HENRI FAYOL Théoricien et praticien de l’organisa- tion, Henri Fayol s’est beau

HENRI FAYOL Théoricien et praticien de l’organisa- tion, Henri Fayol s’est beaucoup intéressé aux fonctionnements et dysfonctionne- ments de l’État, de son administration et des services publics. Lorsqu’il préface en sep- tembre 1921 l’ouvrage de l’universitaire Albert Schatz intitulé L’entreprise gouver- nementale et son administration, Henri Fayol écrit que « le public ne s’explique pas la persistance du mauvais fonctionnement de nos Services d’État » et, présentant un programme « d’action gouvernementale prêt à être appliqué », il peut se féliciter que sa « doctrine administrative » soit enfin entendue par les acteurs politiques. Il doit cependant préciser que l’initiative vient du ministre de la Défense nationale de Belgique et ajoute, plus circonspect, que « son haut exemple fera peut-être revenir nos propres gouvernants de leurs préven- tions contre une méthode née de l’industrie et peut-être finiront-ils par se convaincre qu’au gouvernement comme à l’usine, il n’est pour réussir qu’une recette : adminis- trer »(1). Bien que la Première Guerre mondiale et l’entre-deux-guerres soient marquées par une réflexion globale sur la réforme de l’É- FAYOL, LES FAYOLIENS ET L’IMPOSSIBLE RÉFORME DE L’ADMINISTRATION DURANT L’ENTRE-DEUX-GUERRES par Alain CHATRIOT Maître de conférences, Collège de France Henri Fayol s’est intéressé aux administrations publiques et il en a cri- tiqué les modes de gestion. Cependant ses travaux, comme ceux de ses disciples, n’ont eu qu’un écho limité sur le thème de la réforme de l’Etat. (1) H. Fayol, « Préface », in A. Schatz, L’entreprise gouvernementale et son administration, Paris, B. Grasset, 1922, pp. 5-23. Les citations sont extraites respectivement des pages 10, 6 et 5. Je remercie vivement Olivier Dard, François Denord, Patrick Fridenson et Claire Lemercier pour leurs remarques sur la première version de cet article. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Institut d'Etudes Politiques de Paris - - 193.54.67.92 - 19/02/2016 11h52. © ESKA tat, la doctrine d’Henri Fayol demeure peu reconnue dans les milieux administratifs et étatiques. Et si les publications et l’activité de Fayol ont fait l’objet de recherches(2), son rapport à l’administration est resté en partie dans l’ombre, en dépit de quelques études pionnières(3). Les publications de Fayol, nombreuses et dispersées, sont aujourd’hui bien inventoriées(4). L’ensemble de ces sources imprimées et quelques archives complémentaires permettent de tenter de dresser un panorama de la réflexion fayo- lienne sur l’État et de réfléchir à sa difficile réception. Le premier livre de Fayol, Administration industrielle et générale, ne pose que peu, dans sa version publiée, la question de l’É- tat(5). Il faut consulter les articles rassemblés en 1918 dans L’éveil de l’esprit public pour que son propos devienne plus explicite et surtout attendre le début des années 1920, marqué pour Fayol par deux études mono- graphiques importantes portant sur deux services publics alors en débat : les PTT en 1921, les tabacs et allumettes (dans le cadre de la Commission Citroën) entre 1923 et 1925, ce dernier texte étant publié l’année de son décès. À ces études connues il faut ajouter l’activité du Centre d’études admi- nistratives (CEA) créé en 1919(6) et l’en- semble des commentaires contemporains sur les propositions de Fayol (en particulier dans les grandes revues intellectuelles et politiques des années 1920). C’est par la remise en contexte de ces réflexions et leur confrontation à d’autres initiatives que l’on peut mieux comprendre la réception finale- ment limitée dans les milieux administratifs des propositions innovantes et radicales de Fayol. 1. ŒUVRES ET ENQUÊTES D’HENRI FAYOL Les publications de Fayol s’inscrivent indéniablement dans les suites du conflit mondial. Cependant, si l’on cite souvent le mot d’Albert Schatz : « Nous avons été sau- vés malgré l’État »(7), l’État n’est pas toujours critiqué pour ses interventions durant la guer- re. Il est surtout discuté dès lors qu’il a dû transformer ses structures (par la création de nouveaux ministères et de nouveaux offices), (2) Dans une bibliographie abondante, on peut se référer à la synthèse collective récente : J.-L. Peaucelle (dir.), Henri Fayol, inventeur des outils de gestion : textes originaux et recherches actuelles, Paris, Economica, 2003, à F. Rigault, Autorité, libéralisme et organisation : dynamiques du projet fayolien, thèse de doctorat en sciences éco- nomiques, dir. B. Gazier, Université Paris I, 1988 et aux articles de D. Reid, « Genèse du fayolisme », Sociologie du travail, janvier 1986, pp. 75-93, et « Fayol : excès d’honneur ou excès d’indignité ? », Revue française de ges- tion, septembre-octobre 1988, pp. 151-159. (3) Cf. surtout S. Rials, Administration et organisation 1910-1930. De l’organisation de la bataille à la bataille de l’organisation dans l’administration française, Paris, Beauchesne, 1977, pp. 123-168 et P. Rosanvallon, L’État en France