Langue française Présentation Étienne Stéphane Karabétian Citer ce document / C
Langue française Présentation Étienne Stéphane Karabétian Citer ce document / Cite this document : Karabétian Étienne Stéphane. Présentation. In: Langue française, n°135, 2002. La stylistique entre rhétorique et linguistique. pp. 3-16; https://www.persee.fr/doc/lfr_0023-8368_2002_num_135_1_6459 Fichier pdf généré le 14/01/2019 PRESENTATION Le caractère polymorphe du terme stylistique est tel qu'il convient de faire un état de la question. Nous commencerons par donner quelques aperçus du débat récent autour de la stylistique pour ensuite tenter de distinguer stylistique linguistique et stylistique littéraire. Un point institutionnel concernant la stylistique aux concours de recrutement nous paraît enfin nécessaire avant de livrer les orientations de ce numéro1. 1. La querelle des stylistiques depuis 1993 On peut considérer que la teneur actuelle du débat remonte à la parution de Fiction et diction de Gérard Genette (1991). Celui-ci dénonce la conception discontinue du style « comme constitué d'une série d'accidents ponctuels échelonnés au long d'un continuum linguistique (celui du texte), comme les cailloux du Petit Poucet. . . » (1991 : 132), optant au contraire pour l'idée qu'on caractérise un style «par une collection ou un faisceau de traits ». Après avoir distingué ces traits comme propriétés paradigmatiques des faits de style, comme événements pouvant être récurrents dans la chaîne syntagmatique, il se propose de réserver le terme de style « à des propriétés formelles du discours qui se manifestent à l'échelle des microstructures proprement linguistiques, c'est-à-dire de la phrase et de ses éléments (...) ou au niveau de la texture plutôt que de la structure » (1991 : 143). Le fait de style, c'est alors le « discours lui-même ». À partir de cette publication importante, un débat ininterrompu s'est ouvert de 1993 à aujourd'hui2. Dans son article de 1993, L. Jenny effectue un premier bilan à partir du texte de G. Genette Fiction et diction, et distingue trois voies de retour à la stylistique : celle empruntée par G. Molinié qui consiste à moderniser la description stylistique « en composant entre la tradition rhétorique et les 1. Sauf mention particulière, nous renvoyons aux bibliographies in fine pour toutes les références de la Présentation. 2. Citons les articles de Jenny, L. (1993) « L'objet singulier de la stylistique », in Littérature, n° 89, pp. 113-124 ; de Schaeffer, J.-M. (1997), « La stylistique littéraire et son objet », in Littérature, n° 105, pp. 14-23; de Vouilloux, B. (1998), «Pour une théorie descriptiviste du style», in Poétique, n° 114, pp. 233-254 ; de Jenny, L. (1999), « Sur le style littéraire », in Vous avez dit Style d'auteur, Journée d'études stylistique de l'université de Nancy 1, P.U de Nancy, pp. 148-158 ; texte reprenant une prépublication dans Littérature, n° 108 de décembre 1997 ; du même (2000), « Du style comme pratique », in Littérature, n° 118, pp. 98-117. instruments linguistiques modernes» (Jenny, 1993 : ИЗ)3; celle choisie par G. Genette et qui vise à poursuivre la « sémiotisation du style » au-delà de Jakobson (le style étant présenté comme une « propriété générale des discours », on peut aller au-delà de la « fonction poétique » jakobsonienne) ; celle, enfin, définie par L. Jenny et D. Combe, d'inspiration phénoménologique, procède d'une critique des stylistiques de l'écart et cherche à repenser le style comme « parole originaire », c'est-à-dire comme « relance dans la parole d'une activité de différenciation interne à la langue » ; le style est alors conçu comme « une dialectique de la langue et de la parole. » En 1997, J. M. Schaeffer4 rouvre le débat sur la question de la stylistique littéraire et indique que si on cesse d'opposer la stylistique littéraire à la stylistique de la langue en mettant en fonctionnement la dichotomie norme collective/écart individuel, la stylistique «relève d'une pragmatique des discours» (1997 : 17). Il faut préférer à la notion d'écart celles de choix et de variation stylistiques. En effet, tout énoncé « implique des choix qu'on opère parmi les disponibilités de la langue et tout choix linguistique est signifiant, donc stylisti- quement pertinent ». Dès lors, J. M. Schaeffer renoue avec la formule de Genette selon laquelle « tout texte a du style ». Deux ans plus tard, dans « Sur le style littéraire », L. Jenny entend rattacher le débat à celui instauré depuis Genette autour de la sémiotique good- manienne5. Il propose d'ajouter aux concepts d'« écart » et de « variante » un troisième terme, celui de « singularisation », de « différenciation ». Ainsi, le 3. Commentant l'ouvrage de G. Molinié, La stylistique, p. 3, Gérard Genette reproche à une définition de la stylistique comme « l'étude des conditions verbales, formelles de la littérarité » d'être trop large. 