1 Doris von Drathen Le Défi Éthique de l´Autonomie et sa Source Historique Intr
1 Doris von Drathen Le Défi Éthique de l´Autonomie et sa Source Historique Introduction De façon surprenante les notions d´autonomie qui sont les nôtres dans l´art actuel ont leur origine au 14ème siècle et même avant, et si l’on prenait le temps d’examiner quelques documents, on pourrait même affirmer que nos conceptions d’aujourd´hui correspondent dans le détail aux idées forgées dans la Florence du 14ème siècle. Le rôle de l´artiste - considéré comme une exception aux règles de la société et donc appelé à créer ses propres lois - s´explique aujourd’hui au plan international par les mêmes modèles, bien que les notions personnelles d’autonomie puissent varier d´un artiste contemporain à un autre. Joseph Beuys a développé une notion d´autonomie qui concernait surtout une conception humaine, conception qu´il exprimait par la célèbre formule: « Chacun est un artiste. » Peu de phrases dans l´histoire de l´art contemporain ont suscité autant de débats, de malentendus et de fausses pistes: Déjà la traduction, ´Chacun est un artiste´, est une simplification, puisqu’en allemand la phrase dit: Jeder Mensch ein Künstler ! Chaque être humain un artiste ! Il y a donc du défi dans cette formule. 2 En fait, par cette phrase Beuys ne voulait pas dire que chaque boulanger faisant bien son métier est un artiste. Ce qu´il voulait exprimer par sa formule, c´étaient deux idées qui se rejoignent: D´une part: chaque être humain doit vivre comme un artiste, donc de façon autonome, « selbstbestimmt », « autodéterminé », défini par ses propres lois, prenant lui-même toute décision par rapport à sa vie. D´autre part cette formule voulait dire: Chaque être humain devrait faire de sa vie une œuvre d´art. Ce qui inclut évidemment qu’il le fasse en toute liberté, en toute autonomie. La grande question que révèle pourtant cette phrase est pour moi: comment Beuys pouvait-il avoir la conviction - j´irais presque jusqu´à dire ´l´arrogance´ - de réclamer que l´artiste ait la capacité de servir aux autres de modèle éthique, dans la mesure où il montrerait la voie d’une autonomie humaine, réalisée et réalisable par chaque individu ? 1. Un regard dans la Comptabilité en Renaissance : L´artiste entre ville et cours Comme dans mon travail je m´intéresse à rétablir une connexion entre l´art contemporain et l´art ancien, par trop souvent oublié, j´aimerais par quelques exemples montrer que Beuys et ses héritiers suivent au fond un exemple dont les structures ont été créées par quelques documents 3 précis qui de façon décisive définissaient une nouvelle position sociale de l´artiste à l’aube de la Renaissance. Époque la plus riche d´une part en artistes, et d´autre part en documents écrits, de toute sorte, des contrats révélant le payement d´artiste, et les impôts qu´ils devait payer, ou justement pas payé, comme on verra ; les honoraires qu´il gagnait à une cour, les privilèges accordé par un prince ou duc : ainsi un logement, une carrosse, vêtements et traitement. Evidemment, en ce temps-là, Europe n´était pas divisée en Nations, mais en grand nombre de principautés, de royaumes tous luttant pour un maximum de visibilité et reconnaissance. Artistes, philosophes, scientifiques, musiciens, poètes bourgeois de toutes langues et cultures voyageait entre ces cours et contribuaient à créer leur image. L´Europe était donc plutôt un tissu multiculturel qu´une communauté multinationale. On a cru pendant longtemps que le rôle d´un artiste libre et autonome s´était développé dans le cadre de la culture bourgeoise des villes. C´était une supposition forgée par le regard de la Révolution Française. De fait depuis l´époque de l´industrialisation de toute l’Europe, une révision bourgeoise de l´histoire avait condamné les cours en tant que lieux de restriction et de contrainte et a célébré les villes en tant que ressort de tout ce qui était innovation. 4 Mais les dernières recherches de l´histoire de l´art1 ont trouvé et prouvé le contraire: c´étaient les structures privilégiées que les souverains créaient pour les artistes travaillant pour eux qui ont préparé la voie pour la position singulière que l’artiste et que les villes ont suivi leur exemple. Ce furent les cours qui ont créé les organisations du monde de l´art, les institutions d’art qui subsistent encore, bien après leur disparition. Ce fut à travers les cours que virent le jour un système de bourses, et plus tard les académies, la mise en action des médias visuels pour une stratégie de persuasion politique et de représentation d´Etat, l´invention des premières formes d´une réception esthétique, celle d’une première médiatisation de l´art et de l´artiste et les premières formes de musée -- toutes structures encore vivantes aujourd´hui. Ces institutions ont eu