambulatoires (UCSA), ni par le service médico-psychologique régional (SMPR). Particulièrement gênant : l’administration pénitentiaire avait soutenu que ces deux visites avaient eu lieu alors que la procédure a montré qu’il n’en était rien. C’est donc, s’agissant du fonctionnement du service public, une affaire problématique, mais on est tout autant interpellé par l’absence de deux perceptions de ses problèmes par la juridiction administrative. Le tribunal administratif comme la Cour administrative d’appel avait rejeté le recours formé par le père du jeune homme, et le Conseil d’État avait refusé d’admettre le pourvoi. Il faut donc attendre un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, après huit ans de procédure, pour poser noir sur blanc ces évidences qui signent la faute de l’État. 2. De la détention au suicide : 24 novembre–6 décembre En vue du placement en détention à la maison d’arrêt de Gradignan d’un jeune homme âgé de la de 24 ans, le 24 novembre 2008, le juge d’instruction avait rempli la notice individuelle à destination du chef de l’établissement pénitentiaire. À la question « existe-t-il, dans le comporte- ment de la personne mise en examen des éléments laissant craindre qu’elle porte atteinte à son intégrité physique », le juge d’instruction avait coché la case « oui », ajoutant : « À surveiller : 1re incarcération et semble fragile ». Le 25 novembre 2008, le lendemain de son placement en détention, le détenu fut placé en cellule dans le quartier « arrivants ». Un lieutenant le rec ¸ut en entretien, et releva plusieurs facteurs de déstabilisation, notamment la peur des suites de la procédure, le sentiment de culpabilité, la peur de la promiscuité carcérale, dans un contexte familial déstructuré. On notait des antécédents de tentative de suicide, des addictions au tabac et à l’alcool, le lieutenant ajoutant : « apparaît anxieux, triste, se déclare spontanément suicidaire ». Il n’était pas préconisé de mesure particulière de suivi médical, mais il avait été décidé une mise en surveillance spéciale à compter du 24 novembre 2008 et jusqu’au 8 décembre 2008 consistant en des rondes renforcées. Par la suite, le gouvernement a affirmé que le détenu avait été vu par un médecin de l’unité de consultation et de soins ambulatoires (UCSA) le lendemain de son arrivée et par un médecin du service médico-psychologique régional (SMPR), mais aucune preuve n’a été jamais rapportée de cette visite, et il en est résulté aucune préconisation. Le 2 décembre 2008, la commission pluridisciplinaire (CPU) dédiée à la prévention des suicides et chargée d’examiner régulièrement la situation des détenus faisant l’objet d’une surveillance spéciale, s’est réunie. Cette commission a décidé de maintenir la mesure de surveillance spéciale ainsi que d’organiser un « point détention », c’est-à-dire un entretien avec un membre du personnel pénitentiaire avant la tenue de la prochaine CPU. Sur le compte rendu de la réunion concernant M., il est noté par le SPIP : « RAS, naissance d’un enfant dans 3 semaines », les cases réservées aux UCSA et SMPR étant vides. Le 5 décembre 2008, le détenu a été affecté dans une cellule avec deux autres codétenus. Dans l’après-midi du 6 décembre 2008, resté seul pendant que ses deux codétenus étaient allés prendre leur douche, il s’est pendu avec un drap aux barreaux de la fenêtre de sa cellule. De retour à 16 h 25, l’un de ses codétenus alerta aussitôt les surveillants. Les pompiers et le Samu furent prévenus à 16 h 43 et intervinrent respectivement vers 16 h 50 et vers 17 heures. M. fut hospitalisé à 17 h 57 au CHU de Bordeaux où il décéda le lendemain à 6 h 30. Le 18 décembre 2009, l’enquête diligentée dans le cadre des recherches de la cause de la mort fit l’objet d’un classement sans suite. 170 C.-e. Hafiz / Droit Déontologie & Soin 16 (2016) 168–174 3. Le droit applicable 3.1. Code de procédure pénale Les dispositions pertinentes du Code de procédure pénale sont ainsi libellées : Article D. 32-1. – « Le juge d’instruction qui saisit le juge des libertés et de la détention en application des dispositions du quatrième alinéa de l’article 137-1 aux fins de placement en déten- tion provisoire de la personne mise en examen remplit une notice individuelle comportant des renseignements relatifs aux faits ayant motivé la poursuite de la personne, à ses antécédents judiciaires et à sa personnalité, qui est destinée, en cas de placement en détention, au chef de l’établissement pénitentiaire (. . .) ». Article D. 285. – « Le jour de son arrivée à l’établissement pénitentiaire ou, au plus tard, le lendemain, chaque détenu doit être visité par le chef de l’établissement ou par un de ses subordonnés immédiats. Dans les délais les plus brefs, le détenu est soumis à un examen médical dans les conditions prévues à l’article D. 381. Le détenu est également visité, dès que possible, par un membre du service pénitentiaire d’insertion et de probation (. . .) ». 3.2. Service de santé pénitentiaire La prise en charge sanitaire des personnes détenues dépend du service public hospitalier depuis la loi du 18 janvier 1994. Au sein de chaque établissement pénitentiaire, l’accès aux soins est assuré par l’unité de consultations et de soins ambulatoires (UCSA), structure interne de l’hôpital de rattachement implanté en détention. Comme pour les soins somatiques, les soins psychiques en détention ne relèvent pas de l’administration pénitentiaire. Ils sont confiés au service public hospitalier. Le SMPR est un service hospitalier implanté dans des locaux de certaines prisons. Il est placé sous l’autorité d’un psychiatre hospitalier assisté d’une équipe pluridisciplinaire. Il est en charge du dépistage systé- matique des troubles psychiques (notamment au moyen d’un entretien d’accueil avec les détenus à leur arrivée en détention), des soins courants ou encore de la prévention de l’alcoolisme et des toxicomanies. S’agissant des demandes de consultations par le SMPR, l’article R. 57-8-1 dans le CPP dispose : « Les médecins chargés des prestations de médecine générale intervenant dans les [UCSA] et dans les [SMPR] visés à l’article R. 3221-5 du code de la santé publique assurent des consultations médicales, à la suite de demandes formulées par la personne détenue ou, le cas échéant, par le personnel pénitentiaire ou par toute autre personne agissant dans l’intérêt de la personne détenue. Ces médecins sont en outre chargés de (1) Réaliser un examen médical systématique pour les personnes détenues venant de l’état de liberté ; (. . .) ». Une circulaire du garde des Sceaux et du ministre délégué à la Santé, en date du 26 avril 2002, a été uploads/s1/cedh-suicide-detenu.pdf
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- Publié le Sep 23, 2021
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