4. J.M. Schaeffer est également l'auteur des deux copieuses notices concernant les entrées « style » et « stylistique » dans le Nouveau dictionnaire encyclopédique des sciences du langage. Ces notices font suite à celles rédigées par T. Todorov dans la précédente édition (Dictionnaire encyclopédique des sciences du langage). 5. Depuis 1990, la question de la stylistique est fréquemment confrontée à celle de l'esthétique. Beaucoup espèrent trouver dans la méthodologie propre à l'analyse des œuvres d'art des clés pour la description stylistique. Les ouvrages fréquemment invoqués pour instruire ce débat sont ceux de : Schapiro, Meyer (1953), « La notion de style », in Anthropology today, éd. par Alfred Kroeber, univ. of Chicago Press, rééd. (1962) ; Goodman, Nelson (1976 et 1990), Langages de l'art- éd. J. Chambon; (1990), Esthétique et connaissance, Éd. de l'Éclat; (1992), Manière défaire des mondes, éd. J. Chambon ; en particulier le texte de 1975 : « Le statut du style ». Tous textes traduits de l'américain. Certains aspects de cette question ont été abordés dans le numéro 105 de la revue Littérature intitulée « Questions de style ». Dans la théorie du style de Goodman, l'idée maîtresse est l'idée d'addition de caractéristiques qui génère une caractéristique complexe jouant le rôle de « signature ». Toutes les caractéristiques n'ont pas de valeur distinctive, elles doivent participer du « fonctionnement de l'œuvre comme symbole » et donc être « exemplifiées » par l'œuvre : « un trait stylistique, tel que je le conçois, est un trait qui est exemplifié par l'œuvre et qui contribue à la situer dans un corpus significatif d'ceuvres parmi d'autres. » (L'art en théorie et en action, Éd. de l'Éclat, 1996, p. 38). Renvoyons sur ce point le lecteur au détail de cette synthèse dans l'article de L. Jenny, « Du style comme pratique », p. 106 et suivantes. trait de style se laissera appréhender comme « une autoréférence du discours à sa singularité d'usage de la langue » (1997 : 97). Dès lors, selon Jenny, la tâche d'une stylistique littéraire consisterait non pas à énumérer une « suite de traits de style », même continus, mais plutôt à en dégager « la logique d'ensemble et les valeurs ». On revient alors à la teneur primitive du débat puisqu'il est préconisé de distinguer entre une stylistique de la langue ayant pour objet les registres de discours et une stylistique littéraire visant la description du style singulier « en tant qu'il est modélisé dans le champ d'une œuvre ». Cette stylistique refusera la simple enumeration des faits de style et analysera plutôt la façon dont les traits de style « dessinent une sorte d'autographe stylistique global qui prend son sens en participant au fonctionnement symbolique de l'œuvre» (1997: 100-101). Enfin, en juin 2000, L. Jenny, prenant en compte les concepts issus de l'œuvre de Goodman et en particulier celui d'« exemplification », propose de définir le style non comme une simple perception de propriétés mais comme une « différenciation de propriétés perceptibles ». L'idée de style suppose celle d'une « attentionnalité » dirigée vers les « exemplifications relativement objectives qui constituent la forme intentionnelle du style » (2000 : 112). Poursuivons un peu plus avant le parallèle entre la stylistique et le traitement du style en esthétique et revenons sur l'article de Goodman « Le statut du style » qui peut constituer l'une des pièces du moratoire sur la refondation de la discipline. Goodman procède tout d'abord par exclusions, exclusions relatives (1) au rapport fond /forme; (2) à la notion d'expressivité en ce sens qu'elle serait à la source de traits constitutifs du style. Pour qu'il y ait distinction entre le style et le contenu, ce qui est habituel en stylistique, il faut supposer, dit Goodman, que ce qui est dit puisse varier avec les façons de dire mais, souligne-t-il, on peut « dire des choses très différentes de façons très semblables » (1975 : 36). Goodman renonce donc à l'opposition entre le style et le sujet, entre des façons de dire et ce qui est dit. Admettons, dit-il, « que contenu et emballage relèvent du style, qu'est-ce qui, alors, n'en relève pas ? » (1975 : 38). Il faut donc rechercher autre part la distinction entre traits stylistiques et non stylistiques. Goodman rejette ensuite l'idée selon laquelle le style relèverait de l'affectif et de l'expressif et « s'opposerait au logique uploads/s3/ 1-la-stylistique-entre-rhetorique-et-linguistique-presentation-1.pdf
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- Publié le Nov 26, 2022
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