une vie plus longue que leurs initiatrices, les cours, puisque c´est leur définition des fonctions sociales, leurs attitudes désormais entrées dans les mœurs et les habitudes qui continuent à subsister. On peut observer de façon très concrète le rôle des cours dans la naissance d’une nouvelle conscience de l´artiste à travers les contrats passés entre souverains et artistes, donc à travers un regard, je dirais justement de comptabilité, puisque le rôle libérateur des cours se définit par un fait bien simple : Les souverains accordaient aux artistes 1 Martin Warnke, Der Hofkünstler, Zur Vorgeschichte des modernen Künstlers, Köln, 1985 5 l’exemption d’impôts, le paiement de salaires annuels, des privilèges, des titres, des habits, des avantages de logis et d´alimentation, et surtout elles les affranchissaient des règlements corporatifs des artisans., C´étaient justement ces corporations des artisans avec leurs contraintes anti-innovatrices et leur système de normes, qui étaient en vigueur dans les villes. Et : Entre artistes et souverains il y avait deux grands intérêts qui se nourrissaient l´un l´autre : Les souverains cherchaient à construire des stratégies de représentation visuelle, les artistes avaient besoin de contrats, de liberté matérielle et de liberté créatrice. Leurs nouveaux privilèges s’opposaient toutefois diamétralement aux contraintes qui régnaient dans les villes, contraintes non seulement matérielles à travers les taxes et les impôts, mais aussi et surtout les contraintes des corporations des artisans, rétives à tout changement et qui avaient leur mot, et même leur véto à dire dans la création artistique. Les souverains en revanche avaient un grand intérêt en toute novation pour augmenter leur visibilité et renommé, pour attirer l´attention des leurs concurrents – les autres cours, et aussi des villes. Ce contraste entre villes et cours est essentielle pour notre recherche, c´est là que s´ouvre un nouvel espace social qui fera naître l´autonomie de l´artiste. 2. L´artiste dans l´entre-deux des villes et des cours 6 Ce champ de tension entre les cours d´un côté et les villes de l´autre est donc l´espace qui nous intéresse ici. C´est bien cet entre-deux entre cours et ville qui est bien plus intéressant que l´histoire des cours, bien sûr. Puisque c´est dans cet espace intermédiaire, que naît un lieu de liberté, une zone de nouvelle liberté d´action, c´est dans cet entre-deux, entre cours et villes que l´on peut observer le développement d´une nouvelle conscience d´artiste. L´artiste a pour la première fois le pouvoir et l´autorité de regarder la société de l´extérieur puisqu´il habite dans cet entre-deux entre villes et cours. C´est entre cours et ville que naît l´argumentation autour de la valeur d´un artiste, c´est ici que la position de l´artiste est discuté, au fait c´est ici que le rôle de l´art est défini à nouveau. On peut donc observer dans ce champ de discussion entre souverains et ville que naissent les premières descriptions des valeurs de l´art, donc une théorie de l´art débute. [Évidemment j´ai simplifié les traits de ce phénomène, pour ne pas parler d´un duc qui ne tenait pas parole et ne payait pas, pour ne pas parler des sacrifices que le fait de quitter la ville et la vie à la cour pouvaient représenter pour un artiste, afin de mieux montrer une structure, qu’on pourra comprendre maintenant dans sa complexité en observant quelques exemples.] 7 3. Un exemple : le cas de Giotto Donc ---ce n´est pas le rôle de l´artiste de cour en soi qui fait bouger les choses, mais c´est sa concurrence avec la ville. C´est en dialogue avec la ville que les premiers cas de privilèges accordés deviennent intéressants. En 1329, Giotto quitte Florence et répond à une invitation à la cour de Naples. Il y reste quatre ans. En plus d´un salaire, d´une robe, d´avantages alimentaires et d’un logis, la cour d´Anjou lui décerne le titre de « familiaris et fidelis ». Mais ce titre ne lui est pas seulement décerné en raison de ses qualités en tant que peintre, mais aussi pour ses « vertus » éthiques, pour son honnêteté. Ceci veut dire qu´ici - pour la première fois dans l´histoire de l´art - l’analogie entre œuvre et auteur apparaît dans un document contractuel: si l´œuvre est excellente, son auteur doit l’être aussi. Et cette notion continue à être vivante sous la même forme aujourd´hui encore: Début 2008, quand Jean-Marc Bustamante a reçu la distinction de chevalier des arts et des lettres, le directeur du Centre Pompidou, Alfred Pacquement, a fait exactement ce même parallèle entre qualités artistiques et qualités éthiques pour uploads/s3/ 0-2-autonomie-texte.pdf
Documents similaires










-
74
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Fev 24, 2021
- Catégorie Creative Arts / Ar...
- Langue French
- Taille du fichier 0.1272MB