de 1789 à nos jours, Paris, Le Seuil, 1990, pp. 232-235. G. Thuillier, Bureaucratie et bureaucrates en France au XIXe siècle, Genève, Librairie Droz, 1980, note 41, p. 247, dans une présentation de la presse adminis- trative, notait : « Il serait intéressant d’étudier les causes de la faible diffusion des idées de Fayol dans les milieux administratifs ». On doit aussi signaler l’étude récente, construite dans une toute autre perspective que notre recherche, de P. Napoli, « De Frédéric Le Play à Joseph Wilbois. Les métamorphoses de la gestion administrative », Les Etudes Sociales, n° 135-136, 1er et 2e semestres 2002, pp. 39-65. (4) Jean-Louis Peaucelle a complété le travail pionnier de J. D. Breeze et A. G. Bedeian, « The Administrative Writings of Henri Fayol : a Bibliographic Investigation, 2nd Edition », Public Administration Series : Bibliography, novembre 1988, 20 p. (5) Jean-Louis Peaucelle a montré par la publication des deux parties inédites de l’ouvrage projeté que Fayol avait aussi écrit sur l’armée française. J.-L. Peaucelle (dir.), Henri Fayol…, op. cit. (6) J. D. Breeze, « Henri Fayol’s Centre for Administrative Studies », Journal of Management History, I-3, 1995, pp. 37-62. (7) A. Schatz, L’entreprise gouvernementale…, op. cit., p. 90. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Institut d'Etudes Politiques de Paris - - 193.54.67.92 - 19/02/2016 11h52. © ESKA s’adapter à la gestion des pénuries et au contrôle du ravitaillement, organiser l’effort de guerre(8). C’est bien à l’occasion de la sor- tie de la guerre que les réflexions sur l’« indus- trialisation de l’État » ou la « réorganisation de l’administration » peuvent se développer. Elles se font dans différentes directions ; l’originalité fayolienne doit se comprendre par rapport aux fortes et influentes voix qui s’expriment alors dans le monde politique, intellectuel et juridique. Léon Blum, membre du Conseil d’Etat engagé à la tête de la SFIO, publie de façon anonyme en 1917 des Lettres sur la réforme gouvernementale dans les- quelles il réfléchit aux rôles respectifs des pouvoirs exécutif et législatif(9). Dans le même temps, le constitutionnaliste Joseph Barthélemy met la question de la compéten- ce des hommes politiques au cœur de son rai- sonnement institutionnel(10) et le sociologue et juriste proche de la CGT Maxime Leroy réfléchit à la fois aux nouvelles méthodes de gouvernement et à une autre place pour les syndicats dans l’administration(11). Enfin des voix moins influentes construisent des réflexions proches de celles de Fayol sur la réforme administrative(12). Les premières publications de Fayol sur les administrations publiques sont écrites à la fin du conflit et publiées d’abord dans le Bulletin de la Société de l’Industrie Minérale (4e livraison de 1917), puis dans un ouvrage qu’il dirige : L’éveil de l’esprit public(13). L’ouvrage promis à une postérité, Administration industrielle et générale(14), ne parle en fait quasiment pas des adminis- trations publiques ni des services publics. Il ne s’agit pas en effet de croire que la doctri- ne administrative soit un pur produit de la guerre, mais les problèmes d’organisation posés par celle-ci lui donnent indéniable- ment une autre visibilité(15). Au cours d’un « déjeuner-causerie » organisé le 10 janvier 1918 par le Cercle commercial et industriel de France, Fayol propose une réflexion sur « la réforme administrative des services publics »(16). Citant le président de la République Poincaré et le ministre de la Guerre et prési- dent du Conseil Clemenceau, il déplore « l’insuffisance de direction générale, l’in- dépendance administrative de chaque ministre dans son département, l’absence de coordination, le souci excessif des intérêts électoraux, le manque d’unité de direc- tion »(17). Il propose une série de mesures simples pour rationaliser les services publics : « le programme d’action, le (8) Cf. J. F. Godfrey, Capitalism at War. Industrial Policy and Bureaucracy in France 1914-1918, New York, Berg, 1987, P. Fridenson (ed.), The French Home Front 1914-1918, Providence-Oxford, Berg, 1992 et S.D. Carls, Louis Loucheur, 1872-1931 : ingénieur, homme d’Etat et modernisateur de la France, Villeneuve d’Ascq, Presses uni- versitaires du Septentrion, 2000. (9) L. Blum, La réforme gouvernementale, Paris, B. Grasset, 1936 [1917]. (10) J. Barthélemy, Le problème de la compétence dans la démocratie, Paris, Librairie Félix Alcan, 1918. (11) M. Leroy, Pour gouverner, Paris, B. Grasset, 1918. (12) E. Faguet, Le culte de l’incompétence… Et l’horreur des responsabilités, Paris, B. Grasset, 1911. R. Favareille, Réforme administrative par l’autonomie et la responsabilité des fonctions (self-administration), Paris, A. Michel, 1919. A. Delemer, Le bilan de l’étatisme, Paris, Payot, 1922 (avec une préface de J. uploads/s1/fayol-les-fayoliens-et-l-x27-impossible-reforme-de-l-x27-administration-durant-l-x27-entre-deux-guerres.pdf

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  • Publié le Nov 21, 2021
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